Intervention de Jean-Paul Emorine

Réunion du 15 décembre 2004 à 15h00
Service garanti dans les transports publics de voyageurs — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine, président :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la continuité du service public des transports collectifs est un sujet récurrent dans notre vie publique. Pour s'en convaincre, il suffit de se remémorer les questions posées au Gouvernement et les propositions de loi déposées à ce sujet, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, depuis plus de vingt ans.

Cela s'explique par le fait que la paralysie sporadique des transports en commun dans notre pays pose un problème à la fois économique, social et politique.

C'est un problème économique parce que ses effets sur la vie des entreprises et les échanges intérieurs de notre pays sont considérables. Ainsi, les grèves survenues en 2003 à la SNCF ont occasionné, à cette seule entreprise, quelque 250 millions d'euros de pertes. Selon les estimations, celles qu'ont connues la SNCF et la RATP à la fin de l'année 1995 auraient coûté à l'économie nationale entre 0, 3 point et 0, 6 point du PIB, soit de 3, 5 milliards à 7 milliards d'euros. Pour qu'on puisse en apprécier l'ampleur, ces chiffres doivent être mis en regard des 2, 5 milliards d'euros que l'Etat verse à la SNCF au titre des subventions au régime spécial de retraite des cheminots, et des quelque 2, 3 milliards d'euros de soutien qu'il apporte, au titre des infrastructures, à Réseau ferré de France, RFF.

L'interruption ponctuelle de nos transports en commun pose aussi un problème social. Il nous faut penser à tous ceux de nos concitoyens qui, ces jours-là, attendent un train ou un bus pendant des heures et sont parfois contraints de renoncer à aller travailler parce qu'aucun véhicule ne passe ou parce que tous ceux qui passent sont déjà tellement remplis qu'il n'est plus possible d'y pénétrer.

C'est, enfin, un problème politique, à un double titre.

En premier lieu, le malaise que connaît notre système de transport public porte directement atteinte à notre modèle de service public. Celui-ci n'intègre-t-il pas au coeur de sa définition le principe de continuité, qui, justement, se trouve décrédibilisé quand le service est interrompu ?

J'incline à penser que ces phénomènes de paralysie expliquent, pour partie, la difficulté que nous avons à défendre auprès des instances européennes les vertus du service public à la française. Comment, en effet, convaincre nos partenaires des avantages de ce système quand, de temps à autre, ils voient dans la presse de leur pays des images de files entières de Français marchant dans la neige, parce que ce jour-là il n'y a plus assez de trains ou d'autobus dans une grande ville de France ? Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre, vous qui vous êtes déplacé dans différents pays d'Europe pour voir comment étaient organisés les services de transport collectif ?

Pour ma part, je suis convaincu qu'il nous faut être prospectif sur le sujet. La garantie d'une continuité minimale ne serait-elle pas, en effet, le meilleur des atouts du service public des transports dans la perspective de l'ouverture à la concurrence des lignes voyageurs en 2010 ?

Cependant, la continuité du service public pose aussi un autre problème d'ordre politique. C'est celui de sa conciliation avec un droit fondamental ayant reçu valeur constitutionnelle depuis 1946 : le droit de grève. Si une telle conciliation n'est pas hors de portée, elle est délicate à opérer. Les Français, qui sont de plus en plus nombreux à réclamer des garanties de transport en cas d'exercice du droit de grève, sont aussi très attachés à ce que ces garanties n'entravent pas ce droit. C'est également une préoccupation fortement exprimée à la commission des affaires économiques.

Pour répondre à ces défis et assurer l'avenir du service public, le Président de la République s'est engagé, lors de la campagne présidentielle, à ce que soient mises en place, au cours de son quinquennat, des procédures efficaces de prévention des grèves et à ce que soit organisé, de manière concertée, un service minimum.

C'est à vous, monsieur le ministre, qu'a incombé la tâche de traduire cet engagement dans les faits. Je vous laisserai le soin de rappeler au Sénat ce que vous avez déjà entrepris et me limiterai à dresser, en quelque sorte, un bilan d'étape de votre action.

Loin d'être négligeable, ce bilan est déjà significatif. S'inspirant de l'accord d'entreprise qui est en vigueur depuis plusieurs années à la RATP, l'accord sur l'amélioration du dialogue et la prévention des conflits signé à la SNCF le 28 octobre dernier par sept organisations syndicales, représentatives de près de 80 % du personnel, a pu être qualifié d'historique.

