Intervention de Yolande Boyer

Réunion du 13 février 2007 à 10h00
Pôles de compétitivité et pôles d'excellence rurale — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Yolande BoyerYolande Boyer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président de la commission des affaires économiques joue son rôle en posant au Gouvernement cette question sur le bilan des pôles de compétitivité, un an et demi après la sélection effectuée.

Il est toujours intéressant et, en tout cas, essentiel de faire des bilans d'étape sur toute nouvelle politique.

L'idée, la philosophie, les objectifs des pôles de compétitivité sont satisfaisants : mettre en synergie, faire travailler en réseaux entreprises et chercheurs universitaires, pour soutenir la compétitivité industrielle, et ce au niveau régional, voire interrégional, ce sont des gages d'efficacité. Les situer à l'échelon régional, pour favoriser l'aménagement du territoire, est également une bonne chose.

Les régions dans leur ensemble ont d'ailleurs approuvé les motivations de l'État, à savoir la nécessité de soutenir la compétitivité industrielle de notre pays qui constitue le contexte et les enjeux de la politique des pôles de compétitivité.

Cette politique nationale entre dans un cadre européen plus général. De nombreux pays de l'Union européenne possèdent les mêmes préoccupations et souhaitent se tourner vers un développement économique durable. On assiste à une véritable dynamique communautaire en faveur de la compétitivité. Ces motivations, nobles, ont été approuvées par les régions françaises, partenaires incontournables du développement économique. Certaines avaient même anticipé ce mouvement ; c'est notamment le cas de ma région, la Bretagne, qui, avant leur avènement, avait soutenu la création de ces pôles.

Nous le savons tous, car nous le vivons dans nos territoires, la France, comme la plupart des pays développés, est confrontée à une accélération des mutations économiques à l'échelle mondiale. Elle se manifeste notamment par l'internationalisation, sous toutes ses formes, des facteurs de production. Mais, du fait de ces mutations, l'innovation et la recherche occupent une place croissante dans la compétitivité des industries de production des biens et services - conception, gestion, marketing, notamment -, industries qui ont besoin de s'adapter continuellement face aux évolutions technologiques.

Une telle accélération résulte également de l'importance accrue des facteurs financiers dans les décisions industrielles et d'un élargissement de la concurrence aux pays à bas coûts.

Dans ce contexte concurrentiel, la France doit améliorer sa compétitivité. Chacun d'entre nous, en tant que responsable politique et économique, ne peut que s'accorder sur ce constat.

Or, si l'importance des services dans la création de richesses n'est plus à démontrer, le rôle de l'industrie est essentiel, que ce soit pour la compétitivité et l'attractivité de la France, pour les échanges de biens et de services qui y sont attachés, pour les progrès de la science et des techniques ou encore par l'effet d'entraînement qu'elle exerce sur le reste de l'économie nationale.

Les pôles de compétitivité doivent permettre le développement des activités industrielles et l'emploi et conforter les territoires ; ils concernent non seulement les domaines technologiques en émergence, tels que les nanotechnologies, les biotechnologies, la microélectronique, mais également des domaines plus matures, tels que l'automobile ou l'aéronautique notamment. Ils doivent aussi s'inscrire dans une perspective internationale, en particulier, européenne.

Le postulat qui portait création de cette dynamique indiquait que le développement des infrastructures et la conduite des partenariats en étroite collaboration avec les régions constituaient également des facteurs clés de réussite.

La stratégie des pôles de compétitivité se doit donc d'articuler les atouts des territoires à l'innovation et aux entreprises industrielles dans un contexte de mutations industrielles, voire de désindustrialisation.

Le véritable enjeu pour la France concerne les secteurs technologiques à forte valeur ajoutée, le président de la commission des affaires économiques l'évoquait à l'instant ; cela accroît encore plus le besoin d'une innovation et d'une recherche au service de la compétitivité industrielle.

Or, comme la France économique ou démographique, la France scientifique et technologique est concentrée : les régions Île-de-France et Rhône-Alpes concouraient, à hauteur de plus de 50 %, à la position de la France en Europe en 2001.

Les huit principes d'action pour une politique de pôles de compétitivité initialement affichés par la DATAR sont les suivants : identifier et mieux mettre en valeur les pôles de compétitivité existants ou potentiels, encourager les réseaux d'entreprises, investir dans les ressources humaines, resserrer les liens entre l'industrie et la recherche, l'industrie et l'enseignement, encourager la création et le développement des entreprises innovantes au sein des pôles de compétitivité, accompagner par des infrastructures de communication le développement, promouvoir une politique de réseau au niveau européen, conduire le projet en partenariat étroit avec les régions. Cela plaçait les ambitions à haut niveau.

Monsieur le ministre, après un an et demi d'existence des pôles, où en est-on ? Parvient-on à coupler territoires et compétitivité industrielle tout en favorisant une meilleure répartition sur le territoire national de l'effort et de la richesse industrielle ? Au contraire, ne creuse-t-on pas encore un peu plus les écarts entre les quelques régions qui concentrent l'essentiel du potentiel technologique et industriel et celles qui ne disposent pas de ces mêmes potentialités économiques, géographiques ou encore financières, car la méthode qui préside à l'émergence de ces pôles de compétitivité n'est pas précisément inspirée par des valeurs de solidarité territoriale ?

