En septembre 2003, j'ai souhaité procéder à un tour d'Europe : on parle beaucoup, mais une journée de déplacements est bien plus instructive que tous les anathèmes, les clichés, les formules, qui ne font que figer le débat.
Ces visites d'études ont été réalisées dans cinq pays. A chaque fois, dix syndicats, sur les quinze qui sont représentés à la SNCF et à la RATP, ont participé à ces déplacements, ce qui représentait une première marque d'intérêt pour la question, sans a priori.
Ce tour d'Europe a permis de rencontrer les organisations syndicales des entreprises de transport, les directions de ces entreprises et les autorités publiques de tutelle.
L'une des conclusions que nous avons partagées, au retour de ces voyages, est qu'il n'existe pas en Europe de système parfait. Les grèves récentes en Italie, en Belgique, en Autriche, pays d'Europe du nord et du sud, dont l'appréhension du sujet est pourtant fort différente, l'ont bien prouvé.
Il nous faut donc construire un système mûri, concerté et partagé, un système à la française, un système équilibré entre prévention des conflits et continuité du service public, qui respecte l'usager.
Lors d'un débat très riche à l'Assemblée nationale, le 9 décembre 2003, je me suis engagé à faire avancer les choses selon deux axes : la prévention des conflits et la continuité du service en période de conflit.
En ce qui concerne le premier axe de travail, la prévention des conflits, j'ai réuni à la même table, dès le 18 mars 2004, les présidents des entreprises en charge d'un service public de transport terrestre régulier de voyageurs - la RATP, la SNCF et l'UTP -, en présence des autorités organisatrices, le groupement des autorités responsables de transport, le GART. Je leur ai alors demandé d'engager rapidement des discussions avec les partenaires sociaux, en vue de conclure sous six mois des accords collectifs de prévention des conflits du travail inspirés de l'alarme sociale de la RATP. Mais ma demande n'a pas été entendue.
Pour ce qui est du deuxième axe de travail, la continuité du service public, j'ai mis en place, le 12 février dernier, la commission Mandelkern sur la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs. Placée sous la présidence de M. Mandelkern, président de section honoraire au Conseil d'État, elle était composée de neuf personnalités indépendantes : juristes universitaires, dirigeants ou anciens dirigeants d'entreprises de transport, dont M. Bailly, qui fut l'initiateur du dispositif d'alarme sociale mis en place à la RATP en 1996.
La mission de cette commission était double : tout d'abord, elle devait examiner les conditions juridiques de mise en place de la continuité du service public dans le secteur des transports en période de crise ; ensuite, elle devait étudier les modalités techniques les plus pertinentes pour assurer cette continuité, dans chaque mode de transport, en maintenant de façon prioritaire un haut niveau de sécurité pour le personnel et les usagers.
Après quatre mois d'auditions de l'ensemble des partenaires sociaux et des experts du secteur, la commission m'a remis son rapport le 21 juillet dernier. Elle a dressé un état des lieux des conflits actuels et souligné la difficulté de concilier non pas deux, mais trois principes fondamentaux : le droit de grève, la continuité du service public, mais aussi, monsieur Reiner, la libre administration des collectivités territoriales. Il ne s'agit pas de « refiler la patate chaude » aux collectivités territoriales : elles ont reçu des compétences, auxquelles vous êtes tous attachés ; il faut savoir les respecter et les conjuguer avec la continuité du service public et le droit de grève.
La commission a également proposé plusieurs outils pour chacun des grands objectifs qu'elle a identifiés.
Premier outil : pour réduire le recours à la grève, mise en place de dispositifs d'amélioration de la prévention des conflits, tel que le dépôt d'une « déclaration d'ouverture immédiate de négociations », avec renforcement du dialogue et allongement du délai de préavis à dix jours. En bref, l'alarme sociale est un bon moyen de réduire les conflits. Nombre de représentants syndicaux et de chefs d'entreprise avaient d'ailleurs suggéré de telles mesures.
Deuxième outil : quand la grève n'aura pu être évitée, ses conséquences devront avoir été prévues, afin que les entreprises puissent concevoir et assurer le meilleur service public possible pour les usagers. Cela inclut notamment la très contestée « déclaration individuelle de grève », proposée par M. Mandelkern, et la garantie aux usagers d'un « droit d'information préalable et gratuite » sur le service qui sera assuré en cas de grève. J'ai pris note de votre souhait à ce sujet, monsieur Goujon.
