Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui est le résultat du parcours chaotique de la loi HADOPI, dont le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de souligner, dans sa décision du 10 juin 2009, les graves insuffisances et les travers.
Si de nombreuses réserves d’ordre juridique demeurent sur ce texte – je pense, par exemple, au respect des droits de la défense ou au recours à la procédure de l’ordonnance pénale –, je me permettrai toutefois une réserve d’ordre plus général, qui concerne la philosophie même du texte.
Nous regrettons profondément le choix d’une criminalisation du téléchargement sur internet et l’absence d’une réflexion plus poussée sur les moyens et les outils destinés à mieux rémunérer les artistes.
Selon nous, le véritable enjeu du débat était de construire une synergie acceptable entre, d’une part, le droit pour tous d’accéder à une culture diverse et, d’autre part, le financement de la création assurant aux artistes une rémunération équitable de leurs œuvres. Permettez-moi de vous dire qu’avec ce texte nous passons à côté d’un tel enjeu !
Réduisant le droit d’accès à la culture à un désir irréalisable, le Gouvernement a préféré s’attacher avant tout à sanctionner l’internaute, repoussant aux calendes grecques la vraie réflexion qui devait être menée, celle du droit d’accès à la culture et de la rémunération équitable des auteurs.
Non, monsieur le ministre, nous ne sommes pas des démagogues. Nous sommes convaincus que vous avez raté l’occasion d’un vrai débat de société entre la jeunesse et les artistes.
Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas pu avoir ce débat. En effet, à la mutualisation des connaissances et des financements, le Gouvernement a préféré la criminalisation, sans aucune compensation pour les auteurs et les artistes. Or nous sommes convaincus qu’un équilibre aurait pu être trouvé ailleurs que devant le prétoire du juge...
Notre position n’est pas d’affirmer que la culture doit être gratuite. Il ne faut pas pratiquer l’amalgame, ni semer l’ambiguïté, monsieur le ministre. Même si c’est une technique, les citoyens, les créateurs et les auteurs ne sont pas dupes ! Nous disons seulement qu’il faut inventer des outils afin de concilier, sans parti pris, les intérêts de ceux qui n’ont pas toujours les moyens d’acheter et de ceux qui ont besoin de vendre pour créer.
Contrairement à ce que prétendent certains, ce qui motive notre démarche d’opposition à ce texte, c’est non pas de vouloir la gratuité sans condition sur internet, mais justement de soutenir les créateurs tout en encourageant le public, du mélomane au spectateur, à accéder à la culture dans les meilleures conditions.
Ce qui nous motive, c’est encore de donner aux artistes et aux créateurs la liberté de choisir le modèle qui leur permettrait au mieux d’assurer leur rémunération, tout en leur garantissant une diffusion maximale.
Or qu’apporte ce texte à la création, au public et à la culture ? Rien, si ce n’est le sentiment que la culture est devenue une affaire de tribunaux, où le plaisir, la découverte et le partage deviennent des infractions caractérisées. Le seul objectif est de satisfaire les sociétés de perception et les bénéficiaires des droits d’exploitation !
Nous sommes bien conscients que les auteurs sont en demande de protection. Mais n’aurait-il pas fallu, alors, plutôt développer les solutions existantes en les adaptant quelque peu ?
Je songe, par exemple, à la plateforme publique de téléchargement, votée ici même au Sénat lors de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite « loi DADVSI ». Cette proposition, qui aurait pu constituer un socle de réflexion précieux, est restée lettre morte, faute de décret.
Je songe également à d’autres solutions mises en œuvre par des acteurs majeurs de la culture. Par exemple, la plate-forme Création Publique et Internet a développé un modèle de diffusion des œuvres qui assure à la fois un accès à la culture pour tous et un financement équitable pour les artistes et les créateurs.
Fondé sur la concertation et le dialogue, ce projet vise au financement mutualisé de la création, adossé à une licence collective autorisant les échanges d’œuvres numériques entre individus.
Cinq euros par mois et par internaute suffiraient pour engranger 1, 2 milliard d’euros de revenus pour la création ! Cette somme serait affectée, pour partie à la rémunération des contributeurs à la création des œuvres échangées sur internet – auteurs, détenteurs de droits voisins – et pour partie à la création à venir.
Mes chers collègues, nous n’avons pas pu réellement discuter de ces propositions, qui étaient pourtant de vraies solutions concrètes.
Nous avons été privés de ce débat puisque, dès le départ, le Gouvernement a souhaité axer son projet autour de la sanction.
La sanction administrative qui figurait dans le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet s’est muée en sanction pénale impersonnelle dans ce texte, chargeant au passage des officines privées du soin de récolter des preuves, qui, pourtant, incombent normalement à l’autorité judiciaire.
Nous aurions souhaité que, pour une fois, le Gouvernement sorte de cette culture de la punition afin d’aborder le problème de manière moins conflictuelle.
Monsieur le ministre, il faut sortir de cette spirale qui consiste à penser que la régulation pénale et répressive est la solution à tout !
Comme dans de nombreux domaines où le Gouvernement est intervenu, on se rendra bientôt compte que la solution adoptée aujourd’hui est un leurre, qu’elle est impraticable et qu’elle générera plus de problèmes qu’elle n’en réglera.
Les sénatrices et les sénateurs Verts voteront contre les conclusions de la commission mixte paritaire, car, pour eux, on n’a pas réussi à relever le défi culturel et social qui était en jeu !