Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un peu plus d'un an, le drame d'Outreau suscitait une émotion sans précédent dans notre pays. Le traitement de cette affaire a entraîné une crise de confiance des Français envers la justice. Chacun s'est en effet demandé : et si c'était moi ?
Je tiens néanmoins à rappeler combien il est difficile de rendre la justice. S'il y a eu un « Outreau », des milliers de décisions sont rendues chaque année par des magistrats aux qualités remarquables, assistés de fonctionnaires passionnés et compétents.
Que l'on se souvienne du procès des pédophiles d'Angers, à bien des égards comparable à celui d'Outreau : il montre bien que la justice, en France, peut être exemplaire.
Qu'attendent nos concitoyens à la suite de ce drame ? Au-delà des réflexions à long terme, souvent théoriques, sur l'avenir de notre système judiciaire, ils souhaitent des réponses immédiates et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l'affaire d'Outreau.
Les projets que je vous présente aujourd'hui au nom du Gouvernement répondent point par point à ces dysfonctionnements. Le projet de loi ordinaire met en place des pôles de l'instruction pour lutter contre la solitude du juge, instaure un véritable contrôle de la chambre de l'instruction pour éviter les détentions provisoires injustifiées, accroît la transparence de la procédure en prévoyant l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires en garde à vue et devant le juge d'instruction ainsi que la publicité des débats sur la détention provisoire, fait progresser le contradictoire, notamment pour les expertises, et rend obligatoire l'enregistrement de l'audition du mineur victime. Le projet de loi organique améliore la formation des magistrats, précise leur régime disciplinaire et met en place une nouvelle voie de recours pour les justiciables, à travers la saisine du Médiateur de la République.
Comme toute synthèse, cette réforme a suscité un certain nombre de critiques : pas assez ambitieuse pour certains, elle est irréaliste pour d'autres. J'ai cependant la conviction qu'elle constitue une étape incontournable pour permettre aux Français de retrouver confiance en leur justice.
Le projet de réforme de la procédure pénale apporte des réponses précises et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l'affaire d'Outreau.
Ce qui a d'abord frappé nos concitoyens, c'est la solitude d'un juge d'instruction dans une affaire particulièrement complexe.
Je souhaite mettre fin à cette solitude en faisant travailler les juges d'instruction au sein d'une équipe. Les affaires criminelles et les affaires correctionnelles complexes ne seront plus instruites par un magistrat isolé dans un tribunal, mais par un ou plusieurs juges d'instruction, réunis au sein d'un pôle, qui pourront échanger entre eux sur les points difficiles.
Le succès rencontré par le pôle antiterroriste de Paris et les juridictions interrégionales spécialisées, qui traitent des affaires de grande criminalité, m'ont convaincu que les dossiers d'instruction complexes ne pouvaient plus être confiés à des juges d'instruction isolés, mais devaient faire l'objet de regards croisés.
De manière plus générale, je souhaite que ces pôles conduisent les juges d'instruction à ne plus travailler seuls au sein de leur cabinet et les incitent au contraire à acquérir la culture du travail en équipe.
Ces pôles permettront de rendre plus faciles les co-saisines, qui pourront désormais être imposées par le président de la chambre de l'instruction, même sans l'accord du magistrat initialement saisi.
Ces co-saisines permettront, sur des affaires complexes, de faire travailler les juges d'instruction peu expérimentés avec des magistrats confirmés. Sans attendre l'adoption de ce dispositif, j'ai demandé à ce que les postes de juge d'instruction soient, autant que faire se peut, pourvus par des magistrats expérimentés, et non par de jeunes magistrats sortant de l'École nationale de la magistrature.
En pratique, les pôles auront un ressort départemental. Cependant, compte tenu des particularités locales, certains pôles pourraient s'étendre à plusieurs départements, et certains départements pourraient accueillir plusieurs pôles.
Contrairement à ce que d'aucuns ont pu affirmer, le système ne remet nullement en cause la carte judiciaire actuelle. Chaque tribunal de grande instance conservera en effet un juge d'instruction chargé des affaires correctionnelles les plus simples. Par ailleurs, les affaires instruites au sein des pôles continueront à être jugées par la juridiction territorialement compétente.
Pour accompagner cette réforme, je souhaite que soient pris en compte les frais de déplacement supplémentaires supportés par les avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle pour se rendre dans les pôles de l'instruction.
Par ailleurs, afin d'assurer un accès en temps réel au dossier, j'ai décidé d'accélérer la mise en place de la numérisation des procédures pénales, qu'une centaine de tribunaux de grande instance expérimentent actuellement.
Enfin, j'ai demandé que, pour limiter les déplacements, l'on utilise la visioconférence chaque fois que cela est possible. Tous les tribunaux de grande instance en sont désormais équipés.
Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire, ces pôles constituent pour moi la première étape vers la collégialité de l'instruction, que l'Assemblée nationale a souhaité inscrire dans le projet de loi et à laquelle je suis tout à fait favorable.
Toutefois, la pyramide des âges de la magistrature, qui entraînera des départs massifs à la retraite à l'horizon 2010, conjuguée à l'importance des moyens humains nécessaires pour une telle réforme - il faudrait environ 240 magistrats et 400 fonctionnaires de greffe supplémentaires -, nous oblige à différer celle-ci et à nous limiter, dans un premier temps, aux pôles de l'instruction.
