Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la question qui a été soulevée par M. Bret est importante, sensible et même grave par certains aspects, car il s'agit non seulement de l'avenir d'une entreprise publique, mais aussi de la desserte territoriale d'une grande collectivité.
Longue est l'histoire de la Société nationale Corse-Méditerranée. Avant qu'elle ne prenne ce nom, les liaisons sur cette mer ont concerné des entreprises diverses, qui ont connu des heures de gloire et des heures plus difficiles.
La SNCM a été créée en 1976. A l'origine, une convention organisait l'aide de l'Etat pour vingt-cinq ans, avec une compensation forfaitaire annuelle, et l'entreprise avait été recapitalisée d'emblée.
Les années 1990 ont vu une détérioration de la situation de l'entreprise, en même temps que le contexte dans lequel elle évoluait se trouvait radicalement modifié : mise en place de la décentralisation, pour la Corse, comme pour les autres régions ; mise en place aussi du droit européen de la concurrence, qui s'est progressivement affirmé, renforcé, créant par là même des contraintes ; évolution parallèle des règles internes de la concurrence.
En premier lieu, je dirai quelques mots du cadre juridique dans lequel s'inscrivent les liaisons entre la Corse et le continent, en particulier celles qui revêtent un caractère de service public.
En deuxième lieu, j'évoquerai le plan industriel qui est entré en vigueur en juillet 2003 et dont nous vivons actuellement la mise en oeuvre.
En troisième lieu, j'aborderai la situation actuelle de l'entreprise, qui peut, sans exagération, être qualifiée de difficile.
Enfin, en quatrième lieu, je décrirai les principes qui guident le Gouvernement dans la recherche de solutions.
S'agissant tout d'abord du cadre juridique, vous avez rappelé les uns et les autres que, en 2001, pour la première fois, un appel d'offres avait été lancé. C'est désormais dans ce cadre que ces liaisons de service public doivent s'inscrire.
Un règlement du 7 décembre 1992 a libéralisé le cabotage en Méditerranée à partir du 1er janvier 1999.
Les orientations de l'Union européenne sur les aides d'Etat au transport maritime ont été définies en juillet 1997 et précisées dernièrement, le 17 janvier 2004.
Enfin, à l'échelon national, la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », relative aux délégations de service public, a précisé les conditions dans lesquelles doit être assurée la transparence et favorisée la mise en concurrence de ces délégations de service public.
Cela a des conséquences, par exemple, sur la liaison avec Nice et avec Toulon. L'Europe, aujourd'hui, ne saurait tolérer que, sur des lignes où opèrent des exploitants privés, il y ait des aides d'Etat excessives qui viendraient fausser la concurrence. C'est une réalité à laquelle nous ne pouvons échapper.
Par ailleurs, en vertu de la décentralisation, c'est maintenant la collectivité territoriale qui définit le cahier des charges s'imposant à l'exploitant et les conditions dans lesquelles les exploitants sont aidés ; il n'est évidemment pas question de revenir sur ce principe fondateur.
La collectivité s'astreint à respecter strictement les règles qui s'imposent à elle.
L'aide sociale, évoquée par plusieurs d'entre vous, qui est en effet versée à toutes les compagnies desservant la Corse, est parfaitement conforme aux textes européens. La collectivité est rigoureusement dans son droit en modulant les différentes aides qu'elle octroie.
Des difficultés sont apparues dans les années 1990, et en particulier à la fin de cette décennie. Sur l'initiative du gouvernement précédent, notamment de M. Besson, un plan industriel a été défini - et il n'a nullement été remis en cause par l'actuel gouvernement - pour recapitaliser la société, qui avait enregistré des pertes. Ce plan avait, comme il se doit, été soumis à la Commission européenne, laquelle avait donné son accord.
En ce qui concerne les montants, j'apporterai quelques précisions, car des chiffres divers ont été évoqués.
L'aide totale autorisée par la Commission est de 76 millions d'euros. La Commission a autorisé le versement à la fin de 2003 de 66 millions d'euros. Il reste donc 10 millions d'euros que nous ne pouvons verser sans l'accord de la Commission, mais sur lesquels doivent s'imputer des produits de cessions d'actifs. Dans ces conditions, ce sont, non 10 millions, mais 5 millions d'euros qui doivent encore être versés.
Quelles ont été les contreparties exigées par la Commission européenne ? La vente d'actifs considérés comme non stratégiques ; la réduction du périmètre d'exploitation ; l'interdiction d'avoir une politique tarifaire agressive ; l'interdiction, sauf accord exprès de la Commission, de réaliser de nouveaux investissements, notamment en navires, avant 2007.
Ce plan a été partiellement réalisé. Les ventes d'actifs prévues ont eu lieu ; des filiales déficitaires ont été fermées ; la desserte de la Corse à partir de Marseille a été strictement limitée à ce que prévoit la délégation de service public.
En revanche, d'autres objectifs parmi ceux qui avaient été fixés dans le plan n'ont pas été atteints. On relève ainsi une mauvaise maîtrise de la masse salariale, notamment du fait de l'augmentation de l'effectif navigant, alors que le plan en prévoyait la réduction. On note également une augmentation du coût d'entretien des navires, avec une accumulation de pannes au cours de l'année 2004.
Force est de constater une très grande rigidité dans les conditions d'armement des navires de la SNCM.
J'en viens à la situation financière actuelle de l'entreprise.
Le résultat d'exploitation de 2004 sera très mauvais, à telle enseigne que les pertes devraient absorber environ la moitié de l'apport de l'Etat.
