Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nécessité de prendre des mesures fortes en faveur des artistes et de la création n’a jamais été aussi urgente. Le 9 septembre dernier, le journal Le Monde rappelait les derniers chiffres de l’industrie musicale : le constat est alarmant puisque, au premier semestre, le marché de la musique a encore enregistré une baisse de près de 18 % par rapport à la même période de 2008. Cette baisse représente, en valeur, une perte de 50 millions d’euros sur six mois pour l’industrie du disque. Il faut noter que, dans le même temps, le chiffre d’affaires de la musique numérique n’a augmenté que de 3 %.
Ces nouveaux chiffres démontrent donc une fois encore, s’il en était besoin, que le piratage numérique continue de progresser et met chaque jour un peu plus en péril l’avenir de la création artistique.
Le présent projet de loi doit permettre la mise en place des dernières étapes de la réponse graduée. À l’issue de son examen par chacune des assemblées, la commission mixte paritaire a adopté un texte équilibré, garantissant le caractère à la fois pédagogique et dissuasif du dispositif. Les avancées qui y sont proposées sont réelles, et elles sont attendues par une très large majorité des artistes.
Je tiens à revenir brièvement sur quelques-unes des modifications apportées au texte voté en première lecture au sein de notre assemblée.
Tout d’abord, l’adoption d’un amendement, déposé par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, a permis d’exclure du champ des investigations de la Hadopi et de l’autorité judiciaire les services de messagerie des internautes, c’est-à-dire la correspondance privée par courriel. Il faut se féliciter de cette modification, qui tend, par la réaffirmation du secret des correspondances, à une défense accrue de la vie privée des internautes.
À l’article 1er, il a été précisé, d’une part, que les agents assermentés de la Hadopi le seraient devant l’autorité judiciaire et, d’autre part, que les agents constateraient seulement les faits susceptibles de constituer une infraction, et non les infractions elles-mêmes. Ces modifications constituent des avancées souhaitables en faveur d’une meilleure protection des droits des internautes.
La protection des droits fondamentaux sur les réseaux numériques doit encore progresser. C’est d’ailleurs dans cette optique que le Nouveau Centre présentait dès cet été, sur l’initiative de son président, un projet de Déclaration des droits fondamentaux numériques destinée à garantir sur Internet, comme partout ailleurs, le respect des droits fondamentaux définis, entre autres, par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ou encore par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il est en effet indispensable, mes chers collègues, de poursuivre la réflexion sur ces thèmes dans les mois et les années à venir afin de parvenir à l’instauration de garde-fous, notamment en matière de protection de la vie privée, mais aussi de préservation de la dignité humaine. Nous avions aussi évoqué ces sujets, je le rappelle, lors de l’examen du projet de loi portant sur l’audiovisuel.
Nos collègues députés ont également précisé les conditions de la procédure de jugement simplifiée. Ainsi, à l’article 2, le recours au juge unique et à l’ordonnance pénale a été expressément limité aux seuls délits de contrefaçon commis via Internet. Parallèlement, dans ce même article, il est prévu que les victimes pourront demander des dommages et intérêts directement dans le cadre de la procédure d’ordonnance pénale.
Enfin, je me félicite que le texte qui nous est soumis aujourd’hui permette de mieux définir l’incrimination de négligence caractérisée.
D’une manière plus générale, et vous l’avez rappelé fort à propos, monsieur le ministre, il est indispensable de poursuivre une réflexion globale et approfondie sur le financement de la création à l’ère d’Internet. Aussi, je me réjouis de la mise en place de la mission, dirigée par M. Zelnik, que vous avez souhaitée et qui doit réfléchir au développement de l’offre légale de téléchargement et aux mesures d’accompagnement de la loi nouvelle.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, l’offre légale est encore largement insuffisante à l’heure actuelle. La loi Hadopi I du 12 juin 2009 permet une mise à disposition plus rapide des œuvres, que ce soit dans le domaine de la musique – grâce à un amendement que j’avais déposé au nom du groupe de l’Union centriste et dont l’adoption a permis, en rendant possible la suppression des DRM, de lever l’un des principaux freins au déploiement des nouvelles offres – ou dans celui des œuvres cinématographiques. Mais cette offre légale doit aussi s’étoffer et être mieux mise en valeur : il est indispensable que le public soit bien informé des innovations concernant l’offre légale et soit associé aux réflexions afin de dégager des offres toujours plus attractives, toujours plus riches et diversifiées.
Enfin, le système que le projet de loi tend à mettre en place tient pleinement compte des critiques formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin dernier : le volet répressif sera bien confié à un juge et non plus à une autorité administrative.
Les garanties supplémentaires apportées par ce projet de loi dans la mise en place de la Hadopi et la définition de ses missions permettent à une large majorité du groupe de l’Union centriste de voter en faveur de ce texte, même si nous restons persuadés que cette loi ne sera sans doute que transitoire.
À l’avenir, en effet, il faudra trouver les nouveaux équilibres respectueux de chacun : de la liberté des créateurs et des artistes, avec les droits qu’il faut leur reconnaître, et de la liberté des internautes, de leur droit à s’informer et à communiquer. Car Internet, c’est un potentiel d’accès élargi aux œuvres, de soutien à la diversité, d’implication aussi des internautes eux-mêmes dans le champ culturel, qui se réinvente chaque jour avec de nouvelles formes.
Nul ne peut nier qu’Internet a également introduit des perturbations qui déstabilisent aujourd’hui les relations aux savoirs, dérèglent la circulation des œuvres et biens culturels. Les mécanismes économiques et juridiques qui régissent le développement des industries culturelles sont également touchés. Il faut donc donner à ce secteur les moyens de son rebond tout en admettant que les industries culturelles auront de plus en plus de mal à imposer une consommation jusqu’alors synchronisée des œuvres, le temps d’usage de celles-ci étant désormais librement organisé par chacun.
Entre régulation et adaptation, l’’équilibre doit être trouvée. Mais il faut en même temps avoir conscience que la nouvelle société de l’information est chaque jour un peu plus complexe : c’est un défi, si l’on considère qu’Internet signifie une nouvelle manière de vivre ensemble, une nouvelle manière de communiquer, des rapports sociaux réinventés, une représentation du monde et de la culture transformée, qui concernera environ un milliard d’internautes dès 2010. Nul doute, dès lors, qu’il nous faille poursuivre collectivement la réflexion et le travail.
En conclusion, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail de chacun, plus particulièrement celui de notre rapporteur, Michel Thiollière, qui, par sa connaissance pointue de l’ensemble de ces problématiques, a permis de parvenir à un texte équilibré.