Intervention de Christian Cambon

Réunion du 1er février 2007 à 21h45
Recrutement formation et responsabilité des magistrats équilibre de la procédure pénale — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Tout d'abord, le projet de loi ne porte en aucune manière le germe de la suppression de tribunaux de grande instance, contrairement à ce que nous entendons ici ou là. La constitution de pôles de l'instruction ne mettra nullement en cause le maintien d'un juge d'instruction dans chaque tribunal de grande instance.

Aujourd'hui, il existe, dans les faits, un poste de juge d'instruction par tribunal de grande instance, et cela en dépit de toute contrainte législative. On ne saurait revenir sur ce principe qui garantit un maillage équilibré de la justice judiciaire sur notre territoire.

De plus, le projet de loi a pour principale ambition d'améliorer l'accessibilité de nos concitoyens à la justice. La création de ces pôles - contexte d'Outreau oblige - nous a souvent été présentée comme un gain en matière de décision.

La collégialité permettra de rompre avec la solitude du juge d'instruction en instituant une culture de la concertation sur les actes les plus importants de l'instruction, comme la mise en examen ou le placement sous contrôle judiciaire. Ces pôles garantiront la continuité effective de l'instruction, alors même qu'elle est aujourd'hui trop souvent mise à mal par les mutations des magistrats en charge des procédures.

C'est surtout ce dernier aspect qui est essentiel pour nos concitoyens. Il s'inscrit dans notre volonté de garantir la rapidité de la justice pénale, même si nous ne partageons pas, chers collègues du groupe socialiste, l'engouement de votre candidate pour la justice chinoise, expéditive s'il en est !

J'aborderai maintenant les autres mesures importantes.

Certains esprits chagrins ont considéré que ce texte n'allait pas assez loin par rapport aux ambitions affichées dans les conclusions de la commission d'enquête sur la tragédie d'Outreau. Certes, beaucoup de gens auraient souhaité aller plus loin, mais ce sont les mêmes qui divergeaient sur les objectifs à atteindre en ayant des interprétations parfois très différentes des conclusions de ce rapport.

En la matière, le mieux est l'ennemi du bien. À quelques semaines de la fin de la législature, il n'aurait pas été possible de réformer en profondeur notre procédure pénale. Aussi, la solution que vous avez retenue, monsieur le garde des sceaux, est la bonne : concentrer l'action sur l'essentiel et sur ce qui pose le moins de questions pour avancer. C'est peut-être un pas modeste, mais c'est un pas réel, qui donne le ton de notre ambition pour la prochaine législature. Car, n'en doutons pas, le chantier demeure ouvert !

En matière de placement en détention provisoire, notre groupe souscrit pleinement aux propositions qui nous sont faites. N'oublions pas que l'affaire d'Outreau était avant tout « le procès de la détention provisoire abusive ».

Malgré tout ce qui a été entrepris depuis des années, la détention provisoire apparaît malheureusement toujours comme l'une des principales faiblesses du fonctionnement de la justice : une détention provisoire trop souvent préférée au contrôle judiciaire ; une définition imprécise des critères justifiant le placement en détention provisoire ; une durée de détention excessive, François Zocchetto l'a souligné, de deux ans en moyenne en matière criminelle et de six mois en matière correctionnelle ; enfin, un contrôle insuffisant du juge des libertés et de la détention, ainsi que de la chambre de l'instruction.

Pour corriger ces faiblesses, les dispositions proposées vont dans le bon sens.

Afin de faire disparaître un instrument dont on a plus qu'abusé, notre commission des lois propose, et nous soutenons cette initiative, de supprimer le recours au critère de « trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public » pour justifier un placement en détention provisoire en matière correctionnelle.

Ces dispositions suffiront-elles à tout régler ? Évidemment, non.

Malgré la création des juges des libertés et de la détention, qui ont pour mission de statuer sur le placement en détention des prévenus sur saisine du juge d'instruction, nous savons que plus de 90 % des demandes des magistrats instructeurs sont satisfaites.

Là où la création de magistrats spécifiques n'a pas réussi à faire baisser les statistiques, peut-on espérer que les mesures proposées enrayeront ce processus déjà ancien et pérenne ? Sans doute pas.

Mais ce texte, en posant les bonnes questions, place les jalons indispensables pour préparer le futur.

J'en viens à la question de l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue.

Vous le savez, monsieur le garde de sceaux, notre collègue Jean-Patrick Courtois a remis au ministre de l'intérieur un excellent rapport, particulièrement documenté et détaillé, sur cette question, rapport que François Zocchetto a également évoqué.

Ce rapport n'a malheureusement pas eu l'écho qu'il méritait à l'Assemblée nationale, et les arguments avancés pour en repousser les conclusions ont parfois été un peu légers ou équivoques.

Je ne reviendrai pas sur un débat qui, me semble-t-il, a déjà été tranché, mais je souhaite faire quelques observations.

Comme notre collègue l'a rappelé dans son rapport, la comparaison avec le système répandu dans les pays anglo-saxons n'est pas justifiée, car les situations sont bien différentes.

Ainsi, contrairement à une idée reçue, l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue n'est pas obligatoire dans les pays anglo-saxons. C'est sur l'initiative de la police elle-même que ce système est utilisé en tant qu'outil au service de l'enquête et non en tant que garde-fou.

De plus, ces pays n'ont pas empilé les procédures : la vidéo s'est substituée au procès-verbal détaillé au profit d'un allégement des contraintes procédurales, alors que, en France, elle viendra malheureusement se superposer à d'autres procédures.

Depuis le début, il y a, dans ce débat, une dimension qui gêne mon groupe. Tout le monde nous assure que cette disposition n'est pas une mesure de défiance à l'égard de la police. Pourtant, après les premiers arguments, l'idée de protéger le policier contre lui-même revient systématiquement.

Il ne faut pas accréditer la thèse d'une police violente et opaque. Aucun autre corps ne pratique l'autosanction avec autant d'application. Dans la magistrature, on compte moins de deux sanctions disciplinaires par an, soit soixante-treize sanctions depuis 1958 !

Il faut donc faire confiance à nos enquêteurs. Mais, en contrepartie, en cas de manquement, les sanctions doivent être exemplaires. Mon groupe plaidera donc pour la confiance préalable.

Je ne reviendrai pas sur l'argument du coût de la mesure : 72 millions d'euros, selon notre collègue Jean-Patrick Courtois, auxquels viendront s'ajouter annuellement 6 millions d'euros en budget de fonctionnement. Je ne reviendrai pas davantage sur l'inadaptation des locaux.

Toutefois, le législateur, qui connaît les difficultés budgétaires de la justice en France, peut s'interroger sur l'opportunité du dispositif. En effet, sur 300 000 enregistrements de gardes à vue de mineurs en cinq ans, seules quinze ouvertures de scellés ont été demandées. De plus, la rénovation des locaux de garde à vue - et en premier lieu, celle des cellules elles-mêmes - est indispensable, l'insalubrité de certaines cellules portant atteinte à la dignité des personnes retenues.

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