Ces pertes résultent de plusieurs facteurs : outre ceux que j'ai déjà évoqués - mauvaise maîtrise de la masse salariale, coût élevé de l'entretien des navires -, il y a eu, cet été, une conjoncture touristique particulièrement défavorable en Corse, ce qui suscite beaucoup d'inquiétudes.
S'y sont ajoutés des mouvements sociaux qui ont considérablement affecté l'exploitation de la compagnie. Celle-ci a en effet connu une série de grèves, déclenchées par différents syndicats et répondant à des motivations diverses. Une première grève, en février et mars, organisée par le STC, a donné lieu à un relevé de conclusions, qui, je le précise, a été annulé non pour des raisons de fond, mais pour des raisons de procédure. Il y a eu ensuite des grèves-surprises, des grèves des officiers. Enfin, la grande grève de septembre a provoqué l'immobilisation totale des navires pendant trois semaines. Le relevé de conclusions qui a été alors établi reprenait l'essentiel des termes de celui du mois de mars, et je partage largement les appréciations qui ont été portées à ce sujet par M. Desessard.
La question de la concurrence a été évoquée par plusieurs d'entre vous, notamment par M. Picheral. Une compagnie, en particulier, a été plusieurs fois citée. La question qui se pose est de savoir si elle est sérieusement contrôlée par l'Etat.
Les quatre navires qui effectuent des rotations entre l'Italie, la Corse et la France continentale et qui battent pavillon italien - l'Italie est un pays de l'Union européenne ! - font l'objet d'une inspection par an, voire de deux, à l'occasion du contrôle de l'état des ports, et ce principalement en Corse et conjointement avec les gardes-côtes italiens. Très peu de déficiences ont été relevées.
L'application des dispositions réglementaires conventionnelles contractuelles a été contrôlée en 2004 sur trois navires à passagers. Ces contrôles ont fait ressortir l'existence d'effectifs supérieurs à ceux qui étaient prévus sur la fiche d'effectifs, la présentation systématique des contrats d'engagement visés par l'autorité maritime, le respect des régimes de travail, la bonne tenue des documents d'organisation et de décompte des durées de travail et de repos, la transparence des rémunérations versées, la régularité de la protection sociale et la coopération des équipages sollicités lors des contrôles.
Force est de constater qu'aucune infraction n'a été relevée à l'encontre de la compagnie précitée. Tels sont les faits, auxquels - vous le comprendrez - l'Etat doit s'en tenir. Pour le reste, chacun est libre de ses appréciations.
Dans cette situation, quelles sont les intentions du Gouvernement ?
Il nous faut, tout d'abord, travailler en étroite relation avec la Commission européenne. J'ai, d'ores et déjà, eu l'occasion de m'entretenir de ces problèmes avec le commissaire européen compétent.
Notre marge de manoeuvre est terriblement limitée. La Commission européenne, qui a approuvé le plan dont a fait l'objet, très récemment, la SNCM, n'admettra pas d'apport nouveau de l'Etat à cette dernière.
Dès lors, compte tenu des difficultés que je viens d'évoquer et de l'impossibilité d'agir autrement au regard du droit européen, les efforts doivent être consentis par l'entreprise elle-même. Nous travaillons à l'élaboration d'un plan de redressement de cette société. C'est une tâche considérable que la direction de la société devra assumer.
Je ne peux pas, à cette tribune, détailler les mesures qu'il comportera, ce pour deux raisons : en premier lieu, elles ne sont pas, aujourd'hui, arrêtées ; en second lieu, le droit social impose qu'elles soient d'abord présentées aux instances de représentation du personnel.
Il est urgent d'opérer ces redressements, nous en sommes tous conscients. Il en va de la responsabilité de la direction de l'entreprise, qui sera soutenue, dans ce travail, par l'Etat, mais il en va également de la responsabilité de ce dernier, qui, comme le veut la loi, oeuvrera en relation avec les partenaires sociaux.
L'Etat informe et continuera d'informer les collectivités territoriales concernées, au premier rang desquelles celle de Corse. Il faut toutefois comprendre que, l'office des transports de la Corse étant le donneur d'ordres, l'autorité qui définit les conditions de la concurrence et élabore le cahier des charges, son intervention dans la gestion de la compagnie est totalement exclue et constituerait une infraction aux principes généraux de la concurrence, qui s'imposent en la matière.
Ainsi, à ceux qui aspirent à l'élaboration d'un plan arrêté en commun, à la tenue d'une table ronde élargie, je ne puis que répondre que leur souhait est tout simplement impossible à réaliser, car en contradiction avec le droit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement entend, bien évidemment, respecter à la lettre les règles de la décentralisation, les compétences de la collectivité territoriale de Corse, et poursuivre la politique qu'il a engagée en faveur de la continuité territoriale. Une aide de l'Etat à la collectivité territoriale de Corse sera donc toujours versée.
Au cours des premiers mois de 2005, nous allons travailler le plus activement possible au redressement de la SNCM. L'Etat se doit d'agir ainsi, en tant qu'actionnaire, certes, mais aussi dans l'intérêt des salariés de l'entreprise, dans l'intérêt des collectivités territoriales - la Corse, bien sûr, mais également, monsieur Trucy, la région PACA - enfin, dans l'intérêt des ports de la Méditerranée.
La tâche du Gouvernement est difficile et ardue, mais, en ce domaine comme dans d'autres, il assumera totalement ses responsabilités.