C'est, à mon sens, justifié car il marque une réelle relance du dialogue social en ce domaine. Il prévoit notamment de porter de cinq à dix jours la durée légale du préavis de grève, afin de réserver sept jours obligatoires à la négociation et trois jours au préavis technique de grève. Je crois qu'on peut ici rendre hommage à l'attitude responsable des syndicats qui ont construit cet accord.

Le mouvement ainsi lancé s'est d'ailleurs poursuivi. Le 7 décembre, l'Union des transports publics, l'UTP, regroupant les acteurs intervenant hors de l'Ile-de-France, a soumis à ses interlocuteurs syndicaux un projet d'accord inspiré de celui de la SNCF, s'agissant du volet relatif à la prévention des conflits. Cet accord comporte aussi un volet visant à organiser la prévisibilité du service le jour de la grève. Il prévoit, enfin, des règles garantissant la continuité des prestations de transport.

Le Groupement des autorités responsables de transport, le GART, vient lui aussi de prendre position dans le débat. Son président, M. Michel Destot, s'est récemment prononcé en faveur de la définition, par les autorités de régulation, des priorités du service public de transport collectif en cas de grève. Cela signifie que demain, départements, régions, communes, intercommunalités, chacun dans son secteur de compétence et dans le respect du principe de libre administration des collectivités locales, pourraient fixer des règles de service garanti. L'autorité de proximité pourrait ainsi désigner les sites devant être desservis prioritairement en cas de réduction de service du fait d'une grève. M. Destot vient d'ailleurs de soumettre un projet en ce sens au bureau du GART, qui regroupe des élus locaux de toutes les sensibilités politiques.

Beaucoup a donc été fait au cours des derniers mois. Est-ce pour autant suffisant ? On ne saurait encore le dire.

Il est vrai que, si des progrès indéniables ont été notés sur la prévention des conflits à travers l'accord signé à la SNCF, cette prévention ne saurait, à elle seule, répondre aux exigences du service garanti.

Elle se doit, à l'évidence, d'être complétée par des dispositifs de prévisibilité du service les jours de grève, à savoir l'information gratuite de tous les usagers sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas. Il convient aussi d'organiser la définition des garanties de service les jours de grève. Le rapport que vous aviez demandé, monsieur le ministre, au groupe d'experts piloté par Dieudonné Mandelkern a d'ailleurs souligné le caractère indissociable de ces trois éléments : prévention, prévisibilité, garanties de service.

Nous ne sommes donc qu'à la première étape du processus engagé. Les objectifs sont clairs : organiser, dans le respect du droit de grève, le respect des usagers du service public. La méthode est fixée : concertation et négociation entre tous les acteurs du dossier. Le calendrier et les modalités restent encore à préciser.

Trois questions se posent, en effet, avec une acuité particulière aujourd'hui.

La première : à quel horizon peut-on envisager de voir aboutir les procédures de dialogue social actuellement lancées, de manière globale, à l'UTP et au GART, mais aussi celles qui sont poursuivies à la SNCF et à la RATP, pour la prévisibilité concrète du service et les modalités de hiérarchisation des priorités de dessertes en cas de grève ? La fin du 1er semestre 2005 me paraît être un horizon décisif.

Deuxième question : l'intervention d'une loi fixant un cadre législatif au service garanti serait-elle opportune dans le contexte actuel ?

Enfin, troisième question : pourrait-on s'abstenir de fixer un tel cadre législatif si les négociations collectives actuellement en cours n'aboutissaient pas à une organisation optimale du service garanti ou si elles se prolongeaient au-delà du raisonnable ?

Notre commission a débattu de ces sujets la semaine dernière. Je ne pense déformer la pensée de personne en disant que le souhait d'un équilibre entre le bon fonctionnement du service public pour les usagers et le respect du principe constitutionnel qu'est le droit de grève a été largement partagé.

Comme il m'importe de laisser à mes collègues le soin de présenter leurs analyses, je ne m'étendrai pas sur le contenu de ces échanges. Mais il me paraît important de relever que l'orientation générale de la commission tendait à préconiser la mise en place négociée de dispositifs pertinents en phase avec les réalités du terrain, plutôt que l'adoption préalable d'une loi, même si l'intervention d'un tel texte n'est pas écartée par tous, notamment en cas d'échec des dialogues qui sont actuellement engagés.

J'attends maintenant de vous entendre, mes chers collègues, et de connaître votre point de vue, monsieur le ministre.

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