Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 21 septembre 2009 à 14h30
Propriété littéraire et artistique sur internet — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Les « arrière-mondes » que nous créons ont plus d’influence et de puissance que l’on ne croit sur le monde réel ? Ils lui empruntent, mais ils le façonnent en retour, ils lui donnent ses nouvelles formes, ses habitudes. C’est pourquoi, si Internet est un formidable instrument, son champ ne doit pas être laissé en jachère juridique. Il ne doit pas échapper à notre vigilance ni à la régulation qui fonde nos sociétés de droit.

Le Président de la République nous a montré ce que peut la volonté politique : renverser un dogme, celui du laisser-faire, du pillage immoral de l’économie réelle des entreprises par l’économie virtuelle des marchés financiers. Je veux faire la même chose pour le pillage des œuvres, au nom d’une liberté mal comprise. La liberté n’est pas la licence, le libéralisme n’est pas la jungle.

Que veulent-ils, les démagogues du laisser-faire, qui confondent la jeunesse avec le jeunisme ? La gratuité pour toutes les œuvres des artistes sous prétexte qu’elles sont sur la Toile ?

J’ai fait du numérique l’une des priorités de mon action au ministère de la culture et de la communication. J’ai ainsi annoncé une porte d’entrée unique de notre patrimoine numérisé sur Internet, je suis entré dans le débat sur la numérisation des imprimés entre un géant américain et la Bibliothèque nationale de France, j’ai demandé qu’une partie du grand emprunt soit dirigée sur la nécessaire modernisation de notre patrimoine qui réside dans l’accélération et la mise en cohérence de sa numérisation.

Là où la gratuité est possible, j’ai agi concrètement et rapidement : j’ai décidé, dès cet été, de l’appliquer à l’entrée dans les musées et monuments nationaux pour tous les jeunes de moins de vingt-six ans qui résident régulièrement dans l’Union européenne, quelle que soit leur nationalité.

Mais la gratuité des œuvres d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes, de scénaristes, de réalisateurs vivants, ce ne serait magnifique que dans un monde idéal ! Le financement de leurs œuvres est assuré non pas, comme pour les musées ou les monuments, par l’impôt des citoyens ou les gratifications d’un mécène, mais par le consentement du public de leurs admirateurs à les rémunérer.

Ensuite, je le redis, le projet de loi vise le grand nombre : il vise à modifier le comportement de la masse des internautes, à attirer l’attention sur les conséquences du piratage pour les créateurs et sur les sanctions encourues.

Évidemment, il sera toujours possible aux « petits malins » d’échapper momentanément aux sanctions en déployant beaucoup de savoir-faire, par exemple en cryptant leurs échanges. Ce sera le fait d’une infime minorité, comme pour toutes les formes de délinquance, et les techniques de détection évolueront en même temps que les techniques de dissimulation ; c’est un processus éternel qui n’a jamais dissuadé de lutter contre la délinquance. Mais il faut arrêter avec le romantisme du « pirate génial » de l’internet et du gangster fascinant. Le piratage sur Internet est beaucoup moins glamour que cela : ce sont des œuvres galvaudées et la diversité culturelle compromise.

D’ailleurs, si notre démarche était si mal fondée, elle ne serait pas, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, de plus en plus imitée.

On disait, on répétait que la France était isolée, qu’elle s’enferrait dans l’opposition, la confrontation ; il semble bien plutôt, à regarder ce que font les autres pays, qu’elle était tout simplement en avance, tant notre philosophie est désormais reprise partout : Irlande, Taïwan, Corée du Sud, pour citer les plus proches de notre modèle. Des résultats spectaculaires sont déjà observés en Suède ; voilà deux semaines encore, des annonces fortes ont été faites par Peter Mandelson, ministre du commerce du Royaume-Uni.

Chacun sait que, dans le domaine de la culture, la France n’est pas un acteur comme les autres, qu’elle a toujours joué un rôle pionnier. Nous célébrons cette année le cinquantenaire du ministre de la culture. On le raillait à sa création, sans doute en prétextant que les arts et les artistes n’avaient pas besoin du soutien public. Eh bien, pour imaginer des solutions contre le piratage, de nombreux pays, et notamment ceux que je viens de citer, nous observent, nous imitent, nous rattrapent même. De même, plusieurs dizaines de pays, en cinquante ans, se sont dotés d’un ministère de la culture. C’est une forme de « piratage » que nous pouvons regarder avec satisfaction...

Peu importe d’ailleurs, en un sens, le contenu exact du dispositif de protection. Les techniques vont évoluer encore avec la vitesse qui les caractérise. Mais les avancées de la technique ne doivent pas conduire à l’obsolescence des principes. Or le principe de base, ici, est bien qu’il ne peut pas y avoir d’impunité totale. Il faut en donner des manifestations bien visibles. Ce sera, en France, le rôle de la Hadopi.

Les artistes l’ont bien compris. Les créateurs, les entreprises du cinéma, de la musique et de l’internet ont apporté un soutien massif au projet du Président de la République et au Gouvernement. Je rappelle tout particulièrement le soutien de toutes les PME de la culture, de ces petites entreprises qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques, en soutenant de jeunes talents, avec des moyens parfois dérisoires.

Ces structures indépendantes sont au cœur du dynamisme et de la diversité de la scène artistique française et européenne. Elles ont apporté, aussi bien chez nous que chez nos partenaires, un soutien massif et régulièrement renouvelé à la loi. Ce texte n’est donc pas la loi des « majors » ni de quelque intérêt particulier que ce soit. C’est la loi de tous les créateurs et des jeunes talents et, in fine, de leurs publics, de ceux que j’ai vus, entendus, admirés, lors de mes déplacements à travers la France pendant tout l’été, à Marciac, Lussas, Saintes, etc.

Ce sont eux, mais aussi toutes les entreprises qui les produisent et les soutiennent, le réseau fourmillant des « PME culturelles », qui ont les yeux fixés sur nous aujourd’hui. Ils sont la réalité économique de la diversité culturelle. Ils attendent le dernier acte d’un processus législatif dont ils espèrent l’affirmation claire et ferme que, même sur Internet, la protection de leurs droits est une réalité.

Ce texte témoigne de notre attachement aux principes fondateurs d’un espace culturel civilisé. Il vise, dans une conception équilibrée des rapports sociaux, à conjuguer les exigences de l’accessibilité et du droit d’auteur, de la modernité des supports et de la pérennité des principes, et recourt, pour ce faire, à un système d’accompagnement juridique des évolutions techniques et de régulation du marché. Par là, c’est la continuité même de notre conception du monde et des valeurs défendues, depuis toujours, par votre Haute Assemblée, par-delà les clivages et les appartenances, que nous avons l’intention de promouvoir et de prolonger.

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