Intervention de Georges Othily

Réunion du 1er février 2007 à 21h45
Recrutement formation et responsabilité des magistrats équilibre de la procédure pénale — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Georges OthilyGeorges Othily :

Mais pourquoi remettre à demain, et en conscience, ce que l'on peut entreprendre aujourd'hui ?

Il ne faudrait pas décevoir les espoirs des Français sur cette question. Ils ont été nombreux à suivre les auditions de la commission d'enquête en 2006 et se sont ainsi emparés d'un débat jusque-là réservé aux initiés, débat qui avait été lancé dès la remise des travaux de la commission Delmas-Marty en 1991 et plus clairement encore depuis la remise, en janvier 2005 à votre prédécesseur, des travaux de la commission Viout sur les pistes de reformes du fonctionnement de la justice.

Les rapports et les travaux de qualité ne manquent pas, les propositions pertinentes, et pour la plupart indispensables, non plus ; nous les connaissons.

Des réformes simples m'apparaissent comme incontournables et urgentes, tant à la lecture des travaux de la commission d'enquête parlementaire que des rapports qui l'ont précédée. Au nombre de trois, elles sont en partie satisfaites dans le projet de loi ordinaire qui nous est aujourd'hui soumis : réformer la garde à vue, réformer les conditions de la détention provisoire et renforcer les garanties de la défense.

S'agissant de la garde à vue, j'estime qu'il nous faut sans tarder édifier un socle de garanties entourant ses conditions de mise en oeuvre et son déroulement. Autrement dit, il faut reconnaître un droit à l'information de la personne gardée à vue, information sur les motifs de sa rétention et sur la possibilité de recourir à un avocat qui devra lui-même être informé de la nature des faits motivant l'enquête. Ces garanties existent dans la plupart des législations de nos voisins européens. Le temps est désormais venu de les mettre en place dans notre pays.

Concernant la détention provisoire, l'affaire d'Outreau a bien mis en évidence qu'elle pouvait constituer très souvent une atteinte des plus graves au principe de la présomption d'innocence. Il est donc impératif, aujourd'hui, de réduire ce risque. C'est pourquoi il ressort des travaux de nos collègues députés comme une nécessité de supprimer le critère de l'ordre public. Ce motif apparaît insuffisamment précis et, de fait, il génère l'arbitraire. À cela s'ajoute la nécessité de réduire les délais de la détention provisoire. Nous pourrions ainsi revenir aux dispositions prévues par la loi de juin 2000, qui prévoyait une durée maximale en fonction du type de peine encourue.

Enfin, j'évoquerai le renforcement des droits de la défense. Aujourd'hui, le procès-verbal se caractérise par un trop grand déséquilibre entre l'accusation et les droits de la défense. Il apparaît indispensable de rétablir l'équilibre pour permettre les conditions nécessaires à un procès équitable. Il est souhaitable de poser le principe du droit de la défense à faire accomplir tel ou tel acte, qu'il s'agisse de confrontations, de vérifications matérielles ou encore d'expertise. Dans l'affaire d'Outreau, ce droit, s'il avait été exercé par la défense, aurait probablement permis d'éviter le drame que l'on sait.

Au-delà de ces réformes assez simples à mettre en place, il nous faut engager au plus vite une réforme plus globale et plus complète pour parvenir à une nouvelle architecture de notre justice pénale. Ici aussi, nous disposons des analyses et des expertises les plus rigoureuses élaborées avant et après Outreau dans divers rapports, qu'ils soient d'origine parlementaire ou qu'ils proviennent de collèges réunissant les meilleurs spécialistes de notre système judiciaire.

Outreau a mis en exergue la possible, et donc dangereuse, confusion des fonctions de procureur et de juge d'instruction, les deux principaux acteurs de l'instruction. En théorie, le procureur n'est pas en charge directement de l'enquête, mais exerce toutefois une influence qui peut s'avérer déterminante. Le juge d'instruction, quant à lui, a la charge de l'enquête et de son contrôle juridictionnel, en même temps qu'il doit instruire à charge et à décharge : tâche plus facile à dire qu'à faire !

Je ne crois pas qu'il suffise d'introduire des procédures contradictoires ou encore de la collégialité pour faire évoluer le système de façon totalement satisfaisante. À cela il est impératif, je crois, d'ajouter de la clarification. Et pour ce faire, je vois deux évolutions envisageables.

La première, sans remettre en cause le rôle du procureur et du juge d'instruction, consisterait à instaurer une réelle séparation entre le parquet et le siège. Actuellement, ils appartiennent au même corps et peuvent exercer indifféremment des fonctions au parquet comme au siège. Ainsi, le juge qui a instruit l'affaire d'Outreau a été nommé au parquet de Paris. À mon avis, ce système n'est pas judicieux. C'est pourquoi il conviendrait d'instaurer une séparation beaucoup plus nette entre les deux fonctions, voire d'aller jusqu'à scinder les deux corps.

La seconde piste, plus radicale et plus conséquente, me semble-t-il, serait d'envisager de transférer les pouvoirs d'enquête au parquet, de charger le juge d'instruction de contrôler l'enquête et d'instaurer une défense effective. C'est d'ailleurs ce qu'avait proposé la commission Delmas-Marty. Redistribuer ainsi les rôles de chacun est une solution qui suppose que le parquet dispose d'une véritable autonomie et que l'on en finisse avec le recours aux instructions individuelles.

Voilà brièvement exposées, monsieur le garde des sceaux, deux évolutions possibles vers lesquelles nous pourrions nous orienter. Reste qu'il y a un choix politique, mais pas nécessairement partisan, à faire et qu'il devra maintenant résulter des débats de la campagne présidentielle qui s'ouvre. Bien évidemment, une réforme d'une telle envergure nécessitera l'accompagnement de moyens financiers et humains adaptés, et, probablement, une loi de programmation s'imposera à la prochaine majorité, quelle qu'elle soit.

Ne décevons pas les Français ! Après l'adoption des deux textes qui nous sont aujourd'hui proposés par le Gouvernement et que la majorité de mon groupe et moi-même voterons, le chantier demeurera encore très vaste. Nous devons aux acquittés d'Outreau de le mener à bien au plus vite !

Les réflexions, les études, les rapports existent et sont connus. Il ne reste qu'à trancher et à choisir avant de mettre en oeuvre une nouvelle architecture et un nouveau fonctionnement de notre justice. Cette grande réforme de la justice est en effet capitale et un consensus existe sur sa nécessité. Toute la difficulté est désormais de la conduire au plus vite, sans retard ni précipitation !

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