Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'invitation de M. le président de la commission des affaires économiques, qui est peut-être en service commandé, nous sommes réunis pour aborder un sujet particulièrement délicat : le service garanti - ou minimum, ce qui n'est pas tout à fait la même chose - dans les transports en commun, un an après nos collègues de l'Assemblée nationale. Les transports en commun sont bien sûr des services publics essentiels. Nous en parlons fort souvent ici même et de nombreux débats ont déjà eu lieu sur ce point. Le fait d'aborder ce sujet par le « petit bout de la lorgnette » n'est pas la meilleure façon de procéder. Néanmoins ce sujet mérite d'être abordé.
En effet, une année a passé et le contexte, depuis le débat à l'Assemblée nationale, n'est plus vraiment le même. Beaucoup d'encre a coulé, notamment à la suite de la publication du rapport de la commission Mandelkern, et aussi parce que, sur votre suggestion, monsieur le ministre, et grâce à l'implication des partenaires sociaux, la voie de la négociation a déjà porté ses premiers fruits : je pense bien entendu à l'accord sur le dialogue social et la prévention des conflits qui a été signé à la SNCF le 28 octobre dernier.
Vous avez bien compris, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne pourrait passer en force sur une question aussi sensible, et vous avez su, jusqu'à présent, résister aux sirènes des libéraux, des « durs » de votre majorité, qui rêvent manifestement d'en découdre. Mais jusqu'à quand ?
Vous avez demandé et obtenu un délai jusqu'au printemps prochain auprès des parlementaires de votre majorité qui, il faut le rappeler, ont déposé, depuis 1992, pas moins de quinze propositions de loi tendant à instaurer ce fameux service minimum.
Mais ils vous aiguillonnent, ils vous serrent de près. Comment expliquer, sinon, l'inscription à l'ordre du jour de ce débat, alors que les négociations sont en cours ? La pression est permanente sur le Gouvernement, et plus encore sur les partenaires sociaux.
Le recours à la loi, cela a été dit lors du débat au sein de la commission des affaires économiques, est clairement brandi comme une épée de Damoclès par une majorité de droite qui se veut silencieuse.
A la lecture de sa question, on pourrait penser que M. Jean-Paul Emorine semble plus préoccupé par le droit des usagers - pour une fois, on n'emploie pas le mot « clients », et je m'en félicite - que par le droit de grève. Mais, en réalité, il s'agit bien ici de débattre du droit de grève, et plus précisément de sa nécessaire conciliation avec le principe de continuité du service public.
Je souhaite que l'on ne se méprenne pas sur mes propos. Comme la plupart d'entre vous, je suis moi-même un usager et je ne méconnais pas les difficultés de nos concitoyens, souvent modestes, qui ont souffert des grèves et qui, sans moyen de transport de substitution, n'ont eu d'autre choix que de subir des embouteillages sans fin ou de prendre des jours de congé. Le sentiment de « prise d'otage » est une réalité ; nous ne pouvons l'ignorer. La grève est de moins en moins acceptée dans l'opinion, dont le sentiment « à chaud » est compréhensible, et se traduit en général dans les sondages brandis à l'occasion de tels événements.
D'ailleurs, les organisations syndicales en ont bien conscience. Elles sont les premières à reconnaître que la grève, ultime recours, est une forme d'échec. Qui fait grève de gaîté de coeur, par plaisir ? Et quel plaisir : celui de gêner les usagers, qui sont parfois aussi les membres de leur propre famille ?
Les usagers sont touchés, mais aussi les entreprises. Les grèves posent et ont posé de sérieuses difficultés dues à l'absence des salariés, mais également au manque de marchandises. Le fret ferroviaire, dont la survie est aujourd'hui en question, est également concerné.
Mais gardons-nous des idées simples. Le problème qui nous est posé n'est malheureusement pas simple. Les idées réductrices peuvent parfois séduire l'opinion, mais jamais durablement !
Je n'oublie pas, en effet, que la plupart des usagers sont aussi des salariés, et qu'ils affirment clairement, dans les mêmes sondages, leur attachement au droit de grève et à la recherche d'une solution négociée, plutôt qu'à un recours à la loi. C'est d'ailleurs également le cas de toutes les associations d'usagers des transports, surtout préoccupées par l'amélioration de la qualité du service.
Les usagers savent bien que le périmètre du droit de grève, malgré son caractère constitutionnel, se réduit dangereusement dans le secteur privé. Menaces de licenciement sous des motifs déguisés, « chantage à la délocalisation » : il faut le savoir, ce droit ne s'exerce déjà plus dans de nombreuses entreprises. C'est la réalité ! Je ne veux pas l'agiter comme un épouvantail, mais il ne faut pas non plus nous voiler la face : nous avons tous à l'esprit des exemples dans nos départements.
