Nous voilà parvenus au terme de nos débats : force est de constater que la Haute Assemblée aura été plus que jamais maltraitée par le pouvoir en place.
Ce pouvoir a vidé nos discussions d’une partie de leur substance, avec un projet de loi lui-même en partie vidé de son contenu du fait de la mise en œuvre de la suppression partielle de la publicité dès le 5 janvier dernier.
Cela n’augure rien de bon sur les relations futures entre notre assemblée et le Gouvernement. Je regrette à cet égard que de nombreux parlementaires de la majorité se soient réfugiés dans l’absentéisme et le mutisme.
J’en viens au fond du texte. Ce soir, je m’adresse particulièrement à vous, madame la ministre. Je connais bien les difficultés de votre charge et je veux dire ici ma conviction intacte que l’audiovisuel public assume dans notre société une responsabilité majeure et irremplaçable en matière de création et de pluralisme. Or, cette responsabilité me paraît menacée, amputée par ce texte.
Ce débat n’aura pas réussi à nous rassurer – c’est un euphémisme – sur les conséquences de votre réforme. Le Sénat est certes parvenu à poser quelques garde-fous, souvent contre l’avis du Gouvernement, mais, fondamentalement, la philosophie et l’économie du texte n’ont pas varié : vous n’y avez rien changé au cours du débat. Et quand bien même l’eussiez-vous voulu, sans doute ne l’eussiez-vous pas pu, la volonté du Président de la République ayant désormais, semble-t-il, force de loi !
Votre réforme installe durablement France Télévisions dans la précarité et dans la dépendance financière.
Nous ne pensions pas parvenir, à l’occasion de l’examen de ce texte par le Sénat, à vous faire changer de philosophie ; nous pouvions cependant attendre au moins que vous ne confirmiez pas l’erreur que vous avez commise en imposant à l’entreprise France Télévisions la suppression totale de la publicité pour la fin 2011, alors même que personne ne peut dire dans cette enceinte quelles auront été les conséquences financières de la suppression partielle de la publicité, comment et dans quelle proportion le transfert de publicité se sera réalisé et, plus grave, si France Télévisions aura la capacité de gérer en un même temps les deux bouleversements majeurs que seront la suppression totale de la publicité et le passage au tout numérique.
Sur tous ces sujets, il reste plus de questions que nous n’avons de réponses, et ce n’est pas acceptable.
Le débat aura globalement fait la démonstration de l’impréparation, voire de l’irresponsabilité de grands pans de cette réforme pour France Télévisions et pour l’ensemble du secteur audiovisuel, privé et public.
En ce qui concerne le financement, le texte sortira de notre assemblée avec un léger mieux, permis par l’indexation du montant de la redevance sur l’inflation et par le léger coup de pouce qui aura été voté, à l’unanimité moins quatre voix, coup de pouce rendu indispensable par la volonté présidentielle de priver la télévision publique des ressources de la publicité.
Mais nous redoutons votre volonté de revenir sur ce vote à l’occasion de la commission mixte paritaire. J’appelle solennellement les sénateurs de l’UMP à ne pas y céder, à ne pas se dédire.
L’encadrement de la révocation des présidents de chaîne et le maintien de la publicité sur RFO sont deux autres progrès qu’auront permis nos débats.
Madame la ministre, ces quelques garde-fous ont chaque fois été votés contre l’avis du Gouvernement, ce qui témoigne de votre refus de voir le texte amendé, enrichi. Tel est pourtant bien le sens du travail parlementaire.
Globalement, ce texte confirme nos inquiétudes pour France Télévisions, Radio-France et la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France, notamment quant à leur capacité de relever les défis à venir.
De votre fait, ces entreprises publiques affronteront avec des semelles de plomb les mutations technologiques et culturelles, ainsi que la concurrence.
Ce projet de loi rompt l’équilibre recherché depuis des décennies entre service public et secteur privé, au profit de ce dernier.
Le passage à l’entreprise unique n’est pas assorti d’un mode d’emploi clair. La définition et les spécificités des missions des différentes antennes du groupe ne relèvent plus de la loi, ce qui ne peut qu’accroître nos suspicions sur l’évolution du périmètre de France Télévisions.
Nos interrogations demeurent fortes sur la façon dont seront traitées les relations sociales dans l’entreprise au cours de la période intérimaire.
Enfin, madame la ministre, je ne peux pas clore mon propos sans évoquer la reprise en main de l’audiovisuel public par le pouvoir politique. Les garde-fous que vous présentez comme des garanties d’indépendance sont en réalité des faux-nez.
Vous doublez la dépendance financière d’une dépendance politique, avec la nomination des présidents de chaîne par le Président de la République, en conseil des ministres.
Vous n’avez cessé de parer votre projet de loi des vertus de la modernité. La modernité appelait à libérer le service public de la publicité, peut être, mais, plus encore, des dépendances financières et politiques. Votre projet de loi a fait un tout autre choix, celui de renforcer ces dépendances, de les institutionnaliser, de placer l’audiovisuel public dans une situation d’obligé du pouvoir. C’est pourquoi nous le rejetons.