Intervention de David Assouline

Réunion du 21 septembre 2009 à 14h30
Propriété littéraire et artistique sur internet — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais préparé une intervention, mais en la relisant je me suis dit que j’avais déjà avancé maintes fois ces arguments depuis quatre ans et qu’il valait mieux me situer dans le débat de demain et réagir aux propos de M. le ministre.

De nombreux malentendus doivent être levés. Ainsi, à entendre M. le ministre, il est clair que les sénateurs socialistes partagent quelques-unes des idées de départ et des objectifs d’arrivée.

Première idée : la création, les ayants droit, les auteurs doivent avoir la juste rémunération de leur travail. La création, comme la culture en général, n’est pas gratuite, elle doit être rémunérée.

Deuxième idée : en général, et pas seulement dans le domaine de la création, l’argumentation que vous avez soulevée, monsieur le ministre, concernant internet et sa régulation, nécessite un débat parlementaire sérieux sur l’ensemble du champ car c’est un gigantesque espace d’échanges. J’ai réalisé un rapport sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse, en particulier internet, qui pointe un certain nombre de problèmes relatifs à la protection de l’enfance, à l’éducation, à l’information, à sa régulation, à la culture. Nous devons réguler.

Troisième idée : la culture doit trouver ses financements.

Cependant, nous sommes en désaccord sur les moyens pour y parvenir. Il y a eu la loi DADVSI et, au lieu de parler en théorie, on devrait relire les débats de l’époque. Nous avions auditionné des industriels notamment, qui nous disaient : il faut vite bâtir une digue, nos ventes sont en chute libre. On nous disait, surtout dans le domaine de la musique – le cinéma se sentait un peu plus protégé –, que l’économie était en train de s’écrouler, mais on nous promettait des offres alternatives au piratage sur internet, c’est-à-dire des offres à bas prix pour tous ceux qui avaient pris l’habitude d’avoir de la musique gratuitement. Ce passage était nécessaire et les DRM, nous disait-on, constitueraient une dissuasion et le moyen technique empêchant ce piratage.

Mais, comme nous l’avions prévu à l’époque, tout est tombé à l’eau : les DRM n’existent plus. Il faudrait parfois nous rendre grâce de certains avertissements !

Ensuite, les majors notamment, qui voyaient les choses comme toujours à courte vue et par rapport à des bénéfices immédiats, ont attendu d’épuiser leurs vinyles avant de commencer à travailler à des offres plus accessibles pour les jeunes en particulier. Ils ont formulé des offres qui paraissent, aujourd’hui, au regard du mode de consommation, beaucoup trop chères. Ces offres ne sont donc pas une alternative.

À l’époque, le cinéma nous disait : nous ne sommes pas trop touchés, car il était protégé par quelque chose de fondamental dans notre pays, la chronologie des médias. Les techniques ne permettaient pas des téléchargements en haut débit suffisamment rapides pour que ce soit un phénomène massif : des jeunes qui voulaient pirater un film mettaient une, deux, voire trois nuits pour le télécharger.

Les technologies ont évolué. Aujourd'hui, il y a HADOPI, mais la logique reste la même. Internet est devenu une déferlante : des dizaines de millions de personnes se connectent. Avec le haut débit et des technologies qui ne cessent de progresser, une grande partie de la consommation passe par cet élément virtuel. On peut même maintenant y commander ses courses au supermarché.

C’est un nouveau mode de consommation qui s’est installé. Mais, en matière cinématographique et musicale, il n’existe pas de réelle offre commerciale qui réponde aux besoins nés de l’utilisation de cet outil par les jeunes.

On nous demande de légiférer pour sanctionner le téléchargement illégal. Je ne peux qu’applaudir à cette initiative mais, très franchement, mes chers collègues, même si nous ne pouvons pas le reconnaître ouvertement dans cet hémicycle parce que nous voulons tous ici que la loi soit dissuasive et soit respectée, nous qui participons à ce débat savons parfaitement – y compris vous, monsieur le ministre ! – qu’il ne s’agit là que de gagner un peu de temps, avant d’envisager d’autres mesures.

Depuis quatre ans, nous aurions dû nous concentrer sur l’essentiel : que va-t-il se passer dans les dix ans à venir ? Comment va-t-on élaborer, étape après étape, un nouveau modèle de rémunération de la création ? Nous n’aurions pas perdu notre temps à inventer des digues qui n’en sont pas, et ce pour de multiples raisons.

La loi a été décortiquée, vous faites souvent une comparaison, qui vaut ce qu’elle vaut, avec les chauffards. Le législateur aurait-il pensé que le système actuellement mis en place pour sanctionner les dépassements de vitesse était le bon s’il s’était agi de contrôler virtuellement plusieurs millions de personnes qui ont pour habitude de ne pas respecter les limitations de vitesse ? S’il avait pensé rencontrer des difficultés à trouver la personne incriminée et à avoir la preuve irréfutable du délit afin que la justice exerce son pouvoir de sanction, il aurait certainement prévu un système tout autre que celui-là ! On ne peut donc pas faire de comparaison, car il ne s’agit pas du tout de la même chose.