Et si la grève des transports est difficilement acceptée, c'est aussi en raison de la précarisation du marché du travail, qui amplifie la peur des salariés de donner à leur employeur des motifs de mécontentement.
Du coup, la tentation est grande d'opposer les Français entre eux - fonctionnaires contre salariés du secteur privé, grévistes contre non grévistes -, de faire culpabiliser les uns, de mettre en avant la fureur des autres, alors que, au fond, tous sont les victimes du déclin, malheureusement programmé, des services publics.
Pourtant, nous, élus de terrain, savons que les Français sont attachés à leurs services publics. Ils le disent tous les jours à propos des transports, mais aussi des bureaux de poste, des perceptions, autant de secteurs menacés par le Gouvernement avec la bénédiction de la majorité. La Creuse, par exemple, hurle son sentiment d'abandon, et toute l'opinion sent bien, sait bien, que ce n'est qu'un début.
Les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux, les présidents d'établissement public de coopération intercommunale le savent encore mieux. La décentralisation du 13 août - la pseudo-décentralisation, devrais-je dire -, malgré les promesses financières, les conduits déjà à planifier les augmentations d'impôts locaux. Et nos concitoyens penseront peut-être demain que c'est la faute de ces mauvais gestionnaires, pourtant présentés aujourd'hui comme bien meilleurs que l'Etat. Quelle ironie !
La sphère publique se réduit chaque mois : hier France Télécom, aujourd'hui Air France, Aéroports de Paris et DCN. Demain, pourquoi pas La Poste ou la SNCF ? Le modèle social issu de la Libération, ce système « à la française », s'effrite. Retraites, sécurité sociale, 35 heures - je vous renvoie à l'intervention de M. le Premier ministre la semaine dernière -transformées en 40 heures ou plus, avec les dernières mesures annoncées, les acquis sociaux de plusieurs dizaines d'années sont remis en question, ouvertement, ou insidieusement. C'est le « grand bond social », mais en arrière !
Traumatisée par les grèves de 1995 contre le gouvernement Juppé, votre majorité aborde la question du droit de grève dans les transports en marchant sur des oeufs. Elle encourage la négociation, elle salue l'esprit de responsabilité d'un certain nombre de syndicats, elle sanctifie le dialogue social. Que de prévenance ! On comprend mieux ses préventions. Pour autant, elle n'en brandit pas moins la menace de légiférer en cas d'échec des négociations. Les salariés et leurs représentants sont prévenus !
Revenons à ce qui est à la fois un point de droit constitutionnel et une question politique : droit de grève et continuité du service public.
Traditionnellement, la grève est définie comme une cessation concertée du travail par des salariés, dans le but de défendre des revendications de nature professionnelle. Elle est l'outil extrême, ultime, devant une négociation qui ne se noue pas ou devant une négociation bloquée.
Jusqu'au XIXe siècle, non seulement la grève était interdite mais elle constituait un délit pénalement sanctionné. C'est seulement le 25 mai 1864 qu'une loi, obtenue à la suite de luttes ouvrières dans un Second Empire déjà sur le déclin, mit fin à cette pénalisation de la grève, sans toutefois donner sa pleine portée à cette mesure. Selon les termes de cette loi, la grève constituait en effet toujours une rupture du contrat de travail et pouvait justifier le licenciement du salarié gréviste.
Pourtant, malgré les risques encourus par les salariés, la grève a joué également, tout au long de la IIIe République, un rôle majeur dans la vie politique et sociale.
Ce n'est qu'à la Libération que le droit de grève a été totalement et pleinement consacré, inscrit dans le préambule de la Constitution du 28 octobre 1946 : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.» Contrairement à ce que semblait annoncer ce texte, le législateur est rarement intervenu pour encadrer le droit de grève, seulement pour l'interdire à certaines catégories de personnels. Ce fut le cas des compagnies républicaines de sécurité, les CRS, en 1947, des personnels de police, en 1948, et des magistrats, en vertu d'une ordonnance de 1958. En raison de cette carence du législateur, le Conseil d'Etat, tout en reconnaissant le droit de grève des fonctionnaires, a demandé à l'administration de réglementer les conditions de son exercice : c'est le fameux arrêt Dehaene de 1950.
