Intervention de Robert Bret

Réunion du 15 décembre 2004 à 15h00
Devenir de la société nationale corse méditerranée — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Robert BretRobert Bret :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne peux que me féliciter que la conférence des présidents ait accepté d'inscrire cette question à l'ordre du jour. C'est en effet pour nous, parlementaires, l'occasion de nous exprimer et de discuter de l'avenir de la Société nationale Corse-Méditerranée, la SNCM, débat dont nous avons été relativement absents, alors que la situation actuelle de cette société exige que le Gouvernement nous fournisse des éclaircissements. C'est pourquoi, a contrario, je ne peux que déplorer l'absence de nombre de nos collègues aujourd'hui. Nos emplois du temps, certes chargés, ne peuvent tout expliquer.

Je souhaite qu'à cette occasion, monsieur le secrétaire d'Etat, nous puissions enfin connaître les intentions du Gouvernement quant à la pérennité de l'entreprise et aux moyens mis à sa disposition pour lui permettre de poursuivre l'exercice de ses missions de service public. Mes diverses interpellations - qu'il s'agisse de mon courrier en date du 20 septembre dernier ou de la question écrite que j'ai déposée le 12 octobre - sont restées lettre morte jusqu'alors.

Pourtant, une grande confusion règne au sein de la société depuis les accords contradictoires conclus par sa direction, le 19 septembre, avec l'organisation syndicale minoritaire STC, le syndicat des travailleurs corses, puis, le 23 septembre, avec les syndicats majoritaires. La confusion est telle que, si elle n'était pas dissipée dans les plus brefs délais, on pourrait craindre le pire pour le devenir de la SNCM.

Dans un premier temps, le 19 septembre 2004, est intervenu un « vrai faux accord », imposant une réunion d'urgence à Matignon, sous l'égide du Premier ministre, puis déclenchant une avalanche de déclarations parfois très provocatrices. Finalement, la direction de la SNCM est revenue sur les accords conclus avec le STC, en signant un accord avec les syndicats majoritaires pour officialiser le principe de l'annuaire de titularisation des salariés, qui implique la requalification des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée en fonction de l'ancienneté et indépendamment du lieu de résidence.

C'est dire la confusion qui règne, tant au sein de l'entreprise qu'au niveau de sa direction ou de l'autorité de tutelle, le ministère des transports. Un pas en avant, deux pas en arrière : nous assistons depuis le mois de septembre à un véritable ballet, monsieur le secrétaire d'Etat. Malheureusement, tous ceux qui sont concernés de près ou de loin par le devenir de la SNCM apprécient peu ce genre de spectacle.

Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi de vous remettre les faits en mémoire.

A l'issue de quinze jours d'un conflit mené par soixante grévistes sur 2 400 salariés au sein de la Société nationale Corse-Méditerranée, conflit qui a occasionné des pertes estimées à 4, 5 millions d'euros - elles sont en réalité beaucoup plus lourdes ; je pense notamment aux 100 000 passagers perdus - un accord intervenait entre l'organisation syndicale STC et la direction de la SNCM.

Le relevé de conclusions de sortie du conflit en date du 18 septembre 2004 donnait le sentiment, au-delà de la satisfaction de certaines revendications portées par le STC - qui est, je le rappelle, un syndicat minoritaire dans la société et peu suivi par ses sympathisants dans son mouvement de grève - que ce conflit, soutenu par les chambres de commerce de Haute-Corse et de Corse-du-Sud et par la mouvance nationaliste, notamment par MM. Talamoni et Siméoni, ouvrait de nouveau ? les susnommés ne s'en cachaient pas ? le dossier du devenir de cette société maritime nationale et plus exactement des rapports de l'Etat avec une de ses collectivités territoriales.

Ainsi, au lendemain de la conclusion de ces accords, il était évident que la lecture qu'en faisaient MM. Mosconi, au nom du STC, et Santini, président de l'exécutif de l'Assemblée territoriale corse, n'était pas la même que celle du président de la SNCM, M. Vergobbi.

Le Gouvernement, en confirmant les termes dudit relevé de conclusions - qui est la copie conforme d'un accord précédemment invalidé par la justice et accusé de servir la cause nationaliste - liant le Syndicat des travailleurs corses, les chambres de commerce et d'industrie, les présidents de l'Office des transports de la Corse et de l'exécutif régional, d'une part, et la direction de la SNCM, d'autre part, n'a, en fait, que cautionné le coup d'envoi d'une restructuration de la société nationale. La « corsisation » des emplois n'est, à mes yeux, qu'un rideau de fumée, monsieur le secrétaire d'Etat.

La situation est donc grave ; aller dans ce sens risque d'être lourd de conséquences.

Sommes-nous en droit de penser que les diverses interpellations en direction du Gouvernement et les manifestations de mécontentement ont pu modifier le cours des choses ? Vous me le direz, monsieur le secrétaire d'Etat.

