Si l'on considère néanmoins ces enregistrements comme nécessaires, pourquoi alors en limiter le champ d'application aux crimes ? S'agissant des interrogatoires conduits par le juge d'instruction, pourquoi réserver l'enregistrement aux seuls mis en examen, alors que l'obligation d'enregistrement pourrait être tout à fait justifiée en ce qui concerne les témoins ? Beaucoup de questions se posent donc.
C'est pourquoi la commission des lois du Sénat demandera au Gouvernement de présenter d'ici à deux ans, comme l'Assemblée nationale l'avait proposé, un rapport sur cette mesure et de préciser, en particulier, les conditions d'une éventuelle extension du champ d'application de l'obligation d'enregistrement.
Je ne m'étendrai pas sur les autres dispositions présentées dans ce projet de loi au titre du renforcement du contradictoire. Nous pensons que l'ouverture de la possibilité, pour le mis en examen, de demander le statut de témoin assisté ou la mise en place d'une procédure plus contradictoire en matière d'expertise ou de clôture de l'information sont de très bonnes initiatives.
En ce qui concerne la célérité de la justice, vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux, le rapport de M. Magendie, remis en juin 2004.
Le problème est réel. Améliorer la qualité de la justice suppose aussi de se préoccuper de la durée de l'instruction et de chercher les moyens de désencombrer les juridictions pénales.
Il existe cette fameuse règle, inscrite à l'article 4 du code de procédure pénale, selon laquelle le criminel tient le civil en l'état. Le projet de loi prévoit de confirmer le champ d'application de cette règle en précisant explicitement qu'il se limite aux seules actions civiles en réparation du dommage causé par une infraction faisant l'objet d'un procès pénal. Cela est parfaitement légitime.
Il s'agit ainsi de remettre en cause - vous l'avez déjà dit tout à l'heure, monsieur le ministre, mais je me permets d'insister sur ce point - la multiplication des plaintes pénales abusives et dilatoires, uniquement déposées afin de ralentir une procédure civile. Cette pratique est devenue courante en matière d'affaires financières, prud'homales ou familiales. À cet égard, les chiffres dont je dispose sont différents des vôtres, mais ils vont néanmoins dans le sens de votre démonstration, puisqu'il nous a été indiqué que 80 % des plaintes avec constitution de partie civile aboutiraient à un non-lieu au tribunal de grande instance de Paris. Ce taux progressant de semaine en semaine, il a peut-être été atteint tout récemment.
Je sais que cette mesure est très contestée. Nous en avons d'ailleurs assez longuement débattu en commission. Cela étant, je dirai sans hésitation à ceux qui voudraient que l'on ne modifie pas l'article 4 du code de procédure pénale que c'est évidemment à contrecoeur que nous envisageons de légiférer sur ce point : nous aurions préféré laisser le texte en l'état, mais certains comportements, parfois quasiment irresponsables, nous obligent à intervenir.
La commission des lois se félicite également des mesures présentées visant à empêcher les instructions et expertises injustifiées. Elle proposera d'ailleurs, par le biais d'un amendement, de rétablir le dispositif initialement inscrit dans le projet de loi, mais qui a été supprimé par l'Assemblée nationale, permettant au procureur de la République de prendre des réquisitions de non-lieu lorsqu'il est manifeste que les faits dénoncés par la partie civile n'ont pas été commis.
En outre, afin d'éviter des pourvois en cassation inutiles, voire préjudiciables à leurs auteurs parce que non présentés selon les formes appropriées, la commission a souhaité rendre obligatoire, comme en matière civile, la représentation par un avocat à la Cour de cassation pour tout pourvoi formé devant la chambre criminelle.
Enfin, nous nous intéresserons à la protection des mineurs, sujet qui a été abondamment évoqué à l'occasion de l'affaire d'Outreau.
Afin d'améliorer le « statut » du mineur victime issu de la loi du 17 juin 1998, qui malheureusement ne semble pas toujours appliquée sur le terrain, le projet de loi prévoit tout d'abord de rendre obligatoire l'assistance des mineurs victimes par un avocat, dès leur audition par le juge d'instruction.
Afin de renforcer l'obligation d'enregistrement audiovisuel des auditions des mineurs victimes, il est ensuite proposé de limiter les dérogations.
En particulier, le consentement de l'enfant ou de son représentant légal ne serait désormais plus requis pour procéder audit enregistrement. Il s'agit, par cette disposition, d'éviter que le refus de l'enfant ne soit invoqué, comme c'est trop souvent le cas actuellement, pour cacher une impossibilité technique ou la réticence des services concernés à procéder à l'enregistrement.
En outre, d'après les auditions que nous avons conduites, l'utilité de ces enregistrements est aujourd'hui incontestable, tant pour éviter aux enfants une multiplication excessive des auditions que pour la procédure pénale elle-même, le comportement ou la gestuelle du mineur pouvant également aider à la découverte de la vérité.
Lorsqu'un procès d'assises se tient, il n'est pas rare qu'il se soit écoulé trois ou quatre ans depuis que l'enfant a été entendu. Cela signifie qu'un enfant qui était âgé de onze ans au début de l'affaire se présentera devant la cour d'assises à l'âge de quatorze ans, voire de quinze ans. Son comportement aura alors bien sûr évolué, et il pourra s'avérer très utile, pour le jury, de prendre connaissance de la déposition initiale.
En conclusion, je dirai que, si ce projet de loi peut encore être amélioré, en particulier grâce aux amendements que nous présenterons, il apporte de réels progrès. C'est la raison pour laquelle la commission des lois demande au Sénat de l'approuver.