Intervention de Pascal Clément

Réunion du 1er février 2007 à 21h45
Recrutement formation et responsabilité des magistrats équilibre de la procédure pénale — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Pascal Clément, garde des sceaux :

Il s'agit non pas d'empêcher le dépôt de plaintes avec constitution de partie civile, mais simplement d'éviter que cette procédure ne soit détournée de son objet et utilisée pour paralyser le fonctionnement de la justice.

Reprenant les conclusions du rapport Magendie, le projet de loi maintient la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l'état lorsque l'action civile est engagée en réparation du dommage causé par l'infraction, mais la supprime dans les autres cas, revenant ainsi à l'application originelle de cette règle avant qu'elle ne soit étendue par la jurisprudence.

Ainsi, par exemple, une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l'employeur à seule fin de paralyser la contestation du licenciement aux prud'hommes n'aura plus l'effet recherché, ce qui devrait limiter le nombre de plaintes avec constitution de partie civile, et donc d'informations.

De la même manière, le projet de loi cherche à éviter l'ouverture d'une information lorsqu'une affaire peut être résolue plus simplement et plus rapidement par une enquête du parquet.

Ainsi, en matière délictuelle, il faudra, avant de pouvoir déposer une plainte avec constitution de partie civile, avoir saisi le parquet. À l'issue d'un délai de trois mois, si le parquet n'agit pas ou refuse de poursuivre, la plainte sera alors recevable.

Ces deux séries de mesures ont le même objectif : permettre aux juges d'instruction de disposer de plus de temps pour instruire les affaires complexes, en évitant que leur cabinet ne soit encombré de plaintes ne justifiant pas l'ouverture d'une information.

Elles ont été accueillies très favorablement par les associations de victimes, qui ont salué leurs conséquences positives sur la durée des instructions.

J'y suis donc très attaché, car je pense que ces mesures auront un impact réel sur le fonctionnement quotidien des cabinets d'instruction.

Le coût de l'ensemble de la réforme pour le ministère de la justice a été estimé à 30 millions d'euros. Elle nécessitera en particulier la création de 70 postes de magistrat et de 102 emplois de fonctionnaire de greffe. Les postes de magistrat seront pourvus par redéploiement et un recrutement supplémentaire de fonctionnaires devra être organisé.

Ce financement ne figure pas dans la loi de finances pour 2007, car le chiffrage précis de la réforme dépendait du périmètre effectif de la loi et de son calendrier de mise en oeuvre. Sur l'année 2007, ce besoin est évalué à 13 millions d'euros. Dès que la loi sera promulguée, le Gouvernement mettra les crédits nécessaires à la disposition du ministère.

Par ailleurs, je crois que le moment est venu de procéder à une véritable modernisation de la formation et du régime disciplinaire des magistrats, comme l'a souhaité la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

On ne peut plus considérer aujourd'hui que la formation et le régime disciplinaire des magistrats tels qu'ils ont été définis voilà près de cinquante ans sont adaptés à la société française de 2006. C'est pourquoi je vous propose des mesures concrètes destinées à améliorer cette formation et à préciser ce régime disciplinaire.

Un bon magistrat, c'est un magistrat, qui, avant de décider, doute, écoute et examine tous les arguments qui lui sont soumis, en accordant la même importance à la parole de la victime et à celle du mis en examen.

Il n'y a pas d'autre moyen de vérifier qu'un futur magistrat est capable de s'obliger à cette méthode qu'en le soumettant à un stage obligatoire préalable à toute nomination aux premières fonctions.

Or tous les magistrats aujourd'hui en poste n'ont pas été soumis à cette formation indispensable qu'est le stage. C'est pourquoi je propose de donner, pour toutes les voies d'accès à la magistrature, un caractère probatoire obligatoire à la formation préalable à la nomination dans les premières fonctions.

Cette généralisation de la formation probatoire est d'autant plus justifiée que l'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements permettant d'ouvrir l'accès au corps judiciaire à des candidats bénéficiant déjà d'une expérience professionnelle dans le domaine juridique.

Ce n'est pas la seule modification de la formation des magistrats à laquelle je suis attaché. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, je me suis fixé comme objectif d'ouvrir l'École nationale de la magistrature vers le monde extérieur. À ma demande, ce changement radical de la pédagogie est déjà mis en oeuvre.

Désormais, une trentaine d'élèves avocats suivent à Bordeaux la même scolarité que les élèves magistrats. Il faut absolument éviter qu'une coupure ne se crée entre magistrats et avocats, et il n'y a pas de meilleur moment pour éviter cette rupture que la période de formation des uns et des autres.

Les manuels de droit nous apprennent que les avocats sont des auxiliaires de justice. Je veux que ce concept fondamental ne reste pas lettre morte. C'est la raison pour laquelle je considère que la durée du stage que les auditeurs de justice effectuent au sein de cabinets d'avocats, qui est actuellement de deux mois, doit être augmentée, comme l'a d'ailleurs voté l'Assemblée nationale.

Il faut toutefois veiller à ne pas mettre en péril l'architecture de la formation dispensée par l'ENM, laquelle dure déjà trente et un mois. Allonger la durée totale de la formation, outre le coût financier que cela représente, découragerait les candidats à l'ENM, dont, je me permets de le souligner devant la Haute Assemblée, le nombre diminue d'année en année.

Par ailleurs, il me paraît exclu de supprimer les stages actuels, qui permettent aux auditeurs d'apprendre les techniques de rédaction, d'entretien, ou de se familiariser avec les services de police ou l'administration pénitentiaire.

C'est pourquoi je suis favorable à l'amendement adopté par votre commission des lois et tendant à porter à cinq mois la durée de ce stage, durée compatible avec la formation actuellement dispensée à l'ENM.