Le 23 septembre, nous assistions à un nouveau rebondissement avec la volte-face de la direction de la SNCM, qui officialisait alors, devant les syndicats majoritaires, l'annuaire de titularisation des salariés en contrats à durée déterminée.

Ces attitudes contradictoires ne sont pas sans inquiéter et suscitent plusieurs questions, aussi bien chez l'ensemble des personnels de la SNCM, leurs organisations syndicales représentatives, leur comité d'entreprise, que chez les élus des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse.

N'oublions pas que la création de la SNCM n'est pas le fruit du hasard. Elle résulte d'une longue réflexion que l'on ne saurait voir reniée, balayée, sans autre concertation.

En effet, la création en 1976 de la SNCM, assortie de la convention qui l'accompagnait, signée à l'époque pour vingt-cinq ans et garantie par une dotation de continuité territoriale dans le cadre du budget de la nation sur une ligne particulière, répondait à une double exigence : d'une part, réduire les handicaps liés à l'insularité ; d'autre part, mettre fin à une situation d'incurie et, consécutivement, au mécontentement virulent des usagers en confiant à une compagnie nationale le trafic fret et passagers entre le continent et la Corse pour assurer un service public de qualité, efficace et régulier douze mois sur douze, contribuant par là même au développement économique et social de la Corse.

Depuis le 1er janvier 2002, compte tenu des choix effectués dans le cadre de l'Union européenne, au nom du principe de libre concurrence et après de longues et difficiles négociations entre le précédent gouvernement et la Commission européenne, une recapitalisation par l'Etat, à concurrence de 66 millions d'euros - à comparer aux 76 millions d'euros espérés -, a été possible et un cahier des charges a été défini par la collectivité territoriale de Corse. Ce cahier des charges a été soumis à l'approbation de la Commission européenne, qui l'a accepté.

Dès lors, une nouvelle définition du service public était assignée à l'Assemblée territoriale Corse. En fait, à travers la formulation d'obligation de service public, elle sert de base pour lancer les appels d'offres à l'échelon européen. La durée de la convention qui en résulte est de cinq ans. L'Etat, pour sa part, verse à la collectivité territoriale corse une dotation de continuité territoriale, gérée par l'Office des transports de la Corse, s'élevant pour 2004 à 168, 5 millions d'euros, dont 33, 70 % financent le transport aérien, 65% le transport maritime et 0, 7% sert au fonctionnement.

C'est dans ce cadre que la SNCM et la Compagnie méridionale de navigation, la CMN, devaient assumer leurs missions entre la Corse et le continent, avec les ports de Marseille, de Nice et de Toulon. Cependant, tel n'est plus le cas à ce jour. En effet, seul le port de Marseille a été retenu pour assurer une mission de service public de continuité territoriale alors que l'enveloppe budgétaire, elle, n'a pas diminué.

Quels enseignements le Gouvernement tire-t-il de cette expérience de quatre années et quelle place entend-il jouer dans l'élaboration du futur appel d'offres pour 2006-2010 ? Entend-il aujourd'hui modifier en partie ou en totalité le cadre établi en 2002 ? Si tel était le cas, pouvez-vous nous en expliciter les motivations et quelle serait la portée de ces modifications ? Pouvez-vous nous indiquer quelle ligne budgétaire visera à assurer la continuité territoriale ?

A ces questions, nous avons besoin de réponses claires.

En effet, le lourd silence du Gouvernement pèse comme une chape de plomb et donne crédit aux propos tenus en Corse par ceux qui ne veulent ni d'un service public ni d'une compagnie maritime nationale.

Or l'existence d'une compagnie régionale corse, comme certains en expriment l'espoir ou en manifestent la volonté, ne serait pourtant pas la meilleure réponse ni pour les Corses ni pour le développement économique de l'île.

Il serait facile et naïf de penser que, pour régler le problème de l'emploi en Corse et créer de l'activité économique, il suffirait de faire appel à la compagnie nationale de service public et de la reformater en compagnie régionale. Le principe selon lequel on déshabille Pierre pour habiller Paul n'a jamais été porteur de résultats. Il est d'autant plus dénué de sens que l'Union européenne demande la privatisation de la compagnie aérienne régionale.

Si la SNCM et la CMN peuvent faire plus en Corse, nous savons qu'elles font déjà plus que les autres. En aucun cas, nous ne pouvons leur faire endosser les responsabilités qui relèvent du Gouvernement et de la collectivité territoriale de Corse.

Aujourd'hui, l'enveloppe affectée à la continuité territoriale demeure, n'en déplaise à certains, une ligne spécifique du budget de la nation. En aucun cas, elle n'est alimentée par le trafic entre la Corse et le continent ; elle est l'expression de la solidarité nationale à l'égard d'une région dont le handicap d'insularité doit être compensé.

