Intervention de Robert Badinter

Réunion du 1er février 2007 à 21h45
Recrutement formation et responsabilité des magistrats équilibre de la procédure pénale — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Je vous réponds sur le champ, monsieur le garde des sceaux ! J'avais créé soixante-quinze postes. La réforme devant être mise en oeuvre en deux ans, soixante-quinze autres postes devaient être créés. Les soixante-quinze premiers postes ont délibérément été transférés au niveau des cours d'appel.

En lisant de vieux textes, j'ai retrouvé ce qu'avait déclaré Alain Peyrefitte en 1984. Après tant d'années, l'envolée de cet homme du premier talent, qui fut garde des sceaux et avec qui j'ai tant croisé le fer, m'a fait sourire : « en une matinée, nous débadintériserons la justice ».

Reconnaissons qu'il était tout de même difficile de rétablir la peine de mort et une juridiction d'exception et de supprimer toutes les lois que j'avais fait voter en faveur des victimes. Je pourrais également évoquer le domaine civil. Mais il restait une dernière réforme - la collégialité de l'instruction -, et celle-là, personne, pas même les magistrats, n'en voulait à l'époque. Le temps n'était pas encore venu.

Alors on a purement et simplement supprimé ces soixante-quinze postes. Depuis lors, on a modifié, bricolé, allais-je dire, et les mêmes causes - solitude, grande affaire, pression médiatique - produisant les mêmes effets, le résultat fut malheureusement l'affaire d'Outreau.

Aujourd'hui, les esprits ont changé, le temps est venu. Comme je l'ai fait en commission des lois, je ne peux que rappeler avec ironie le propos de notre éminent prédécesseur, qui fut également garde des sceaux, Edgar Faure, selon qui on a toujours tort d'avoir raison trop tôt. En politique, c'est assez vrai !

Nous en revenons aujourd'hui à la collégialité de l'instruction. C'est à mon avis le seul véritable acquis de cette réforme. Disons-le clairement, les pôles de l'instruction sont des préliminaires. La cosaisine que vous préparez préfigure évidemment l'instruction collégiale, par des équipes de magistrats instructeurs.

Cette réforme ne peut toutefois se faire ainsi, et ce sera ma remarque conclusive. Elle ne peut être réalisée qu'à trois conditions, qui valent pour toute réforme de la justice.

La première est une condition de moyens. Il est inutile d'y insister. Le budget d'abord ! M. Hyest a d'ailleurs fait quelques observations sur les postes disponibles.

La deuxième condition, c'est la révision de la carte judiciaire. Nous ne transformerons pas, nous ne moderniserons pas la justice française si nous ne nous décidons pas à en finir avec la question de la carte judiciaire. Une telle réforme est plus facile à réaliser pour un garde des sceaux entrant que pour un garde des sceaux sortant.

Les pôles de l'instruction ne constituent qu'un pas vers cette réforme. En effet, même si mille précautions sont prises, c'est bien la transformation de la carte judiciaire de l'instruction qui s'annonce, et elle est souhaitable. Le principe sera celui d'au moins un collège d'instruction par département. Quand cela ne sera pas possible, on procédera à des réunions, même si cela ne satisfait pas toujours les barreaux locaux.

La troisième exigence est la suivante. Toute la législature a été marquée par un accroissement considérable des pouvoirs du parquet. Il est grand temps de donner aux magistrats du parquet les mêmes garanties statutaires, disciplinaires et d'indépendance que les autres magistrats.

Je rappelle que le texte de la réforme constitutionnelle a été voté par l'Assemblée nationale et par le Sénat, mais qu'il dort ! Dans les semaines à venir, le Parlement se réunira en Congrès à Versailles pour adopter des réformes constitutionnelles. Certaines sont excellentes, d'autres le sont moins, nous en reparlerons.

Ce soir, je dis que rien ne sera possible si nous ne nous décidons pas à donner aux magistrats du parquet, grand corps hiérarchisé sous l'autorité du ministre, pour leur carrière et pour leur statut disciplinaire, les mêmes garanties que les magistrats du siège. Je souhaite que l'occasion soit saisie à Versailles prochainement.

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