Intervention de Guy Fischer

Réunion du 15 novembre 2010 à 15h10
Financement de la sécurité sociale pour 2011 — Article 42

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Le 5 mai 2010, j’organisais au Sénat avec François Autain un grand colloque sur la psychiatrie. Il devait réunir plus de cent dix personnes : des usagers, des médecins, des proches de patients, des infirmiers, des sociologues, des directeurs d’établissement, bref, toutes celles et tous ceux qui sentaient le besoin d’échanger sur la psychiatrie dans un contexte particulier, marqué par votre annonce de réformer l’hospitalisation sous contrainte. Je ne reviendrai pas sur cette question, elle fera certainement l’objet d’un débat prochainement.

Je voudrais simplement vous lire une partie de l’intervention prononcée par un gestionnaire d’établissement psychiatrique lors de ce colloque. Elle est, je crois, très éclairante.

« Avec la seconde version de certification, la procédure a commencé à se modéliser et les critères se sont resserrés. Ainsi, les établissements expliquent toujours leurs pratiques mais, pour apprécier ces explications, les experts utilisent des grilles d’évaluation très précises. Leurs compétences professionnelles d’experts de la Haute Autorité de santé, sont donc mises de côté. Avec la dernière version de certification, le pas est franchi. Désormais, l’établissement n’a pas à expliquer ses pratiques. À quelques nuances près, il répond à des critères par oui ou non. À ces réponses doivent correspondre des documents écrits qui sont appelés “ documents preuves ”.

« On pousse le formalisme jusqu’au bout et la certification qui, au départ, a été conçue pour tenir compte des pratiques soignantes, est aujourd’hui affaire d’administratifs comme moi ou de qualiticiens qui, pour certains, ne sont même pas des soignants. Logique, car qui mieux qu’un administratif peut renseigner les montagnes de documents demandés ? Plus dangereux, c’est laisser un administratif organiser la politique de soin à travers des protocoles et des démarches qualité.

« Nous sommes aujourd’hui inscrits dans une démarche qualité qui n’a rien à voir avec le soin, mais qui est directement issue des pratiques du secteur industriel. On doit analyser des risques pour tendre vers le risque zéro. Pour cela, on utilise des méthodes d’analyse directement inspirées des normes ISO de l’industrie.

« Et ces méthodes dans le milieu psychiatrique sont porteuses de bien plus de risques que le risque qu’elles sont censées prévenir. Et, surtout, on arrive à des situations irrationnelles où les établissements sont conduits à répondre à des objectifs contradictoires.

« Ainsi, je vais prendre pour exemple deux des grands objectifs visés par la certification : d’une part, les établissements doivent veiller à bien traiter leur patient et à réfléchir à l’éthique de leurs pratiques ; d’autre part, ils doivent développer une démarche qualité visant à la maîtrise des risques.

« Cette notion de bientraitance, apparue dans la dernière version de certification des établissements, est directement issue du dispositif législatif, notamment de la loi de 2002 sur les droits du patient, ainsi que des recommandations européennes, notamment la recommandation R 10 de 2004.

« Ces textes énoncent clairement que le patient hospitalisé en psychiatrie conserve la pleine jouissance de ses libertés individuelles et que les soignants doivent respecter ses droits et sa dignité. La Haute Autorité de santé a, d’ailleurs, élaboré un référentiel des situations qui peuvent être considérées comme de la maltraitance. Par exemple, on y trouve la non-prise en compte de la parole du patient et la non-prise en compte de la douleur qu’il exprime.

« Les soignants avec lesquels je travaille s’inscrivent pleinement dans ce souci de bien traiter les patients, de prendre en compte leur parole, leur douleur. Ils s’interrogent sans cesse sur leur pratique et sur son sens. Concrètement, bien traiter un patient en psychiatrie, que cela signifie-t-il ?

« C’est d’abord le laisser libre de se soigner, lui expliquer les soins proposés lorsqu’il accepte l’hospitalisation et c’est l’accueillir dans de bonnes conditions. C’est accepter qu’il ait un avis à donner sur les soins et le traitement médicamenteux. C’est accepter qu’il donne son avis sur les conditions générales de son séjour. C’est aussi accepter qu’il n’aille pas bien et que cette souffrance parfois s’extériorise bruyamment. »

J’arrête là ma citation de ce psychiatre qui participait à nos travaux.

Ce premier pas vers l’application à la psychiatrie d’une T2A fait naître de grandes interrogations. Nous pensons aujourd’hui qu’il y a un véritable danger. À terme, il s’agira d’appliquer la T2A à la psychiatrie, ce sera un premier pas ; puis, après avoir en quelque sorte sondé le terrain, on fera du traitement comptable la finalité de la gestion des hôpitaux psychiatriques.

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