Sous la Ve République, le droit de grève est totalement reconnu : le préambule de la Constitution de 1958 fait référence au préambule du texte constitutionnel de 1946.
Cependant, le législateur est intervenu en 1963 pour encadrer quelque peu ce droit. Sont ainsi interdites les grèves « tournantes », qui visent à paralyser l'action d'une entreprise. De même, dans la fonction publique, un syndicat souhaitant organiser une grève est contraint de déposer un préavis cinq jours au moins avant la cessation du travail. La loi du 9 octobre 1982 prévoit même que, pendant ce préavis, les parties sont tenues de négocier. Hélas ! ce délai ouvert à la discussion a été trop rarement utilisé.
Par ailleurs, un service minimum a été mis en place dans certains secteurs. Le contrôle aérien fait ainsi l'objet depuis 1964 d'une prise en charge minimale pour des raisons évidentes de sécurité. Il en va de même, depuis 1979, pour la télévision et la radio, qui ont l'obligation de diffuser un journal d'information par jour.
En outre, la réquisition des fonctionnaires reste un des moyens à la disposition du chef de l'administration, c'est-à-dire le Premier ministre.
Cependant, mes chers collègues, dans les transports, le service minimum existe déjà, de fait. Au plus fort des grèves de 1995, des trains roulaient, certes de façon peu organisée, je vous l'accorde.
Quand la majorité parle de service garanti, c'est pour mobiliser les salariés non grévistes aux heures de pointe. Des propositions de loi ont d'ailleurs déjà été présentées en ce sens. Or interdire la grève avant dix heures et après dix-sept heures, comme cela a été suggéré, c'est déjà interdire la grève !
Nous savons bien que la grève demeure un rapport de forces très difficile à canaliser juridiquement. Ainsi, l'occupation d'une entreprise à l'occasion d'une grève est une infraction. Le juge judiciaire, lorsqu'il est saisi d'une telle violation du droit de propriété et de la liberté de travailler des salariés non grévistes, ordonne très fréquemment l'évacuation de l'entreprise concernée. Mais il n'est pas rare que les forces de l'ordre renâclent à exécuter ces décisions de justice, de peur de provoquer de graves troubles à l'ordre public.
C'est la preuve que le droit trouve sa limite. Bien souvent, en dernière analyse, la négociation entre syndicats et employeurs prend le relais.
Le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence, a été amené en 1979 à rappeler de nouveau le caractère constitutionnel du droit de grève. Mais c'est également à la même époque qu'il a érigé au même niveau juridique le principe de la continuité du service public. Tout est donc dans l'équilibre entre ces deux principes de même valeur, et cet équilibre reste à définir.
Comment, pour satisfaire les promesses électorales du Président de la République, le Gouvernement pouvait-il aborder le problème et tempérer, si possible, les ardeurs de quelques « durs » de sa majorité parlementaire ? En confiant le sujet à une commission. Ce fut fait.
Quelles sont les principales propositions du rapport Mandelkern, rendu en juillet dernier ? D'abord, il suggère le recours à la loi. Ensuite, il remet la définition de ce service garanti aux autorités organisatrices de transport, à savoir les régions pour les TER, les communes et les EPCI pour les transports urbains et, dans une moindre mesure, les départements, l'Etat restant bien sûr l'autorité organisatrice des transports ferroviaires pour les grandes lignes et le TGV.
Par ailleurs, ce rapport suggère qu'un salarié ayant l'intention de faire grève le déclare quarante-huit heures à l'avance, afin de permettre à sa hiérarchie d'organiser le service. Comme il fallait s'y attendre, cette dernière proposition a particulièrement hérissé les syndicats, qui y ont vu une restriction claire et nette du droit de grève. Il semblerait que le Gouvernement soit moins catégorique sur ce point. Vous nous apporterez certainement des précisions dans votre réponse, monsieur le ministre.
Enfin, le rapport suggère de confier à une autorité administrative indépendante le soin de veiller à la bonne application de ces propositions. S'agit-il d'un énième observatoire ? D'une structure plus dirigiste ? Nous nous interrogeons fortement sur son opportunité. Si c'est un observatoire, vous qui prônez les économies, voilà un bon moyen d'en faire !
Bien entendu, il ne peut être question que cette autorité ait un rôle juridictionnel.