Aurait-on prévu les mêmes moyens de dissuasion si les contrevenants ne mettaient pas en danger leur vie et celle d’autrui ? Car c’est bien la prévention qui est mise en avant dans toutes les campagnes sur la sécurité routière ! Or, en matière de téléchargement illégal, personne n’a l’impression de mettre en danger sa vie ou celle d’autrui.

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui affirment que des pays nous imitent. Pour ma part, je connais un pays qui nous a précédés, et que l’on oublie souvent, je veux parler de la Suède.

La Suède a mis en place un système semblable à celui qui est proposé dans le texte HADOPI, en essayant de tout concilier. Or qu’a-t-on constaté ? Les effets escomptés – ceux que vous souhaitez également, monsieur le ministre –, à savoir une baisse du nombre de téléchargements illicites et une légère remontée des ventes, ont duré six mois. Ensuite, il y a eu non seulement un rattrapage de ces six mois, mais également une progression constante équivalant à la situation antérieure. J’en ai d’ailleurs parlé avec Nathalie Kosciusko-Morizet, qui suit bien tous les dossiers concernant internet.

Légiférer dans ce cadre en sachant que la loi ne sera pas réellement appliquée – parfois on peut se tromper mais, en l’occurrence, nous savons que nous ne nous trompons pas ! – n’est pas de bonne pédagogie. Cela revient à faire pénétrer dans l’esprit des citoyens, notamment des jeunes, l’idée selon laquelle la loi n’est pas faite pour être appliquée et ils peuvent s’en émanciper.

Beaucoup d’arguments ont été échangés, mais, vous le savez bien, mes chers collègues, les 50 000 avertissements sont une goutte d’eau, une réelle goutte d’eau ! Je ne sais pas s’ils auront un caractère dissuasif. En tout cas, tous ne seront pas traités.

En effet, en vertu des principes du droit et de la décision du Conseil constitutionnel, en cas de contestation, il reviendra à la justice d’apporter la preuve de l’infraction, après instruction, même rapide. Imaginez donc les moyens nouveaux qu’il faudra y consacrer, alors même que les tribunaux sont déjà engorgés par les affaires courantes, certaines d’entre elles n’étant traitées qu’après plusieurs années d’attente.

Les moyens dont dispose la justice sont déjà insuffisants ; la société n’est pas prête à accepter de les consacrer à une action qui, de surcroît, ne sera pas efficace.

Nous avons le même objectif que vous, monsieur le ministre, à savoir préserver les auteurs. Selon vous, le dispositif que vous proposez sera efficace. Eh bien, prenons rendez-vous prochainement ! Ne perdons pas de temps avec la commission de trois personnes que vous avez mise en place. Je conteste cette méthode, car il faut engager un vrai débat national avec tous les acteurs concernés qui portent un intérêt à la culture, les citoyens et les pouvoirs publics.

À cet égard, je tiens à vous interpeller, monsieur le ministre, sur la réforme des collectivités territoriales. Tous les jours, les transferts de charges imposés aux collectivités locales ont des conséquences fâcheuses sur la culture, notamment les arts vivants, et donc sur les créateurs. Une fois que les collectivités se sont acquittées de toutes les dépenses obligatoires que l’État devait prendre en charge, leur marge de manœuvre est si faible qu’elles se sentent obligées de rogner sur les programmes culturels. Or il y a là des choses à faire.

Je ne veux pas accuser les fournisseurs d’accès – je souhaite qu’ils continuent à se développer –, qui profitent aujourd'hui de l’explosion de la diffusion culturelle sur internet. Lorsque la radio a été inventée, c’est elle qui rémunérait les auteurs. On ne lui a pas laissé le choix de faire ce qu’elle voulait, un système a été mis en place. Aujourd'hui, il faut expliquer aux fournisseurs d’accès que si les internautes sont aussi nombreux à surfer sur internet et à s’abonner, c’est parce ceux-ci y trouvent de la diffusion culturelle et une information, et qu’ils doivent donc apporter leur obole à une contribution créative et à l’information afin qu’elle soit libre et indépendante. Voilà quels sont les chantiers de demain !

La mission que vous avez proposée, cette première étape, permettra-t-elle de débroussailler le terrain ? En réalité, il faut réunir autour de la table tous les acteurs concernés, dont les intérêts sont parfois divergents – les entreprises de musique, de cinéma, les créateurs, les pouvoirs publics, les fournisseurs d’accès, les radios, les télévisions – afin d’inventer un système non pas pour six mois, mais qui soit à la hauteur de la fantastique révolution du numérique qui embrase actuellement le monde. Tous les regards seront alors portés sur nous, car nous aurons traité cette question au fond !

Il s’agit là d’une révolution comparable à la révolution industrielle. Lors du passage du charbon à l’électricité, on a cherché à protéger les anciens métiers, ceux qui pouvaient alors être fragilisés, tout en concevant le système qui allait s’imposer, avec ses nouvelles régulations. Alors que le monde était en train de changer en profondeur, on n’a pas pensé qu’il fallait s’accrocher à ce qui existait déjà. Voilà ce que nous devons également faire aujourd'hui avec internet, et c’est à ce chantier que nous voulons nous atteler avec vous, monsieur le ministre. Mais, de grâce, arrêtons de croire que nous allons régler le problème avec cette loi : nous aurons encore perdu beaucoup de temps.

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