Le deuxième enseignement que l'on peut tirer de l'affaire d'Outreau, c'est le caractère excessif du recours à la détention provisoire.
Le présent projet de loi contient donc un certain nombre de dispositions tendant à éviter les détentions provisoires injustifiées. Il renforce le caractère exceptionnel de la détention provisoire, en limitant le recours au critère du trouble à l'ordre public, qui ne pourra plus être employé en matière correctionnelle pour la prolongation ou le maintien en détention.
Votre commission souhaite interdire également l'utilisation de ce critère pour le placement initial en détention. Le Gouvernement ne peut être favorable à une telle proposition, car c'est parfois le seul critère qui permette une détention provisoire nécessaire, notamment en matière de violences urbaines ou d'homicide involontaire.
Limiter la détention provisoire, c'est aussi mieux assurer la défense du mis en examen. Le projet de loi prévoit la présence obligatoire d'un avocat lors du débat sur la détention provisoire, ce qui, semble-t-il, n'a pas toujours été le cas dans l'affaire d'Outreau. Il permet par ailleurs au juge des libertés et de la détention de reporter ce débat pour favoriser le recours au contrôle judiciaire.
Enfin - et c'est, à mes yeux, une disposition fondamentale pour limiter la durée des détentions provisoires -, cette réforme instaure une audience publique de la chambre de l'instruction permettant d'examiner contradictoirement tous les aspects de la procédure en cours, dès lors qu'une personne est détenue.
Cette audience permettra à la chambre de l'instruction d'avoir une vision globale du dossier, vision qui a clairement manqué lors de l'affaire d'Outreau et qui aurait sans doute permis d'éviter le recours à la juridiction de jugement pour que l'innocence des personnes mises en cause soit reconnue.
L'Assemblée nationale a souhaité, avec l'accord du Gouvernement, que ce réexamen de l'ensemble de la procédure puisse avoir lieu au bout de trois mois, au lieu des six mois initialement prévus, afin de permettre un contrôle approfondi du dossier au début de l'instruction.
J'ajoute que le contrôle des chambres de l'instruction sur les cabinets des juges d'instruction sera également renforcé par la mise en place d'assesseurs permanents au sein de ces chambres, lorsque l'activité de ces dernières le justifie.
Il est ainsi prévu la création de quarante-deux emplois de président de chambre ou de conseiller. Ces emplois supplémentaires permettront de poursuivre les efforts engagés en 2006, qui ont d'ores et déjà permis à chaque cour d'appel de bénéficier d'un emploi de conseiller supplémentaire.
La crédibilité de la justice passe par une plus grande transparence des procédures.
Ce souci de transparence se concrétise au travers de deux mesures : la publicité des audiences relatives à la détention provisoire et l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d'instruction en matière criminelle.
Cet enregistrement est souvent interprété, à tort, comme une mesure de défiance à l'égard des forces de police et des magistrats. Il s'agit, au contraire, de lever tout soupçon et de prévenir les mises en cause injustifiées dont font parfois l'objet ces interrogatoires. L'enregistrement, qui pourra être consulté en cas de contestation, permettra de mieux sécuriser les procédures.
J'ai pu constater, lors de mes déplacements en Angleterre et en Italie, combien ces mesures étaient appréciées, bien qu'elles aient fait l'objet de longs débats au moment de leur adoption.
Dans une société de plus en plus transparente, la justice ne peut refuser les garanties que sont susceptibles d'apporter les nouvelles technologies.
Le caractère contradictoire de l'instruction, qui a fait défaut dans l'affaire Outreau, sera également renforcé.
La mise en examen pourra être contestée à intervalles réguliers, et non pas seulement dans les six premiers mois, et des confrontations individuelles pourront être demandées.
Le caractère contradictoire des expertises sera également renforcé : information des parties de la décision du juge ordonnant une expertise, sauf si cette information nuit à l'efficacité des investigations ; possibilité de désigner un co-expert de leur choix ; suppression du filtre du président de la chambre de l'instruction en cas d'appel de refus d'une contre-expertise.
Enfin, le règlement des informations sera plus contradictoire, puisque le juge devra statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties, chacun ayant pu répliquer à ces réquisitions ou observations. L'ordonnance de renvoi - c'est une disposition à laquelle je tiens beaucoup - devra préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.
Enfin, le projet de loi rend obligatoire l'enregistrement des auditions des mineurs victimes, alors qu'actuellement cet enregistrement peut être écarté par simple décision motivée du procureur ou du juge d'instruction. Par ailleurs, le mineur victime devra obligatoirement être assisté d'un avocat, le cas échéant commis d'office.
Mais la crédibilité de la justice passe aussi par sa célérité et par la nécessité de limiter, autant que faire se peut, les informations injustifiées, afin de permettre aux juges d'instruction de ne traiter que les affaires réellement complexes.
Comment un juge peut-il consacrer son temps et son énergie à des affaires difficiles et sensibles comme celle d'Outreau quand son cabinet d'instruction est encombré d'informations dilatoires qui se terminent toutes, au bout de quelques mois, par un non-lieu ? Je rappelle, à titre d'illustration, que près des trois quarts des informations ouvertes sur plaintes avec constitution de partie civile à Paris font l'objet d'un non-lieu.