Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 15 décembre 2004 à 15h00
Service garanti dans les transports publics de voyageurs — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Philippe GoujonPhilippe Goujon :

J'en veux pour preuve ce qui est arrivé en 2003 au moment de la réforme sur les retraites : les syndicats qui ont appelé à la grève n'étaient pas ceux qui étaient concernés par la réforme.

La situation est particulièrement sensible, vous en conviendrez, en région d'Ile-de-France où les habitants des communes riveraines de Paris sont les principaux concernés. Pour eux, le trajet entre le bureau et le domicile en cas de grève devient parfois un véritable parcours du combattant ; mes collègues, élus franciliens, me comprennent parfaitement.

Les transports collectifs assurent plus de 60 % des déplacements mécanisés à Paris, et 30 % d'entre eux à l'échelle de la région. A Paris même, seuls 44, 5 % des ménages disposent d'une automobile, ce qui est la proportion la plus faible de tous les départements français. Plus d'un million de Parisiens se trouvent ainsi en situation de dépendance totale à l'égard des transports publics.

Or nos concitoyens ont souvent le sentiment que la grève est devenue le moyen habituel de se faire entendre et que la surenchère syndicale est parfois le principal moteur du conflit. Alors que le service minimum existe aujourd'hui dans les hôpitaux, à la radio et à la télévision, dans les établissements détenant des matières nucléaires et dans le secteur de la navigation aérienne, comment leur expliquer que rien n'est possible dans les transports publics, même si la paralysie est quelquefois presque totale ? Et je ne parle pas du coût des grèves pour l'entreprise et pour toute la collectivité nationale, qui se chiffre en millions d'euros.

Nous ne devons pas nous y tromper, nos concitoyens se montrent très soucieux de cette question. Les différents sondages l'attestent : ils sont favorables, pour les trois quarts d'entre eux, à la mise en place d'un service garanti. En 2001, lors des grèves à la SNCF, le Président de la République avait déjà plaidé en ce sens, et le Premier ministre avait ensuite prôné la discussion dans son discours de politique générale. Des parlementaires, appartenant tant à l'UMP qu'à l'UDF, avaient en outre déposé des propositions de loi portant sur ce thème, ce qui est tout à fait normal dans notre démocratie.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous devons trouver des dispositions opérationnelles permettant de répondre à toutes ces attentes. La mise en place d'un service garanti est un élément indispensable au bon fonctionnement de notre économie et au respect de la liberté de circulation de nos concitoyens.

Certes, les orateurs qui m'ont précédé l'ont souligné, la question est politiquement, juridiquement, socialement compliquée, nous ne le nions pas, et elle se pose dans toute sa complexité au moment où nos services publics s'ouvrent sur l'Europe et où l'attention des consommateurs et des citoyens se porte de plus en plus sur la qualité de ceux-ci.

Deux problèmes essentiels doivent, en effet, être résolus.

Il s'agit, d'une part, de la mise en compatibilité de deux principes de valeur constitutionnelle, à savoir le droit de grève et la continuité des services publics, sinon trois avec celui de la libre administration des collectivités territoriales, car la compétence en matière d'organisation du service public s'exerce désormais à l'échelon tant décentralisé que national.

Il s'agit, d'autre part, de la définition du contenu du service garanti, sachant que la variation du nombre de voyageurs transportés est aujourd'hui de plus en plus faible entre les heures de pointe et les heures creuses.

Plusieurs autres questions doivent également être abordées : qui assurera la régulation de ce service garanti ? Quels services publics seront concernés ? Uniquement les transports ? En Ile-de-France et en province, sachant que l'Ile-de-France présente une situation dérogatoire du fait qu'un opérateur, la RATP, bénéficie d'un monopole légal d'exploitation des transports publics urbains pour le coeur d'agglomération ? Je salue d'ailleurs la volonté affichée hier soir encore par la RATP de s'engager auprès du syndicat des transports en Ile-de-France sur un certain niveau de service garanti en cas de perturbations du trafic. Cette volonté de la RATP est à souligner.

