On en est donc là. Après que les uns et les autres se sont exprimés, il faut bien, un moment donné, délibérer et agir !
Alors, oui, le Sénat tranche et agit. Il a répondu à de légitimes questions. Doit-on avoir peur des nouvelles technologies ? Bien sûr que non, puisqu’elles permettent d’apporter plus d’informations, d’élargir les connaissances, qu’elles favorisent l’émergence de la création et les échanges sur celles-ci. Doit-on pour autant sacrifier la création à la fascination du monde pour ces nouvelles technologies ? Certes pas, parce que, depuis que le monde est monde, l’homme fait confiance aux nouvelles technologies, mais conserve en même temps tout son pouvoir à la création.
Aujourd’hui, c’est donc à nous, et à personne d’autre, qu’il revient d’inventer une voie nouvelle, une voie nouvelle contre tous les courants démagogiques, une voie nouvelle pour infléchir des usages qui nuisent à la création.
Le Sénat a donc pris sa part à ce travail. Le 8 juillet dernier, nous adoptions ici le présent projet de loi après avoir inséré sept nouveaux articles aux cinq articles que contenait le texte initial présenté par le Gouvernement.
Je résumerai les apports du Sénat en quatre points.
En premier lieu, les modifications que nous avons adoptées ont permis d’améliorer là lisibilité, la cohérence et donc l’intelligibilité du texte. Nous avons notamment mieux distingué le délit de contrefaçon de l’infraction de négligence caractérisée visant le titulaire de l’abonnement à Internet.
En second lieu, nous avons renforcé le caractère pédagogique et dissuasif du texte. Je vous rappelle que, à cet effet, nous avons prévu que la sanction de suspension de l’accès à Internet, lorsqu’elle est prononcée dans le cadre de l’infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figure pas au bulletin n° 3 du casier judiciaire. En effet, notre objectif est que le caractère pédagogique et dissuasif du nouveau dispositif proposé n’emporte pas de conséquences fâcheuses pour les personnes en recherche d’emploi ou souhaitant se présenter à un concours administratif.
Nous avons aussi renforcé l’information des abonnés et, par ailleurs, augmenté le plafond de l’amende encourue par le fournisseur d’accès à Internet, le FAI, qui ne mettrait pas en œuvre la peine de suspension qui lui aurait été notifiée.
En troisième lieu, le Sénat a adopté des dispositions de nature à mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. En particulier, nous avons fait en sorte que la Haute autorité ne puisse pas garder les données à caractère personnel relatives à l’abonné plus longtemps que la procédure ne l’exige. Nous avons aussi précisé le délai dans lequel les FAI doivent mettre en œuvre la suspension, afin d’encadrer l’appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.
En quatrième lieu, nous avons introduit des dispositions permettant aux ayants droit de mieux faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires. C’est pourquoi la Haute autorité devra informer les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de l’autorité judiciaire. Ainsi, ceux-ci pourront décider, s’ils le souhaitent, de se constituer partie civile et, dans ce cas, se signaler auprès du procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l’ordonnance pénale, au bénéfice d’une procédure classique.
L’Assemblée nationale, quant à elle, a inséré trois articles dans le texte issu du vote du Sénat : les articles 1er bis, 3 ter et 5. En outre, elle a encore clarifié certaines dispositions et en a modifié ou précisé utilement d’autres : la prestation de serment des agents de la Hadopi – Haute autorité pour la diffusion des œuvres et le protection des droits sur Internet – devant l’autorité judiciaire ; la limitation du recours au juge unique et à l’ordonnance pénale au seul délit de contrefaçon commis par Internet ; la possibilité pour les ayants droit d’obtenir des dommages et intérêts directement dans le cadre de la procédure d’ordonnance pénale ; enfin, les précisions touchant l’incrimination de négligence caractérisée et les dispositions relatives à l’application du principe de personnalisation et de proportionnalité des peines.
S’agissant de ce dernier point, seront ainsi précisés les critères devant guider l’action du juge dans le prononcé des sanctions, et notamment la suspension de l’accès à Internet.
Par ailleurs, nos collègues députés ont exclu les correspondances privées du champ d’investigation des agents de la Hadopi. Cependant, en cas de sanction de l’abonné consistant en une suspension de son accès à Internet, sa messagerie sera bien suspendue.
Le 16 septembre dernier, sous la présidence de notre collègue Jacques Legendre, président de la commission de la culture du Sénat, la commission mixte paritaire s’est réunie et s’est accordée sur un texte commun.
Nos sociétés contemporaines ne peuvent avancer que si l’on fait preuve de pédagogie, la pédagogie de ceux qui, connaissant tel ou tel domaine, l’expliquent à ceux qui le connaissent mal. Ensuite, notre société avance par le dialogue et le débat. En outre, elle ne peut avancer que dans la mesure où nos concitoyens se sont forgés pour eux-mêmes la conviction que ce qui leur est proposé va dans le bons sens : c’est clairement le cas en matière de santé publique ou de sécurité routière ; il faut que ce soit aussi le cas s’agissant de la création.
Avant de vous appeler, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, je tiens à rappeler que nous avons, ici, toujours souhaité accompagner la mutation du monde physique vers le monde numérique, tout en faisant prévaloir nos valeurs, quitte à les actualiser.
De ce point de vue, je tiens à saluer la détermination du Président de la République, qui, voilà déjà deux ans, a engagé le débat et souhaité une réforme qui préserve la création.
Je tiens également à rendre hommage au travail de Mme Albanel, qui a, pendant de nombreux mois, suivi l’élaboration de ce texte, mais aussi à souligner, monsieur le ministre, que vous avez repris ce texte en le prolongeant de manière fort opportune à travers une mission, que vous avez confiée à MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, chargée d’étudier les moyens d’aller plus loin en matière de création dans le monde des nouvelles technologies.
Je tiens enfin à remercier mes collègues et l’administration du Sénat, qui m’ont beaucoup aidé dans ce travail. C’est la traduction de l’exigence du Sénat, sur laquelle nous avons souvent insisté, pour que l’offre légale soit à la fois plus fournie, moins coûteuse, donc plus pratique. Pour réussir, nous devons tout à la fois endiguer le piratage et développer une offre légale de qualité. Il est temps que tous les professionnels concernés se mettent au travail afin que l’offre légale soit une réalité concrète pour chacun de nos concitoyens.
Je dirai en conclusion que les problèmes qui nous occupent ne se posent pas uniquement dans notre pays. Ils concernent aussi nos voisins européens, de même que des pays plus éloignés. Ainsi, la Corée et Taïwan entreprennent des réformes tout à fait comparables à celle que nous avons engagée.
La France, comme elle le fait souvent dans le domaine de l’art et de la culture, doit montrer un chemin. Je ne voudrais pas que l’on oublie l’attente de ceux qui nous observent, l’impatience, voire l’envie, de la manifestation d’une volonté française. Permettez-moi, à cet instant, de citer un extrait de ce qu’avait déclaré, en 1983, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges devant l’Académie française : « La France a l’habitude de dons infinis. Depuis la Chanson de Roland, on n’a cessé de monter cette limpide littérature du Grand Siècle, puis cette félicité, cette rare félicité qu’était Voltaire, et puis la voix de Hugo, la musique de Verlaine… Et pourquoi ne pas nommer André Gide, André Malraux ? »
Il revient aujourd’hui au législateur de tenter, avec humilité et courage, de faire en sorte que ce don infini de la France soit effectivement infini.