Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 14 septembre 2004, le Gouvernement lançait un appel à projets et lançait ainsi ce qui allait devenir les « pôles de compétitivité ». Le succès fut tout de suite au rendez-vous et les candidatures nombreuses : cent cinq pôles se sont portés candidats, soixante-six ont été retenus, dont six de niveau mondial et dix à vocation mondiale.
Deux ans et demi après ce coup d'envoi, il est nécessaire de tirer un premier bilan pour rectifier dès que possible les faiblesses ou les insuffisances de la politique qui fut ainsi engagée.
Les pôles de compétitivité ont pour objectif de rapprocher les entreprises, les laboratoires publics de recherche et les établissements d'enseignement supérieur.
Si, dès le départ, la recherche et l'innovation ont constitué l'essentiel de l'activité des pôles de compétitivité, par la suite, ceux-ci ont été amenés à développer d'autres activités comme la communication ou encore l'intelligence économique et, enfin, la formation pour bénéficier d'un personnel qualifié.
L'existence de ces pôles a également entraîné l'apparition de nouvelles menaces et de nouveaux besoins comme la sécurité économique, secteur promis à un grand avenir.
Tous les pôles sont aujourd'hui opérationnels et constituent un axe important de l'action publique dans le domaine de l'aménagement du territoire.
Les acteurs de ces pôles travaillent progressivement ensemble, échangent, se consultent. De toute évidence, l'enjeu correspondait réellement à une attente.
On ne peut que se féliciter du nombre de projets, de l'avancée rapide de certains pôles, du rapprochement et des synergies qui se développent entre les pôles pour atteindre cette fameuse masse critique indispensable à une véritable visibilité à l'international. Car là se situe bien l'enjeu. C'est pourquoi il me semble important de séparer les pôles régionaux et nationaux qui ont été distingués pour leur dynamisme et les pôles mondiaux ou à vocation mondiale.
Les premiers ont un rôle économique et structurant sur un territoire donné, un bassin d'emplois ou une région. Ils répondent à un objectif précis et constituent, je le pense, les outils les plus aptes pour mettre les territoires en synergie afin de développer les spécificités industrielles et économiques locales.
Quant aux pôles mondiaux ou à vocation mondiale qui sont déjà leaders dans leur domaine, ils constituent nos locomotives industrielles et doivent devenir les fers de lance de l'innovation européenne dans le concert international.
Comme je le soulignais lors de la dernière discussion budgétaire, étant rapporteur de la mission « Politique des territoires », les pôles de compétitivité et les pôles d'excellence rurale constituent désormais l'axe prépondérant de l'action publique dans l'aménagement du territoire.
Au-delà des dotations publiques, l'implication dans un pôle permet de bénéficier avant tout, d'un réseau, de nouvelles compétences et de nouveaux débouchés. Un nombre déjà significatif de projets de recherche et de développement, la plupart d'une grande qualité, a été lancé avec un réel souci stratégique. Les pôles doivent donc impliquer activement le capital risque et le capital investissement dans le financement des projets et des services qu'ils proposent, en particulier aux PME et aux très petites entreprises, les TPE.
Je n'ignore pas qu'une première évaluation, menée au début de l'année 2006, a fait ressortir une trop grande complexité et une lourdeur du système de financement qui a été simplifié il y a quelques mois, en regroupant l'ensemble des crédits d'intervention des six ministères concernés dans un fonds interministériel commun.
Pour 2007, le ministre délégué à l'aménagement du territoire, M. Christian Estrosi, avait annoncé à cette tribune, lors de l'examen du projet de loi de finances, que le dispositif lourd et pratiquement inopérant d'exonérations de charges sociales serait transformé en subventions supplémentaires au bénéfice des PME, ce dont je me réjouis, car ce sont elles aussi qui font vivre nos territoires. En augmentant leur réactivité, les PME sont en première ligne de la croissance et de la création d'emplois dont notre pays a tant besoin.
Toutefois, des critiques, des flous et des incertitudes subsistent.
Les pôles ne sont-ils pas trop nombreux ? Pour plus de visibilité et pour ne pas disperser l'aide publique, des experts souhaitaient, en effet, limiter leur nombre à une quinzaine. N'y a-t-il pas une crainte de voir ces aides, les objectifs et les compétences retenus, s'empiler sans visibilité, freinées par des lourdeurs administratives ? Autre crainte, quand plusieurs pôles travaillent sur des thématiques très proches, comment coordonner leurs activités pour une meilleure efficacité et une plus grande visibilité ?
