Il est vrai que, depuis très longtemps, nous avons des problèmes avec notre procédure pénale. Certes, en ce qui concerne l'audience, sous réserve d'améliorations que l'on pourrait apporter notamment pour le plaider-coupable et maintenant que le double degré de juridiction en matière d'assises a montré ses vertus, nous ne pouvons pas dire que nous ayons des interrogations majeures.
En revanche, au niveau de l'enquête et de l'instruction, nous sommes incapables d'atteindre l'équilibre qui est sans cesse évoqué. Nous nous sommes tous interrogés sur les raisons de cette difficulté, car les efforts n'ont pas fait défaut. L'heure n'est pas aux colloques ni aux réflexions académiques, mais je crois que demeure dans notre justice une sorte de pesanteur inconsciente, culturelle - la culture judiciaire est importante dans une vieille institution comme la nôtre - de plusieurs siècles de tradition inquisitoriale et de mainmise de l'État, depuis l'époque où le roi tenait le glaive de la justice.
Certes, depuis le code de procédure pénale, des améliorations très importantes ont été apportées, mais elles n'ont pas suffi à rééquilibrer et à renforcer les droits de la défense, bref à permettre à notre procédure de se situer dans une perspective contemporaine qui doit être celle de toute justice européenne. Grâce au contrôle de conventionnalité et au contrôle de constitutionnalité, des progrès notables ont été réalisés, mais ils sont encore insuffisants au regard des deux défauts structurels de la procédure pénale française.
Le premier, c'est l'indifférence, dans la pratique sinon dans la rhétorique, à la présomption d'innocence. Dans notre justice, il n'y a pas de véritable culture de la présomption d'innocence. Certes, on en parle, mais cela demeure une façade plaquée sur une réalité bien différente.
Nous n'en avons pas le temps ce soir, mais il faudrait s'interroger plus avant sur ce constat. Je n'ai pas besoin de souligner devant la Haute Assemblée que la présomption d'innocence est pourtant le fondement de toute justice dans un État de droit démocratique.
Le second défaut, c'est le recours excessif à la détention provisoire, qui est la conséquence directe du premier « vice ». On peut y ajouter, mais c'est une autre question, le problème de la solitude du juge d'instruction.
Les efforts du législateur n'ont pourtant pas manqué. On est effaré, pour ne pas dire effrayé, par le nombre de lois de réforme de la procédure pénale intervenues dans ces domaines. Vous avez mentionné les dernières lois adoptées en matière de liberté et de détention provisoire. Malgré tant d'efforts, et ici nous en avons connu, la situation demeure inchangée.
Dans ce contexte est intervenue l'affaire d'Outreau. Elle restera dans les annales judiciaires - j'en suis hélas convaincu ! - comme un véritable désastre. L'opinion publique, qui est pourtant volontiers encline à dénoncer le prétendu laxisme de notre justice et de nos magistrats, souvent flattée par des hommes politiques maniant la démagogie et le populisme, deux maux fatals à la démocratie, a été stupéfiée d'apprendre que des femmes et des hommes pouvaient être ainsi arrêtés, mis en examen, détenus pendant des années, et se donner la mort, désespérés par une machine judiciaire qui s'était emballée et était devenue aveugle. On comprend l'émotion générale.
M. Perben, alors garde des sceaux, a eu raison de présenter des excuses et des regrets, au nom de la justice, à celles et ceux qui en étaient les victimes. On a pointé du doigt des magistrats qui ont été déclarés responsables et aussitôt coupables. Selon moi, il appartient au seul Conseil supérieur de la magistrature de dire ce qu'il en est.
Mais ce qui est acquis, c'est une prise de conscience que de telles affaires ne devaient plus se renouveler, qu'il était intolérable que des innocents subissent du fait de la justice de tels sorts et de telles souffrances, sans qu'aucune illégalité n'ait pu être relevée. C'était donc l'application de la loi qui débouchait sur ce constat terrible. Ce drame s'inscrivait dans le cours ordinaire des choses, en ces temps où la chasse aux pédophiles est devenue, à certains égards, presque obsessionnelle.
Comme c'était son devoir, l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête rassemblant toutes les sensibilités politiques ; il en avait été également question au Sénat. Présidée avec énergie et efficacité par André Vallini, animée vigoureusement par son rapporteur Philippe Houillon, elle a procédé à des auditions publiques, y compris à celle de M. le garde des sceaux, qui mobilisèrent l'attention.
Cette commission a présenté un rapport qui fera date. Il conclut par quatre-vingts propositions de réformes, dont beaucoup concernaient la procédure pénale et en particulier l'enquête et l'instruction. Consensus a été acquis.
C'était un moment important - je dirais même rare - dans l'histoire de notre justice. En effet, pour la première fois depuis près de trente ans, un consensus s'était établi entre la majorité et l'opposition, entre les différentes forces politiques de notre pays, sur un ensemble cohérent de réformes de la procédure pénale.