Depuis votre entrée en fonction, monsieur le ministre, vous vous êtes totalement impliqué dans l'examen de ce dossier pour trouver des solutions, et nous vous en donnons acte : vous avez ouvert une large concertation avec les organisations syndicales, les représentants des usagers, des entreprises et des élus ; vous avez accompli un tour d'Europe des pratiques afin de disposer d'une connaissance approfondie des dispositifs existant chez nos voisins et partenaires ; vous avez mis en place une commission de réflexion, dont le président, M. Mandelkern, a remis le rapport, abondamment cité dans notre débat, à la fin du mois de juillet dernier, et, parallèlement, vous avez demandé aux entreprises de transport terrestre de conclure des accords de prévention des conflits.

A ce stade, nous acceptons bien évidemment la méthode que vous avez choisie, monsieur le ministre, d'autant qu'elle a commencé à porter ses fruits. Ainsi, en octobre dernier, la majorité des syndicats de la SNCF a pu signer un accord - historique, je le concède, monsieur Reiner -, sur la prévention des conflits et l'amélioration du dialogue social. Ce dispositif est d'ailleurs comparable à celui qui existe à la RATP depuis 1996 et qui fait que, aujourd'hui, avec 0, 14 jour de grève par agent, le chiffre le plus faible depuis vingt ans y a été atteint dans ce domaine, un préavis de grève sur deux n'étant pas du tout suivi.

Depuis lors, monsieur le ministre, vous vous êtes déclaré déterminé à poursuivre dans la voie des négociations et à agir, en matière tant de continuité du service public que de prévisibilité et d'organisation du trafic en cas de grève, selon un calendrier qui nous mènera, globalement, jusqu'à juin 2005. Nous vous donnons acte de ces engagements, mais nous serons bien sûr extrêmement vigilants - c'est notre rôle - à ce qu'ils débouchent sur des mesures concrètes présentant toute l'efficacité requise, comme le souhaitent nos concitoyens. Les Français, notamment ceux d'entre eux qui vivent dans les grandes villes, attendent que vous réussissiez.

Un point particulier mérite d'être mis en exergue : en cas de grève, il faut que nos concitoyens usagers bénéficient gratuitement d'une information fiable sur le trafic. A cet égard, la RATP vient d'engager, à votre demande, monsieur le ministre, des négociations sur la prévisibilité du trafic, notamment avec une vingtaine d'associations de consommateurs, qui devraient aboutir d'ici à la fin du premier trimestre de 2005.

Le Sénat, au premier chef les membres de mon groupe, est particulièrement attentif à ce dossier, et cela depuis plusieurs années puisque, en février 1999, notre assemblée avait déjà adopté une proposition de loi visant à prévenir les conflits collectifs du travail et à garantir le respect du principe de continuité des services publics.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, notre groupe vous demande d'aboutir et de montrer votre totale détermination - nous savons qu'elle est réelle -, pour que les accords conclus soient respectés, et améliorés si cela s'avère nécessaire, en ne renonçant à aucun des moyens d'intervention à votre disposition. Vous avez encouragé la négociation et vous avez obtenu des résultats, mais ce n'est qu'une première et importante étape ; il faut continuer et parvenir à doter enfin la France d'un service garanti pour les transports publics de voyageurs, comme il en existe dans d'autres pays européens.

Par ailleurs, l'élu parisien que je suis n'est pas moins attentif à ce qui se passe en province. Il est en effet nécessaire, monsieur le ministre, de doter les services de transports collectifs de province de dispositifs similaires à ceux qui existent déjà à la RATP et à la SNCF et d'aller plus loin, afin d'établir une réelle définition du service garanti les jours de grève.

Ainsi, nous le disons en toute clarté, nous vous donnons bien volontiers acte, monsieur le ministre, de vos engagements et de votre choix de procéder par la voie de la négociation, que vous avez eu tout à fait raison d'emprunter, mais vous avez l'obligation de réussir, et ce le plus rapidement possible. En cas d'échec de la concertation, nous n'hésitons pas à l'affirmer, le recours à la loi ne doit pas être écarté ; le rapport Mandelkern conduit d'ailleurs à le juger indispensable.

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