Il y a quelques semaines, j'ai eu l'occasion de me rendre en Europe du Nord avec le rapporteur général de la commission des finances, notre collègue Philippe Marini, qui préside une mission commune d'information dont je suis le rapporteur, et qui porte une réflexion sur les centres de décision économiques, avec en arrière-plan l'attractivité du territoire.
L'exemple danois est intéressant, car voilà vingt ans que ce pays a décidé de lancer un vaste programme pour favoriser la création de réseaux en faveur des petites entreprises afin qu'elles puissent se rapprocher des entreprises les plus importantes dans le domaine de l'innovation.
La politique danoise a aussi favorisé - cela me semble intéressant - la mise en relation d'agents chargés d'initier ces groupements avec les conseillers bancaires, les consultants et des experts comptables qui ont ainsi largement participé à la réussite de ces réseaux.
Ce fut un succès qui conduisit par la suite le Danemark à mettre en place les mégaclusters, filières au nombre de huit, sans rattachement géographique, ainsi que les clusters de compétence, plus petits, qui sont incités à se rapprocher pour atteindre un niveau d'excellence international ou national.
L'exemple danois a fait tache d'huile, la Finlande et la Suède ayant imité la première phase du programme danois, dès ses premières évaluations. Actuellement, l'État soutient les établissements universitaires et la recherche ainsi que les entreprises qui bénéficient d'un label « sphère d'innovation ».
Nos pôles de compétitivité ont, avec des variantes, le même objectif.
Toutefois, l'expérience danoise m'a fait prendre conscience que le succès de leur politique d'innovation industrielle tenait dans une volonté de s'appuyer sur une expertise constante des besoins et des moyens engagés. D'où l'importance des bilans et évaluations des effets de levier engrangés par le partenariat et le soutien public. C'est une politique pragmatique qui rectifie en temps réel tout ce qui est contraire au but recherché.
Le nombre de projets devenant de plus en plus important, il est impératif de lever au plus vite les freins et les lourdeurs de fonctionnement ou tout autre problème qui ne sera perçu qu'avec une évaluation fiable et constante de l'activité des pôles.
Il me semble donc nécessaire, monsieur le ministre, de définir maintenant le mode d'évaluation de ces politiques territoriales.
Fin 2006, un cabinet a établi un premier bilan un peu succinct, mais très instructif des pôles de compétitivité
Cette étude présente plusieurs constats.
La stratégie internationale et la veille concurrentielle sont insuffisamment maîtrisées. L'emploi, les coopérations industrie-formation et l'installation d'activités nouvelles sur les territoires des pôles sont en queue de peloton des priorités exprimées par les acteurs des pôles.
La formation n'est pas encore intégrée dans les flux de coopération. Elle a du mal à s'ouvrir aux partenariats.
De même, les industriels sont encore trop peu impliqués dans les actions opérationnelles des pôles. La recherche publique est jugée trop éloignée des problématiques des industriels qui pensent davantage « technologie » et « conquête de marchés ».
S'il est vrai qu'il faut réformer certains aspects figés de la recherche et privilégier, par exemple, le dépôt de brevets sur les publications, il faut cesser d'opposer recherche et innovation. L'une et l'autre sont liées, car aucune innovation significative ne peut intervenir sans recherche fondamentale. Il revient à l'État de financer aujourd'hui la recherche fondamentale et le marché financera, demain, l'innovation.
Les pôles de compétitivité constituent, nous l'espérons, une réponse efficace et forte dans un contexte de compétition internationale accrue.
Ils doivent générer l'activité industrielle et commerciale à forte visibilité internationale pour être présent sur les marchés émergents, relancer nos exportations et attirer sur notre territoire des investisseurs étrangers. Cela ne peut pas se faire sans intervention publique.
À Sophia-Antipolis, le ministre de l'aménagement du territoire a affirmé : « Ce n'est pas aux pôles de s'adapter à l'État, mais à l'État de s'adapter aux pôles ». Cette déclaration par elle-même est déjà la preuve d'un changement d'esprit dans notre pays. Nous avons toujours réussi les réformes que nous avons voulues pour nos territoires. C'est pourquoi ce nouveau défi doit être relevé et gagné.