Quoi qu'il en soit, à la suite de la publication de ce rapport, le Gouvernement a choisi dans un premier temps - prudemment - la voie du dialogue social et a demandé aux entreprises de transports et aux syndicats de négocier pour la mi-septembre des accords sur la prévention des conflits, sur le modèle du système adopté à la RATP en 1996 et confirmé en 2001 par l'ensemble des syndicats, y compris la CGT, non signataire cinq ans auparavant ; je veux parler du fameux système d'« alarme sociale », qui a permis de diviser par cinq le nombre de jours de grève par salarié. Mais les négociations ont été quasi inexistantes, il n'y a pas eu de résultat à la date prévue, et il était inenvisageable de passer en force.
Fort heureusement, l'accord du 28 octobre dernier à la SNCF, qualifié d'« historique » puisque signé par tous les syndicats majoritaires, mais ni par FO ni par Sud Rail, vient relancer tous les espoirs. Il institue notamment une procédure de « concertation immédiate », d'une durée de dix jours pendant lesquels les parties négocient pour éviter la grève.
Des négociations inspirées de ce modèle sont en cours depuis la semaine dernière entre l'Union des transports publics, le patronat des transports urbains de province, qui rassemble environ 170 entreprises et 42 000 salariés, et les syndicats. L'un des volets des propositions du patronat comprend un dispositif de « concertation immédiate », l'autre un « plan de transports prévisionnel » présenté aux usagers vingt-quatre heures avant la grève afin de leur permettre de s'organiser. Dans cette question, l'information est, il est vrai, déterminante. Nous sommes là au coeur des négociations. Notre conseil : laissons-les se mener, tentons de ne pas les perturber.
En fait, la question n'est-elle pas plus politique ou idéologique que juridique ? Force est de reconnaître que le droit de grève est le résultat de luttes parfois très dures, qui ont marqué la conscience de la nation.
Et pourtant, l'acuité du problème diminue. En effet, ces dernières années, le nombre de jours de grève a eu nettement tendance à diminuer. De plus, rappelons que les trois principales associations d'usagers ne réclament pas de loi sur le service minimum.
La grève comme expression de la conflictualité sociale a perdu de sa vivacité, essentiellement en raison d'un chômage massif : peur de perdre son emploi, coût financier réel des grèves à un moment où le pouvoir d'achat n'est pas à la hauteur des espérances, émergence d'une solidarité avec les usagers - travailleurs ou étudiants -, qu'on ne veut plus prendre en otage.
C'est également vrai dans le secteur public où 50% des préavis déposés ne sont pas suivis d'effet. Et le nombre de jours de grève par salarié est en forte diminution.
Pour nous, c'est clair, nous ne pouvons souscrire aux propositions des « ultras » de la majorité, qui expriment certainement ce que beaucoup dans ses rangs pensent tout bas, et qui proposent de légiférer par une loi-cadre. En effet, instaurer un service garanti à certaines heures de pointe reviendrait immanquablement à restreindre le droit de grève.
A la fin de l'année 2003, nos collègues députés socialistes, en particulier, ont plaidé pour une généralisation de l'alarme sociale, à l'instar de celle qui a été mise en place à la RATP. Les résultats récents montrent qu'il faut persévérer dans cette voie.
De plus en plus, le dialogue permet à la grève de ne plus apparaître comme l'ultime moyen de règlement des conflits. Il évite de brandir en permanence, comme la majorité le fait actuellement, la menace d'une loi sanctionnant à l'avance l'échec des négociations, qui serait, pour reprendre la formule de certains, « le pistolet sur la tempe ».
Par ailleurs, il existe déjà une loi, celle de 1963. Appliquons-la ! Ne serait-il pas temps de mettre sérieusement à profit les cinq jours de préavis légal ? D'autant que, grâce aux accords, ils sont désormais précédés d'une période plus longue de concertation.
D'ailleurs, et sur un plan plus technique, une seule et unique loi pourrait-elle réglementer la grande diversité des situations ? Chacun s'accorde à le reconnaître, ce serait très difficile. Il suffit, pour s'en convaincre, de se pencher sur les différences des problèmes de transport entre régions urbaines et zones rurales.
On cite souvent l'exemple d'autres pays, notamment l'Italie, qui a instauré par la loi un service garanti : l'expérience récente montre que ces dispositions n'empêchent pas pour autant l'émergence de grands mouvements sociaux.
