Nous tentons, une fois encore, d’abroger cette disposition inique qui a été introduite voilà moins d’un an dans la loi de modernisation économique, la loi LME, et qui met à mal le dispositif anticoncentration de diffusion hertzienne.
Je rappelle que le paragraphe I de l’article 39 de la loi du 30 septembre 1986, que cet amendement tend à modifier, constitue la clef de voûte du système anticoncentration applicable aux services de télévision titulaires d’une autorisation de diffusion par voie hertzienne.
La rédaction initiale de ce paragraphe interdisait à toute personne morale ou physique de détenir plus de 49 % du capital ou des droits de vote d’une société diffusant par voie hertzienne terrestre dès lors que l’audience de cette société, tant en mode analogique qu’en mode numérique, dépassait une audience de 2, 5 % de l’ensemble des services de télévision.
Sur l’initiative d’un ancien conseiller du Président de la République devenu député et pseudo-spécialiste des médias, Frédéric Lefebvre, cet article a donc été modifié par l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi LME, le seuil d’audience étant porté de 2, 5 % à 8 %.
En conséquence, certains opérateurs propriétaires de chaînes de la TNT, tels Bolloré, Bouygues ou le groupe M6, pourront rester en deçà du seuil d’audience et détenir 100 % des parts de leur société. Certaines chaînes de la TNT, comme Direct 8, filiale de Bolloré, W9, qui appartient à M6, ou TMC, qui pourrait être bientôt détenue à 100 % par Bouygues, sont près d’atteindre le seuil fatidique de 2, 5 % d’audience ou l’ont dépassé : TMC est au-dessus de 4 %, W9 se situe aux alentours de 4 % et Direct 8 approche 2, 5 %…
Jusqu’en 2008, le droit de l’audiovisuel français, soucieux de ne pas permettre que le capital d’une chaîne soit concentré dans les mains d’une même personne, était construit sur la règle de la détention d’une part maximale de 49 % d’un service de télévision diffusé en hertzien.
Certes, cette disposition anticoncentration, garante du pluralisme dans le secteur audiovisuel, avait été élaborée dans le cadre restreint de la ressource hertzienne en mode analogique. Pour autant, l’arrivée du numérique, si elle multiplie la ressource environ par six, ne saurait justifier que de nouveaux entrants puissent se soustraire au droit commun de l’audiovisuel et détenir jusqu’à 100 % du capital de leur société. La ressource est supérieure, mais elle n’est pas infinie ; les exigences de pluralisme doivent s’accroître en même temps que le nombre des opérateurs.
Le cadeau ainsi fait aux opérateurs privés de télévision, préalable à ceux que leur accorde ce projet de loi, concerne potentiellement tous ceux d’entre eux qui n’atteignent pas 8 % d’audience cumulée. Or, compte tenu de l’abondance de la ressource numérique, ils ne peuvent espérer franchir ce seuil ! Tous pourront donc se porter acquéreur des droits qu’ils ne détiennent pas encore sur leurs services de télévision en hertzien.
Sous ses airs de mesure technique, cette modification met à mal la règle anticoncentration qui garantissait le pluralisme et qui, sous tous les gouvernements, constituait un socle commun. Mais il est vrai que la politique ultralibérale de l’actuel gouvernement a cassé bien des socles communs ces derniers mois, parfois en catimini ! En l’occurrence, cette disposition, introduite dans l’anonymat d’un amendement cavalier au projet de loi LME, trouve subrepticement une place dans ce projet de loi sans que nous ayons réellement eu l’occasion d’en débattre sur le fond.