Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez que, en tant qu'auteur de deux propositions de loi tendant à assurer un service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics, je sois particulièrement sensible au thème dont nous débattons aujourd'hui grâce à l'initiative de notre excellent collègue Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Le 11 février 1999, ma première proposition de loi portant sur ce sujet a été débattue et adoptée par le Sénat ; puis, constatant qu'elle demeurait sans suite, j'ai déposé, le 3 décembre 2003, une nouvelle proposition de loi ayant un objet semblable, en guise de rappel.
La proposition de loi adoptée par le Sénat constituait en fait un véritable appel, adressé aux partenaires sociaux, aux employeurs et au Gouvernement, à négocier des accords sur la prévention des conflits. Elle visait à étendre la durée légale du préavis de grève et à inviter le Gouvernement à présenter au Parlement un rapport dressant le bilan des conflits dans les services publics, des procédures négociées de prévention des grèves et des dispositifs tendant à assurer la continuité des services publics.
Ce sujet est toujours d'actualité. D'autres propositions de loi ayant pour objet d'instaurer un service minimum ou un service garanti - peu importent les termes - ont été déposées sur les bureaux des deux chambres, mais, à ce jour, aucune d'elles n'a abouti.
Pourtant, 80 % des Français sont favorables à l'instauration d'un service minimum dans les services publics, notamment en matière de transport.
En effet, les grèves dans la fonction publique ou dans les entreprises de service public sont souvent paralysantes et dommageables pour l'ensemble des parties intéressées, et au-delà pour la nation tout entière. Chacun se souvient du blocage des transports collectifs engendré notamment par les grèves de 1995 et du printemps de 2003. Cette paralysie a été d'autant plus préjudiciable qu'elle s'est accompagnée d'un ralentissement général de l'activité économique nationale et du fonctionnement des autres services publics, une grande partie de la population active n'ayant pu se déplacer normalement. Ainsi, les grèves de 2003 à la SNCF ont causé une perte de quelque 250 millions d'euros.
Cette situation constitue une véritable exception française. Je rappellerai, à titre d'exemple, qu'en Allemagne, si je me réfère au rapport rédigé en 2003 par notre collègue député M. Lecou, la grève la plus longue dans les transports urbains depuis 1992 a duré trois quarts d'heure... En outre, ce pays n'a connu que quatre ou cinq grèves dans les transports depuis les années cinquante, et la jurisprudence allemande fixe à quatre heures la durée maximale des grèves d'avertissement.
La particularité française tient à la combinaison de trois éléments principaux : un droit de grève large, une continuité du service public très partiellement garantie et un dialogue social limité, voire inexistant.
Tout d'abord, le droit de grève, qui a une valeur constitutionnelle, connaît en France peu de restrictions. Seules quelques catégories de fonctionnaires, telles que les personnels de la police, les militaires et les magistrats de l'ordre judiciaire, ne peuvent recourir à la grève.
Par ailleurs, n'importe quelle organisation syndicale peut déclencher une grève, même si elle ne représente qu'une très faible minorité des salariés concernés. De plus, les obligations fixées par la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics sont assez réduites : préavis de cinq jours francs motivé et interdiction des grèves surprises et des grèves tournantes.
Ensuite, le service minimum n'est réglementé en France que dans quatre secteurs principaux : les établissements et organismes de radiodiffusion et de télévision, les établissements détenant des matières nucléaires, le contrôle de la navigation aérienne et le domaine de la santé publique.
Enfin, le dialogue social est limité dans notre pays, comparativement à ce qu'il est chez nos voisins européens. Cela tient à plusieurs raisons.
Tout d'abord, les organisations syndicales sont affaiblies par un taux de représentativité peu élevé.
Ensuite, les syndicats ont des missions plus réduites en France que dans d'autres pays européens.
De surcroît, notre tradition étatique et centralisée tend historiquement à limiter le recours à la voie contractuelle, contrairement à ce qui se pratique dans les pays scandinaves et anglo-saxons.