Le Gouvernement a, semble-t-il, trouvé un moyen fort habile de faire partager cette question par les collectivités locales, déjà bien chargées par le fardeau de la décentralisation. Il a reçu les représentants des autorités organisatrices de transports, pour leur expliquer qu'il leur reviendra la responsabilité de définir leurs besoins en termes de « prévisibilité » du service en cas de grève. On parle même, je l'ai entendu dire, d'une loi au printemps qui viendrait les obliger à définir ces besoins. Je souhaiterais vivement entendre la position du ministre sur ce point.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble des conseils régionaux, y compris le conseil régional d'Alsace, l'ensemble des conseils généraux ont exprimé leur très forte réticence devant cette perspective. Ils ont accepté la responsabilité d'organiser les services de transport, mais on ne peut oublier qu'ils ont hérité de matériels, en particulier ferroviaires, souvent vieillissants et qu'ils sont prêts aux efforts nécessaires pour les moderniser et s'inscrire dans le temps. Ces autorités se verraient mal devenir la cible de la colère de ces salariés et usagers, en cas de manifestations. Par ailleurs, la définition d'un service garanti les obligerait à faire des choix d'horaires et de destination, donc à faire un tri entre citoyens bénéficiaires ou non. Ainsi, on assisterait, en fonction de priorités diverses, à l'émergence de « droits de grève » différents selon les régions. Ce serait ingérable sur un plan opérationnel, encore moins envisageable en droit !
Enfin, entre celles de l'Etat et celles des autres autorités organisatrices, quelles priorités l'emporteraient ? Les TGV prestigieux ou les trains de banlieue ? Les salariés les plus modestes feraient-ils les frais de ces choix ?
En fait, mes chers collègues, la priorité de l'Etat, garant des services publics, doit être d'anticiper et de prévenir les conflits. Et cela passe, pour nous, d'abord par la définition d'une véritable politique en faveur des transports en commun. Cette question a été évoquée vendredi dernier, lors du débat budgétaire.
Alors que l'actuelle opposition avait multiplié par sept les crédits accordés aux transports ferroviaires dans les contrats de plan sous la précédente législature, favorisé les plans de déplacements urbains et les réseaux de transports collectifs en site propre, les signaux négatifs se multiplient depuis quelques années.
Ainsi, les aides aux transports urbains sont purement et simplement supprimées, en dehors de quelques reliquats de crédits notoires comme ceux qui concernent le tramway de Bordeaux. Que les collectivités se débrouillent comme elles peuvent !
La dette ferroviaire s'envole de 15 milliards d'euros en 1990 à 41 milliards en 2004, et l'Etat ne parvient pas à contenir cette envolée.
On vient de créer une agence de financement des infrastructures, pour laquelle vous avez eu notre soutien, mais alors qu'on annonce 70 % des moyens pour des modes de transport alternatifs à la route, le décret de création est muet sur ce point et cite la route en premier.
Les dotations à Réseau ferré de France ne permettent pas un bon entretien du réseau, ce qui génère un ralentissement des trains sur près de 1 500 kilomètres de voies. Belle incitation à recourir aux transports en commun !
La SNCF, entreprise nationale, est soumise à des péages qui augmentent chaque année de 60 millions d'euros et à une facture d'électricité qui est passée de 300 millions à 420 millions d'euros en un an. Comment imaginer qu'elle pourra tenir longtemps sans répercuter cela sur le prix du billet ?
Des parlementaires de la majorité fustigent, paraît-il, la SNCF qui a présenté au public ses conceptions du service public au travers d'une charte. Mais c'est tout à son honneur et son devoir. J'ai appris très récemment que la RATP s'apprête à faire de même.
Heureusement, les régions, désormais compétentes, modernisent le matériel roulant et tentent au mieux d'améliorer la ponctualité des services. Dans ma région, comme dans de nombreuses autres, des comités de dessertes des lignes associent l'entreprise, les syndicats, les usagers et les collectivités pour organiser aussi intelligemment que possible le service. Nous préférons ce dialogue permanent, cet échange d'informations, ce compromis entre ce qui est souhaitable et ce qui est possible.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'espère sincèrement que cette question délicate que vous avez voulu aborder aujourd'hui trouvera sa réponse dans les négociations qui se tiennent actuellement, dans la droite ligne des signaux positifs qui sont envoyés depuis la SNCF et la RATP, et qu'il ne sera pas nécessaire de brandir à nouveau la menace d'une loi, qui ne satisferait certainement personne à court terme, tant les situations à régler sont diverses.
J'espère également que, en s'abstenant pour une fois sagement de légiférer, le Parlement réaffirmera à cette occasion son attachement, l'attachement de la nation, au droit de grève, qui tient une place si particulière dans notre histoire, et qui figure dans le traité constitutionnel européen.
Ce droit n'est pas incompatible, loin s'en faut, avec la continuité et le développement d'un service public moderne, efficace, que souhaitent les salariés de ces entreprises et que tous nos concitoyens appellent de leurs voeux.