Désormais, les enseignants de l'École nationale de la magistrature ne sont plus uniquement des magistrats. Il s'agit, là aussi, de tout mettre en oeuvre pour que la formation soit plurielle. Les avocats, les universitaires, les psychologues ont maintenant leur place au sein du corps enseignant de l'ENM.

La justice est rendue au nom du peuple français. Les juges doivent être issus d'horizons plus variés et doivent également, au cours de leur carrière, pouvoir aller travailler au sein d'autres institutions, au sein d'entreprises, d'associations, afin de mettre leurs méthodes, leurs convictions et parfois leurs certitudes à l'épreuve d'autres réalités.

C'est pour cette raison que j'ai approuvé les amendements votés par l'Assemblée nationale visant à rendre obligatoire la mobilité des magistrats avant que ne leur soient confiées les fonctions les plus importantes.

Cela signifie concrètement qu'un magistrat qui souhaite être nommé conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation pourra utilement effectuer une mobilité de deux ans au sein d'une direction des ressources humaines d'une entreprise. Vous imaginez le changement considérable que cela représente !

Avec sagesse, votre commission des lois a adopté un amendement permettant au Conseil supérieur de la magistrature de s'assurer, préalablement au départ en mobilité d'un magistrat, que son choix est compatible avec les fonctions qu'il a précédemment exercées. Je suis favorable à cet amendement, qui adapte à la magistrature le régime existant déjà dans le reste de la fonction publique.

Adapter le statut de la magistrature de 1958 à la France de 2006, c'est aussi adapter le régime disciplinaire des magistrats aux exigences de notre société. Mais je sais que toucher à la discipline des magistrats, c'est toucher à une question extrêmement sensible, car liée à l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Je veux être efficace, c'est-à-dire que je souhaite que les modifications proposées entrent effectivement en vigueur sans risquer d'encourir la censure du Conseil constitutionnel.

L'article qui vous est soumis aujourd'hui tend à sanctionner la violation grave et intentionnelle par un magistrat des règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive.

J'indique dès maintenant que je suis favorable aux modifications de cet article que proposera votre commission des lois.

La rédaction de cette nouvelle faute disciplinaire serait incontestablement améliorée en précisant que la faute est non plus « intentionnelle » mais « délibérée », et que cette faute doit être constatée par une décision de justice devenue définitive. Cette rédaction s'inscrit plus sûrement encore dans le cadre qui nous a été fixé par le Conseil d'État.

Ainsi, il n'existera plus de risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire. Il s'agit d'éviter que la voie disciplinaire ne puisse être utilisée dans le cadre d'une instance en cours pour déstabiliser un magistrat.

Cette rédaction s'inscrit dans le respect des principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. Elle me paraît de nature à éviter la censure du Conseil constitutionnel, tout en précisant les termes de la faute disciplinaire.

Les événements récents ont démontré que tous les magistrats n'étaient pas aptes à exercer toutes les fonctions. Il faut aujourd'hui rendre possible l'interdiction, pour une durée déterminée, d'exercice de fonctions à juge unique lorsqu'une faute disciplinaire établit la nécessité d'encadrer un magistrat dans l'exercice de ses fonctions. Je pense évidemment aux fonctions spécialisées : juge d'instruction, juge de l'application des peines, juge des enfants, juge d'instance, mais aussi juge aux affaires familiales ou juge présidant une audience correctionnelle à juge unique.

Je vous propose donc d'élargir la gamme des sanctions disciplinaires par la création d'une nouvelle sanction : l'interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans.

Il y a enfin une situation que j'estime inacceptable et à laquelle je veux mettre un terme : lorsqu'un magistrat a un comportement qui révèle des problèmes pathologiques et qu'il est indispensable de l'écarter sans délai de l'exercice de toutes fonctions juridictionnelles, nous ne pouvons pas actuellement apporter de réponse immédiate à ce dysfonctionnement majeur puisque seule la voie disciplinaire est possible dans l'attente de la suspension décidée par une commission médicale.

Je vous propose donc de donner au garde des sceaux la faculté, sur avis conforme du CSM, car les garanties statutaires doivent êtres respectées, de suspendre de ses fonctions un magistrat dont le comportement justifie la saisine du comité médical, qui sera tenu de statuer dans un délai de six mois.

Votre commission des lois a voté un amendement, que je soutiendrai, tendant à créer un comité médical spécifique, susceptible de prendre en compte les particularités du métier de magistrat. C'est une avancée importante qui mérite d'être saluée.

Par ailleurs, les Français nous demandent de développer les contrôles externes à la justice.

Aujourd'hui, il n'existe pas d'autorité extérieure à l'institution judiciaire habilitée à recueillir, à examiner et à donner suite aux réclamations des justiciables sur les dysfonctionnements de la justice liés au comportement des magistrats.

C'est la raison pour laquelle j'ai proposé de conférer au Médiateur de la République la possibilité d'être saisi de réclamations émanant de toute personne mettant en cause le comportement d'un magistrat.

En effet, le Médiateur me semble être l'autorité extérieure à laquelle cette lourde tâche doit incomber, et ce pour les raisons que je vais détailler.

D'abord, l'institution du Médiateur de la République existe depuis 1973. Elle est connue et respectée des Français, qui l'ont saisie en 2004 de plus de 57 000 affaires, dont 23 % étaient relatives à un dysfonctionnement de la justice. Les Français ne comprendraient pas que l'on complexifie le système en dissociant les dysfonctionnements de la justice, qui relèvent de la compétence du Médiateur, des comportements de magistrats susceptibles de constituer une faute disciplinaire.

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