Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 21 septembre 2009 à 14h30
Propriété littéraire et artistique sur internet — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, cher Michel Thiollière, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque je suis venu vous présenter, le 8 juillet dernier, le présent projet de loi, j’ai tenu d’emblée à le replacer dans une perspective plus vaste.

J’ai toujours souligné que ce dispositif était, à mes yeux, nécessaire, mais non suffisant. Pour moi, la régulation de l’internet prévue par ce projet et par le précédent, qu’il vient compléter pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier, n’est qu’un premier jalon. C’est le préalable indispensable à une deuxième étape : le développement de nouvelles formes d’offres culturelles sur Internet et l’invention de nouvelles sources de rémunération pour les créateurs.

J’ai donc lancé, voilà quelques jours, une concertation de tous les acteurs de la culture mais aussi de l’internet. J’ai confié cette mission à des personnalités éminentes, indépendantes et respectées de tous : Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti. Je leur ai demandé d’apporter des réponses concrètes et immédiates à trois questions fondamentales. Comment proposer des offres légales de musique et de films encore plus attractives pour les consommateurs ? Comment dégager de nouvelles ressources pour financer la création des œuvres ainsi diffusées ? Comment aboutir à un partage équitable de la richesse ainsi créée entre les artistes, les entreprises de la culture et les acteurs de l’internet ?

Avant la fin du mois de novembre, je ferai des propositions au Président de la République et au Premier ministre. Tous les créateurs de notre pays les attendent : il faut agir vite ; j’y suis déterminé.

Vous le constatez, pendant que le Parlement accomplissait les travaux nécessaires à la discussion et à l’adoption du présent projet de loi, je ne suis pas resté inactif, loin de là.

J’ai tenté de faire en sorte que le dispositif qu’il instaure, celui de la collaboration entre la Hadopi et les autorités judiciaires, prenne tout son sens aux yeux de nos concitoyens : il s’agit d’un mécanisme essentiellement pédagogique de lutte contre le piratage, indissociable de la mise en place d’un nouveau modèle de diffusion et de financement des œuvres culturelles. C’est ainsi que nous garantirons le mieux son applicabilité et son efficacité.

Je ne reviendrai pas sur le détail de ce projet de loi après la présentation que vient d’en faire votre rapporteur, Michel Thiollière, que je veux remercier de sa compétence et de son engagement depuis le 30 octobre 2008, date à laquelle le premier projet de loi, désormais désigné sous le nom de « Hadopi I », était adopté par le Sénat, à l’unanimité.

Je me limiterai donc à souligner que, grâce au Sénat et à l’Assemblée nationale, ce second projet de loi a fait l’objet de plusieurs améliorations qui rendent encore plus claires les intentions des pouvoirs publics.

Je pense notamment à la décision de la commission mixte paritaire de proposer un texte qui retranche la messagerie électronique du champ de la suspension d’accès aux services en ligne qui peut être prononcée par le juge judiciaire.

Par ailleurs, lorsque le juge sera amené à se prononcer sur une peine de suspension, il lui incombera de prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur. De cette façon, la sanction sera la plus adaptée, donc la plus efficace possible. Certes, cette obligation découlait des principes généraux de notre droit. Mais, après le débat passionnel que nous avons connu sur ce texte, il ne faut pas craindre d’être tout à fait explicite.

Je veux, surtout, saisir cette occasion pour continuer à dénouer, inlassablement, les idées fausses dont est tissée l’incompréhension avec laquelle ce texte est parfois encore accueilli.

Je rappelle d’abord que l’édifice dont nous allons poser la dernière brique n’a pas été imaginé par des technocrates coupés des réalités. Il a été conçu par les acteurs de la culture et de l’internet eux-mêmes. Il est l’application des accords historiques signés à l’Élysée, le 23 novembre 2007, par un ensemble de près de cinquante organisations représentatives et entreprises de la musique, du cinéma, de la télévision, ainsi que par tous les fournisseurs d’accès à Internet.

Ensuite, les deux lois apporteront des avancées considérables pour le consommateur.

Ainsi, elles permettront l’accélération de la mise à disposition des films. Désormais, ils seront disponibles en DVD à peine quatre mois après leur sortie en salles, au lieu de six mois, et en VOD – vidéo à la demande – après quatre mois aussi, au lieu de sept mois et demi. Voilà une vraie mesure, concrète, qui devrait changer le comportement du consommateur.

Par ailleurs, les maisons de disques ont retiré tous les « verrous numériques » anti-copie des morceaux de musique téléchargés à l’unité. Autrement dit, dorénavant, lorsqu’on achètera en ligne une musique, on pourra la copier sans difficulté pour son usage personnel et familial, aussi facilement qu’on le faisait naguère avec une cassette.

Il est un autre point sur lequel je veux revenir, et qui est peut-être le plus important après les polémiques déraisonnables, disproportionnées auxquelles les deux textes ont donné lieu : contrairement aux caricatures qui en ont été faites, leur vocation est essentiellement pédagogique. Le cœur de leur mécanisme réside dans les rappels à la loi envoyés par la Hadopi. Les sanctions, sur lesquelles on s’est tellement répandu, n’ont été pensées que comme une force de dissuasion, qui vient coiffer la série d’avertissements envoyés par la Haute autorité.

Les sanctions seront probablement assez rares, car je crois à l’efficacité de cette dissuasion, mais la perspective de la sanction signalera qu’Internet ne doit pas être un lieu de non-droit : c’est un espace rapide, où l’on « surfe » ; ce ne doit pas être un espace où le droit se volatilise et devient virtuel.

Deux avertissements avant toute sanction, dont un par lettre recommandée : quel luxe de précautions, d’explications ! Comme s’il fallait recevoir deux avertissements à domicile avant de se faire retirer un point sur son permis de conduire… Et ces messages sont envoyés par une Haute autorité qui protège l’anonymat des internautes, qui est composée de magistrats et d’agents publics, impartiaux et indépendants.

Le premier décret d’application de la loi Hadopi I, déjà paru au Journal officiel, porte d’ailleurs sur la déontologie. Cela souligne à quel point le souci du Gouvernement a été d’interposer, entre les internautes et les titulaires de droits, une instance médiatrice incontestable, protectrice de leur vie privée.

Cette démarche n’est pas purement réactive et négative. Elle veut construire, sur le long terme, une nouvelle approche de l’internet. Il s’agit bel et bien de poser clairement le principe d’Internet comme espace civilisé, avec ce que cela implique comme protection des droits élémentaires de chacun. Un espace de droit dans lequel non seulement l’internaute ne doit pas être favorisé par rapport à celui qui se rend chez son disquaire, mais où l’internaute malin, trop malin, ne doit pas l’emporter sur l’internaute candide.

Ne soyons pas naïfs : nous savons que ce que nous décidons dans le monde virtuel d’Internet a des implications dans le réel, qu’il n’est pas bon de se laisser aller à l’illusion d’un monde parallèle où rien ne pèse, où triompherait l’insoutenable, l’excessive légèreté du Net.

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