Troisième outil : la définition de « priorités de service » par les autorités organisatrices et l'esquisse d'une certaine garantie de service. Je soulignerai toutefois les fortes difficultés constitutionnelles et techniques que pose la réquisition. Personne n'ose prononcer le mot ! C'est pourtant bien là que se trouve le noeud du problème ! La commission proposait que les autorités organisatrices reçoivent, par la loi, la responsabilité d'assurer une garantie de service en temps de grève, garantie qui devait toutefois être équilibrée afin de respecter le droit de grève.
Enfin, quatrième outil : la création d'une « autorité administrative indépendante », dotée de pouvoirs qui lui permettent d'assurer un rôle de garant de la bonne application de l'ensemble des mesures adoptées.
Au-delà de ces recommandations, la commission se disait « convaincue qu'un engagement collectif et contractuel autour de ces mesures pouvait conduire à une amélioration significative de la continuité du service public ».
Que recherche le Parlement ? Que recherchent les usagers ? La continuité du service public en cas de grève !
J'ai mené sans tarder, avec François Goulard, la concertation la plus large possible, afin de recueillir les réactions de chacun au rapport de la commission Mandelkern. Ce rapport constituait, certes, une très bonne base de travail et proposait des pistes, comme la responsabilisation des parties, mais il ne représentait en aucun cas « la » position du Gouvernement.
Vingt-deux rendez-vous ont été concentrés sur le mois de septembre, autour de cinq catégories d'interlocuteurs : les organisations syndicales, les associations d'usagers, les autorités organisatrices, sans lesquelles rien n'est possible, les dirigeants d'entreprises et les parlementaires. Ces derniers sont fortement intéressés par le sujet ; ils ont élaboré des propositions de loi. Parfois, dans leurs départements, ils sont interpellés par les usagers pour les grèves à répétition.
Je vais résumer, trop brièvement peut-être, les positions de chacun.
Les organisations syndicales dans leur ensemble - je ne sais pas si elles se retrouveront dans mes propos - se sont déclarées hostiles à toute loi, même une loi de liberté couronnant des accords.
En revanche, ces mêmes organisations se sont montrées favorables au renforcement de la prévention, ainsi qu'à des dispositifs permettant de mieux informer les usagers avant et pendant la grève, c'est-à-dire à la prévisibilité et à l'information. De même, la « priorisation » du service assuré en temps de grève, à savoir la définition de lignes et d'horaires prioritaires, grâce à l'optimisation du personnel non gréviste, est assez consensuelle.
Je m'arrête un instant sur ce point. La position des organisations syndicales a sans doute évolué, mais nous avons trop longtemps entendu parler - et c'était parfois probablement vrai, je ne veux pas refaire l'histoire - de grèves dont l'objectif était de gêner les usagers.
A l'évidence, il y a une gêne des usagers, et si celle-ci peut tourner en faveur des organisations syndicales qui ont engagé la grève, elle peut aussi tourner en leur défaveur. Chacun est conscient des limites de l'exercice ! Par conséquent, les organisations syndicales se sont révélées favorables à la fois à la prévention, à une meilleure information des usagers et à une certaine « priorisation » des services, de façon à moins gêner les usagers lorsque le conflit est inévitable.
Les associations d'usagers ont toutes adopté une position de modération et de soutien à la démarche engagée. Elles se sont toutes déclarées hostiles au recours à une loi limitant le droit de grève, préférant toujours la voie de l'accord.
S'agissant des entreprises de transport, j'ai fait part aux représentants de l'UTP de mon regret de ne pas les avoir vus engager une concertation sur la prévention des conflits. Ils disposaient de six mois pour le faire. Mais ils m'ont répondu que ce n'était pas leur mission. C'est dommage ! Les présidents de la SNCF et de la RATP considèrent que la voie de l'accord négocié est certainement la meilleure.
En ce qui concerne les autorités organisatrices, qui sont un point clé, surtout dans un système décentralisé, le président du GART s'est déclaré favorable