Enfin, la comparaison avec les autres pays industrialisés atteste de la relative insuffisance, en France, des mécanismes de concertation et de prévention des conflits. Le recours à la grève préventive dans notre pays en témoigne.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'approuve entièrement le processus que vous avez mis en oeuvre depuis plus d'un an déjà, avec des résultats tangibles. Lorsque deux principes fondamentaux, à savoir le droit de grève et la continuité du service public, s'opposent à ce point, il convient de changer de langage afin de les réconcilier, sans y porter atteinte. C'est la voie que vous avez ouverte, et cela va dans le sens que nous avions souhaité lors du débat de février 1999 au Sénat.
Toute honte bue, je me permettrai de citer les propos que j'ai tenus ce jour-là, à cette même tribune : « Ma proposition, tout en réaffirmant le droit de grève comme imprescriptible, tente de concilier ce droit avec une autre exigence tout aussi fondamentale, la continuité du service public. Derrière la continuité du service public, il faut considérer les usagers de ces services : particuliers ou entreprises, citoyens qui ne sauraient être pris constamment en otage par une petite minorité. Comment peut-on faire valoir l'échec d'une négociation qui n'a pas eu lieu ? Banalisation de la grève avant même d'avoir commencé à discuter, alors que la grève doit être l'ultime recours après l'échec du dialogue social. »
Monsieur le ministre, il y a presque un an jour pour jour, le 9 décembre 2003, vous avez pris l'engagement devant les députés de parvenir dans les neuf mois à une solution satisfaisante sur la question du service minimum garanti dans les transports. Un an après, nous pouvons prendre acte des avancées faites sur ce dossier.
La démarche inédite que vous avez engagée avec les syndicats est courageuse et positive. Elle est responsable et si le mérite de l'initiative vous en revient, ce sont tous les partenaires de cette démarche que je salue.
Prenant le contre-pied des actions engagées jusque là, vous avez ainsi lancé une concertation poussée avec les syndicats, incluant des déplacements dans cinq pays européens en compagnie des dirigeants de grandes centrales du secteur des transports.
Résultat tangible de votre démarche : l'accord sur l'amélioration du dialogue et la prévention des conflits signé à la SNCF le 28 octobre dernier par sept organisations syndicales, représentatives de près de 80 % du personnel. Cet accord met en place une alarme sociale impliquant une démarche de concertation immédiate pendant une période de dix jours ouvrables avant le dépôt d'un préavis de grève.
Parallèlement, vous travaillez à la mise en place d'un dispositif de prévisibilité, permettant à la direction d'élaborer un plan de transport, soumis aux syndicats, avant le déclenchement d'un mouvement de grève.
En ce qui concerne la continuité du service public, le groupe d'experts présidé par M. Mandelkern, qui avait reçu pour mission de définir les conditions juridiques de mise en place d'un service minimum dans le secteur des transports, a rendu ses conclusions le 21 juillet dernier.
Il a ainsi préconisé le renforcement de la prévention des conflits, à l'instar du dispositif d'alarme sociale instauré à la RATP sous forme d'accords d'entreprise, l'amélioration de la prévisibilité des conséquences de la grève pour les usagers et l'attribution aux autorités organisatrices de transport - conseils régionaux, conseils généraux, communes et structures intercommunales - de la définition des priorités en cas de grève.
Toutefois, je rejoins l'analyse du président de la commission des affaires économiques sur les lacunes des accords : la continuité des services publics ne peut être améliorée sans prise en compte de la prévisibilité du service les jours de grève et des garanties de service elles-mêmes.
Monsieur le ministre, afin de vous permettre de poursuivre votre politique de dialogue social, très prometteuse, je propose à mes collègues sénateurs de nous aligner sur la position de nos collègues députés et de rester sur notre réserve pendant six mois. Toutefois, et ce n'est pas une menace, ...