Comme nous le précisent nos collègues Jean François-Poncet et Jacqueline Gourault dans leur rapport d'information du 4 mai 2006 sur la politique régionale européenne, l'objectif « compétitivité régionale et emploi », se substituant aux objectifs 2 et 3, vise à répondre aux défis économiques et sociaux qui se posent à tous les États membres, tels que les restructurations liées à la mondialisation des échanges, au vieillissement de la population, au développement de la société de l'information ou encore à l'avènement d'une économie fondée sur l'innovation.

Toutefois, s'agissant de cet objectif, l'accent mis sur la compétitivité fait ainsi passer au second plan la préoccupation de réduction des disparités territoriales.

De plus, la volonté de stimuler la croissance par l'innovation et la recherche conduit à favoriser les pôles de développement situés en milieu urbain, autrement dit dans les territoires où se concentrent déjà les plus importants potentiels économiques, et ce au détriment du milieu rural.

On compte aujourd'hui soixante-six pôles de compétitivité, dont seize à vocation mondiale. Suite aux appels à projets de 2005 et de 2006, cent soixante-cinq projets de recherche bénéficient aujourd'hui d'un soutien. Cependant, des interrogations subsistent concernant les moyens affectés par l'État et leurs modalités d'attribution.

Nombre de collectivités locales ont largement contribué au démarrage des structures et participent à leur animation en injectant dans le dispositif un financement non négligeable, à l'image de la région Bretagne, dans un souci notamment de promouvoir une stratégie de filières. La plainte est lancinante, car on la retrouve tel un leitmotiv : l'insuffisance des moyens de l'État semble criante alors qu'il est lui-même à l'origine de cette politique ambitieuse à bien des égards. L'État ne semble pas s'être donné les moyens de faire vivre ses choix politiques.

Quelle est, dans ce contexte, la place des collectivités locales pour qu'un tel système fonctionne ?

Le niveau de financement des pôles de compétitivité est crucial. La somme de 1, 5 milliard d'euros sur trois ans répartis en 400 millions d'euros d'aides directes, 300 millions d'euros d'exonération fiscale et sociale et 800 millions d'euros d'aide de l'Agence nationale de la recherche, de l'Agence de l'innovation industrielle et d'autres partenaires a été évoquée.

Cet effort de l'État était essentiel, mais il est regrettable qu'il ne se fasse que par redéploiement de crédits et que des laboratoires du CNRS voient leur dotation fondre. La recherche fondamentale demeure fondamentale pour les sciences de la vie et les biotechnologies, par exemple. Mais, en dehors de l'association d'un pôle de compétitivité et du financement de l'Agence nationale de la recherche, il n'y a plus beaucoup d'espace pour les équipes de recherche.

Les engagements figurant dans la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006 n'ont pas été tenus. A priori, la situation reste en l'état ! Notre pays ne pourra dès lors porter à 3 % du PIB le budget de la recherche en 2010, contrairement aux engagements pris à l'occasion des conseils européens de Lisbonne, en 2000, et de Barcelone, en 2002.

Au-delà, des hésitations, des interrogations apparaissent, notamment parmi les petites entreprises, alors que seuls les grands groupes semblent s'accommoder de cette nouvelle organisation. À quoi cela sert-il au final ? Qu'ont réellement changé les pôles dans le paysage du développement économique et de la compétitivité des territoires ?

Concrètement, il semble que la multiplicité des guichets de financement constitue un obstacle pour les porteurs de projets. Cela appelle une simplification et une meilleure coordination des procédures. Qu'en est-il ?

Il est à regretter qu'en cette période préoccupante de délocalisation aucun pôle interministériel d'anticipation des mutations destiné à protéger les salariés victimes des délocalisations ne soit opérationnel à ce jour.

La gestion des pôles interrégionaux, quant à elle, semble complexe. Or, dans le contexte européen, la notion de grande région semble être un facteur de facilitation d'efficacité pour les projets. Des mesures de soutien sont-elles prévues à cet égard ?

L'attention est également appelée sur la nécessaire adaptation des formations aux enjeux des différents pôles, après la phase d'amorçage. Il y va de la pérennité des pôles eux-mêmes. Comment l'État anticipe-t-il ce besoin ?

Enfin, la question de l'évaluation des pôles et de la politique publique se pose avec acuité, ainsi que celle, en arrière-plan, de la capacité à tisser des liens entre pôles. Comment l'État envisage-t-il ces aspects ? Dans le cadre de l'animation des réseaux et la promotion des pôles, l'initiative de créer des forums du financement de l'innovation et de la compétitivité a été prise. Sept forums se sont tenus, dont le dernier à Rennes les 24 et 25 janvier derniers. Pouvez-vous nous dire à quoi ces forums ont servi et surtout quelles perspectives ouvrent-ils ?

Pour terminer, et en marge du sujet qui nous occupe aujourd'hui, je souhaite appeler votre attention sur un aspect corollaire et essentiel du développement économique : il concerne le cadre de vie et plus particulièrement le logement.

Nous sommes ici plusieurs à regretter la situation bloquée du projet d'établissement public foncier en région Bretagne. Cette initiative, pourtant voulue et approuvée par le Gouvernement, se voit aujourd'hui délaissée par les services de l'État, mettant à mal le développement du projet.

Or, la question de la gestion du foncier, de la capacité à préserver des terrains à prix raisonnables est essentielle pour rendre attractifs nos territoires et loger celles et ceux qui y travaillent ou viendraient y travailler, d'autant plus si l'on prétend parallèlement mener une politique économique et industrielle ambitieuse. Je constate là une contradiction qu'il convient de lever au plus tôt, au nom de l'égalité de traitement entre tous les territoires français.

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