Enfin, créer une compagnie régionale corse, ce serait rompre avec l'unicité de notre République et de notre territoire, avec l'équité entre les citoyens. Ce serait aller au devant de déconvenues et souscrire aux exigences qui ont été formulées par la Communauté européenne, pour laquelle l'enveloppe de continuité territoriale est contraire à la libre concurrence. Nous savons ce que cela signifie : la rentabilité financière au détriment des principes de service public en termes de sécurité, de régularité et de qualité, et ce douze mois sur douze.

Pour toutes ces raisons, la situation actuelle de la SNCM est pour le moins ambiguë et ne saurait rester en l'état, d'autant qu'à ces questions demeurées en suspens se sont ajoutées d'inquiétantes rumeurs, qui n'ont pas été démenties.

Ainsi, les orientations énoncées par la direction de la SNCM, à l'issue du comité d'entreprise extraordinaire qui a été convoqué le 6 octobre dernier et du conseil d'administration qui a eu lieu le lendemain, sont alarmantes : abandon de la desserte Nice-Corse, vente des navires à grande vitesse, les NGV, restructuration, vente totale ou partielle d'actifs évalués entre 400 millions et 600 millions d'euros, voire vente du siège social.

Si ces choix devaient être confirmés, il s'agirait tout simplement d'un démantèlement de la compagnie nationale, au moment où la collectivité territoriale corse prépare le renouvellement de la délégation de service public. Je n'ose penser un seul instant que l'on envisage demain une déspécialisation de l'enveloppe affectée à la continuité territoriale.

Ainsi, conformément aux exigences des chambres de commerce et d'industrie de Corse, et dans le cadre de l'appel d'offres pour le service dit de base entre le continent et la Corse, la CMN serait pressentie, avec six navires, dont deux de la SNCM - le Pascal Paoli et le Paglia Orba - alors que la CMA-CGM, qui reprendrait deux navires, le Bonaparte et le Casanova, viendrait se positionner sur la desserte du Maghreb.

La compagnie privée que l'on nomme communément Corsica Ferries connaît, on le sait, de réelles difficultés financières avec des pertes égales aux trois quarts de son capital et une quasi-absence de fonds propres : 11 millions d'euros, soit dix fois moins que la SNCM. Cette entreprise au bord de la faillite est une des quinze sociétés détenues par la holding la LOZALI, véritable nébuleuse basée en Suisse.

Ce serait elle qui reprendrait la totalité du service dit complémentaire, c'est-à-dire le service des passagers, lié au trafic touristique - c'est le plus rentable - et se retrouverait, de fait, en situation de monopole privé. Et en plus elle serait subventionnée par l'aide au passager transporté, à caractère social, sur les dessertes de Marseille, de Toulon et de Nice !

Autrement dit, l'argent public renflouerait cette compagnie privée en grande difficulté. Rien que pour les lignes de Nice et de Toulon, l'enjeu est de 30 millions d'euros sur trois ans : ce serait bon pour ses caisses !

Monsieur le secrétaire d'Etat, comment imaginer un seul instant que l'argent public qui est destiné à assurer la continuité territoriale soit distribué à la concurrence, privée, de la compagnie maritime nationale ?

Ces orientations sont tout simplement inacceptables. En conséquence, le Gouvernement doit prendre impérativement une position officielle, car l'enjeu social et politique dépasse les compétences des collectivités territoriales et concerne, au-delà de leurs rapports avec l'Etat, la responsabilité de ce dernier.

Mes chers collègues, vous en conviendrez, au vu des pistes évoquées par la direction de la SNCM, lesquelles ne peuvent avoir été avancées, je ne puis l'imaginer un seul instant, sans consultation préalable du Gouvernement, il est devenu essentiel pour nous de connaître les motivations et les ambitions du Gouvernement sur ce dossier.

Je formulerai une dernière remarque. Il faut arrêter d'opposer les intérêts de la région Corse à ceux de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Privilégier les uns au détriment des autres impliquerait forcément une discrimination négative à l'égard de ces derniers. Les enjeux économiques, touristiques et sociaux inhérents au devenir de la SNCM sont aussi importants et lourds de conséquences pour ces deux régions.

Dès lors, est-il nécessaire de préciser que les intérêts de la région PACA et ceux de la région Corse ne sont pas antagoniques, pas plus que ne le sont ceux des salariés travaillant au sein de la compagnie nationale au prétexte que les uns résideraient en Corse et les autres en région PACA ? Il y a entre eux une solidarité de fait, comme il y en a une entre les deux régions.

D'ailleurs, en 1975, l'implantation du siège social de la SNCM ne souleva aucune contestation, tant il semblait naturel à l'époque que le siège social soit situé à Marseille, « première ville de Corse » et grand port méditerranéen aux infrastructures adaptées !

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