Intervention de Michel Billout

Réunion du 15 décembre 2004 à 15h00
Service garanti dans les transports publics de voyageurs — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Cependant, il existe quelques incohérences dans cette soudaine volonté de légiférer sur l'exercice du droit des personnels dans l'entreprise : d'un côté, il faudrait libéraliser totalement l'économie, ouvrir au tout contractuel pour sa souplesse, par exemple sur le temps de travail ; de l'autre, l'Etat se devrait d'intervenir par la voie législative pour que soient adoptées des mesures de régression sociale et de réduction des libertés publiques, individuelles ou collectives, ou encore des mesures d'intégration supranationale.

On voit bien quel est l'objectif politique : il s'agit de revenir sur toutes les garanties offertes par la loi pour laisser le champ libre au marché, à la libre concurrence, aux intérêts financiers.

Tout cela s'inscrit dans la volonté de refondre notre société selon les directives de I'OMC et de l'AGCS, qui ouvrent la voie aux déréglementations et à la libéralisation de toutes les activités humaines, quelle que soit leur utilité sociale. Ces options sont bien sûr très bien relayées par la Commission européenne.

Soyons réalistes, remettre en cause le droit de grève, c'est revenir sur une liberté constitutionnelle. C'est aussi rendre encore plus fragile l'édifice du droit du travail, qui s'est construit progressivement tout simplement parce qu'il s'agit des conditions d'existence de millions d'hommes et de femmes. C'est un domaine particulièrement complexe et sensible.

Le rapport Mandelkern, commandé par le ministre des transports et adopté à la majorité, est très contraignant dans ses recommandations. II préconise dix jours de préavis, sept jours de négociations et trois jours de préavis technique. II oblige les agents à se déclarer grévistes quarante-huit heures avant le début du mouvement. Selon l'ensemble des organisations syndicales de cheminots, ces recommandations ne sont pas acceptables au regard de l'exercice du droit de grève. Elles ont été rejetées à la fois par les syndicats et par les associations d'usagers.

Aujourd'hui, le principe d'une loi a été écarté au profit d'un système conventionnel d'alarme sociale et de prévention des conflits. L'accord SNCF conclu le 28 octobre dernier, grâce à la responsabilité et à l'intelligence des partenaires sociaux, met en oeuvre de nouveaux moyens pour instaurer un dialogue social plus efficace entre les organisations syndicales, les élus du personnel et l'entreprise.

Un accord semblable est susceptible d'intervenir rapidement dans les cent soixante-dix entreprises de l'Union des transports publics concernant les transports régionaux.

Seule cette démarche rendra possible l'amélioration du dialogue social et la continuité du service public dans les transports. Elle mérite qu'on lui accorde du temps, ainsi qu'une disposition d'esprit ouverte au débat sur des contenus sérieux avec l'ensemble des partenaires sociaux. Pour être pleinement efficace, elle devra s'adosser à un véritable projet de développement des transports publics dans notre pays et respecter la règle de l'accord majoritaire.

Cependant, ce dispositif ne satisfait pas les parlementaires les plus libéraux qui espéraient et espèrent toujours une remise en cause directe du droit de grève. Dans leur esprit, la phase de concertation avec les syndicats jusqu'en juin 2005 apparaît comme un sursis avant la présentation d'un projet de loi sur cette question. Ainsi, selon le secrétaire national de l'UMP, « il faut désigner l'objectif plus clairement et aller plus vite ».

Quant au recours aux collectivités territoriales pour définir les priorités du service, il s'agit d'un véritable transfert de responsabilités qui ne peut aboutir qu'à de grandes inégalités de situation et de traitement des conflits. Ce n'est pas acceptable !

S'agissant des grèves dans les services publics, il est nécessaire de prendre en compte les spécificités des entreprises de transport qui remplissent des missions particulières.

Les salariés des services publics, lorsqu'ils manifestent pour améliorer leurs conditions de travail, ont à l'esprit la défense du service public, de sa qualité, de son utilité, de son rôle dans notre société. Ces questions sont indissociables des conditions de travail de ceux qui s'efforcent de le garantir au quotidien.

Les personnels et les usagers des transports publics ne sont pas dupes : la déréglementation des services publics ne permettra pas la mise en oeuvre d'une politique de transport ambitieuse.

Que constate-t-on ? Les déréglementations opérées dans d'autres pays européens fournissent la preuve des effets catastrophiques de la libéralisation du secteur des transports. Le droit de grève a été limité en Grande-Bretagne : les grèves à caractère politique y sont interdites, tandis que les grèves de solidarité font l'objet de réglementations très strictes. Les usagers sont-ils pour autant mieux servis ? Certainement pas ! Il ne faudrait pas faire peser sur les personnels la responsabilité des dysfonctionnements des services.

Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple en Ile-de-France. Le RER B ou le RER D auraient pu constituer de bonnes illustrations, mais je préfère évoquer la situation de la ligne Paris-Provins, tronçon de la ligne Paris-Troyes-Bâle, dont l'électrification urgente est réclamée par la totalité des élus concernés. Une association d'usagers a tenu une comptabilité extrêmement précise des incidents survenus sur cette ligne entre le 20 février 2003 et le 9 septembre 2004, soit dix-neuf mois d'observation. Seuls les retards de plus de dix minutes ont été pris en compte pour un trajet d'une heure environ. Au total, moins d'un train sur deux a circulé normalement pendant cette période. Quarante-huit trains ont été purement et simplement supprimés. Or les grèves sont responsables de moins de 5 % des incidents recensés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion