Intervention de Laurent Wauquiez

Réunion du 21 septembre 2009 à 14h30
Orientation et formation professionnelle tout au long de la vie — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux que s’ouvre aujourd’hui la dernière étape du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Ainsi que Mme David vient de le rappeler, ce texte a été examiné par la commission spéciale la semaine dernière. La discussion a été riche, active et nourrie, comme en témoigne la longueur de nos débats, qui ont largement dépassé le temps qui leur avait été imparti. Au final, les améliorations ont été nombreuses, et elles trouvent souvent leur source dans les propositions de M. le rapporteur.

Avant d’aborder le fond du texte, permettez-moi tout d’abord de saluer le travail de la commission. Elle a certes œuvré dans des délais contraints, mais la qualité des débats et des amendements qui ont été déposés montre que le Sénat entend prendre toute sa place dans ce projet.

Je sais en effet que cette question intéresse les sénateurs depuis longtemps, tout particulièrement le rapporteur Jean-Claude Carle, le rapport de la mission commune d’information qu’il a présidée se trouvant à l’origine de cette réforme du financement et des dispositifs de la formation professionnelle. M. le rapporteur est à juste titre considéré comme une référence parmi les spécialistes de la formation, un compliment d’autant plus estimable que ce domaine comprend d’innombrables dédales et recoins…

Pourtant, les sommes en jeu sont considérables : les fonds attribués à la formation professionnelle représentent aujourd’hui 27 milliards d’euros, 12 milliards d’euros étant financés par les entreprises, près de 10 milliards d’euros par l’État – si l’on inclut la formation de ses propres agents – et 4 milliards d’euros par les régions.

Disons les choses clairement : étant donné l’importance des sommes et des intérêts, voire même des lobbies, impliqués, tout le monde pensait qu’une réforme de la formation professionnelle était difficile, voire impossible.

Notre pari fut au contraire de miser sur le dialogue avec les partenaires sociaux, mais aussi d’assumer notre tâche et nos responsabilités pour, enfin, donner un coup de jeune à un système de formation professionnelle qui, en dépit de ses qualités, est à bout de souffle – il faut avoir le courage de le reconnaître. En effet, ce système n’est plus juste, plus efficace, plus transparent. Il est donc urgent de le dépoussiérer en profondeur, et je vous signale d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, que les projets de loi qui vous sont soumis portent rarement sur de telles sommes d’argent et sur des enjeux aussi importants en termes d’emplois.

L’objectif est de réformer un système de formation professionnelle fondé sur une conception du travail obsolète, héritage de l’après-guerre. Selon cette conception, un salarié entre dans une entreprise à l’issue de sa formation initiale et y accomplit toute sa carrière ou, au mieux, évolue au sein de la même branche. Cela débouche sur un système de formation professionnelle très largement cloisonné, dans lequel les sommes consacrées à la formation ne sont pas concentrés sur les dispositifs qui permettraient à des salariés de rebondir ou d’organiser différentes mobilités professionnelles.

Or, dans la crise actuelle, on voit qu’une formation professionnelle bien utilisée peut constituer une arme décisive. À l’inverse, une formation professionnelle passive, exclusivement défensive, qui se contente de conserver le salarié au sein d’une même branche professionnelle, sans lui offrir de véritables mobilités ou un réel déroulé de carrière, est totalement inefficace.

Les insuffisances de notre système de formation professionnelle apparaissent cruellement dans cette période de crise, et nous devons donc impérativement remédier à tous ses dysfonctionnements.

En premier lieu, pour être parfaitement clair, non seulement ce système se révèle incapable de corriger les inégalités entre salariés, mais il tend au contraire à les renforcer. C’est quand même un comble pour un système censé soutenir l’équité et le juste fonctionnement de notre marché du travail !

Ainsi, si vous êtes ouvrier, vous avez une chance sur sept d’accéder à un dispositif de formation professionnelle, contre une sur deux si vous êtes cadre. Autrement dit, la formation professionnelle finance davantage ceux qui ont déjà beaucoup d’atouts en termes de formation et moins ceux qui aurait plus besoin de formation pour dérouler une carrière.

De même, si vous travaillez dans une entreprise de taille importante, vous avez a priori plus facilement accès à des dispositifs de formation que si vous travaillez dans une petite PME, où vos chances d’y accéder sont quasi nulles. Les chiffres sont éloquents : si vous travaillez dans une entreprise de moins de dix salariés, vous avez cinq fois moins de chances d’accéder à la formation que si vous êtes dans un grand groupe.

Enfin, dernier exemple flagrant de l’inégalité de notre système actuel de formation professionnelle : si vous êtes un senior et que vous passez le cap des cinquante ans, vous avez deux fois moins de chances d’accéder à la formation professionnelle que si vous êtes un salarié âgé de trente à cinquante ans.

Autrement dit, plus vous avez besoin d’une formation professionnelle, moins vous y avez accès ; plus vous êtes employé dans un secteur où vous risquez de connaître des difficultés, moins vous avez de chances d’accéder à une formation.

Or, plus que jamais, surtout dans la période de crise que nous traversons, l’ascenseur social a besoin de formation professionnelle. Au contraire, cette dernière creuse aujourd’hui les inégalités entre les salariés bien formés et ceux qui le sont moins.

En deuxième lieu, ce système ne fait preuve d’aucune transparence, d’aucune lisibilité, et n’est que trop peu soumis à évaluation. C’est aujourd’hui l’une des lacunes majeures de notre système de formation professionnelle, qu’il faut avoir le courage de dénoncer.

En réalité, comme trop souvent dans le champ de l’emploi, on a laissé se développer progressivement des politiques sans prendre le soin de les évaluer. C’est déjà, en soi, un manquement terrible lorsqu’on gère des sommes aussi considérables. Mais il faut ajouter à cela des maux qui sont bien plus inquiétants et endémiques. Les trop faibles contrôles ont en effet fourni un terreau favorable aux dérives, notamment sectaires. Un certain nombre de formations dites de coaching ou de contrôle mental se sont ainsi développées, ouvrant la porte à tous les abus. Il faut aussi reconnaître que certaines règles d’éthique simples n’ont pas été suffisamment appliquées en matière de formation professionnelle, notamment celle qui consiste à dissocier la personne qui paye de celle qui encaisse. Ces règles minimales permettent de garantir que le système est juste et d’éviter une trop grande évaporation entre l’argent collecté et l’argent dont les salariés peuvent bénéficier sur le terrain.

Je donnerai une dernière illustration du manque de contrôle : nous avons aujourd’hui entre 20 000 et 30 000 organismes de formation déclarés qui sont fictifs. Il est temps de braquer nos projecteurs sur ces angles morts de la formation professionnelle, et de faire en sorte que le système soit, de nouveau, plus transparent.

Enfin, en troisième et dernier lieu, nous avons aujourd’hui un système qui est incapable d’accompagner les transitions entre les différents métiers et les différentes branches. Certains dispositifs testés durant la crise nous ont pourtant montré qu’il n’y avait pas de fatalité en la matière. Je pense notamment aux contrats de transition professionnelle, pour lesquels nous mobilisons l’argent de la formation afin que les salariés qui sont dans des secteurs en crise, tels que la vente à distance – un sujet que connaissent bien Mmes et MM. les sénateurs du Nord-Pas-de-Calais –, se reconvertissent dans le domaine des centres d’appel.

Pour cela, le président Jacques Legendre le sait bien, nous avons besoin d’un outil de formation professionnelle qui permette à ces salariés de rebondir, plutôt que les laisser s’enfermer dans des impasses.

À partir de ce diagnostic qui, je crois, est partagé par tous les acteurs de la formation professionnelle, les priorités de la réforme ont clairement émergé. Nous avons ciblé des objectifs précis, de façon à effectuer des frappes chirurgicales sur ce que nous avons considéré comme étant les points névralgiques du système, afin de le faire bouger.

La réforme qui vous est proposée vise en réalité trois objectifs principaux, qui sont simples, lisibles, et parfaitement compréhensibles par tout le monde sur le terrain.

Le premier, c’est la justice et l’équité. L’argent de la formation professionnelle doit aller à ceux qui sont le plus fragilisés et à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les demandeurs d’emploi, les salariés faiblement qualifiés, les employés des PME et des branches qui ne disposent pas de moyens suffisants pour développer les dispositifs de formation, tels que les services à la personne et les emplois verts, dans lesquels nous devons investir massivement pour accompagner les emplois de demain.

En effet, il est inacceptable que, faut d’argent pour la formation, ces secteurs ne se développent pas, et que des métiers, surtout dans cette période de crise, ne trouvent pas preneurs. Le but est donc d’opérer une vraie révolution culturelle, en réorientant 13 % des fonds de la formation professionnelle au profit des secteurs qui en ont réellement besoin.

Le deuxième objectif est l’emploi, seule priorité qui vaille en termes de formation professionnelle. Celle-ci doit permettre à un salarié en activité de conserver son emploi et de progresser dans sa carrière, et à celui qui a perdu son emploi d’en retrouver un le plus vite possible. En dépit des objectifs initiaux et des lois fondatrices de la formation professionnelle, cette culture de l’emploi s’est quelque peu perdue. Le but de ce projet de loi est justement de remettre cet objectif au centre de la formation. Nous devons nous assurer que l’on ne continue pas « d’enfiler des perles », en dispensant des formations fictives ou qui sont surtout de la poudre aux yeux, et qui ne facilitent en rien l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi.

Tout d’abord, pour ceux qui ont déjà un emploi, le but est de faire en sorte que les droits individuels à la formation, les DIF, qu’ils avaient acquis ne soient pas perdus. Je sais que ce sujet vous tient particulièrement à cœur, monsieur le rapporteur. Jusqu’à présent, le système était absurde : en effet, c’était au moment où le salarié avait le plus besoin de mobiliser ses droits à formation, c'est-à-dire lors d’une perte d’emploi ou d’une période de transition entre deux emplois, qu’on lui répondait qu’il était trop tard pour les utiliser. Grâce à l’engagement des partenaires sociaux, que je tiens à souligner, nous faisons un véritable pas vers une sécurité sociale professionnelle à l’échelle de notre pays, afin d’accompagner les transitions entre plusieurs métiers.

Ensuite, cette réforme devrait permettre d’effectuer son congé individuel de formation – CIF – en dehors de son temps de travail et, ainsi, de réhabiliter les fameux cours du soir qui, aujourd’hui, ne peuvent pas faire l’objet d’un véritable financement par le biais de la formation professionnelle. Je suis particulièrement attaché à ce point, car ces cours constituent souvent un moteur d’ascension sociale précieux pour les salariés, en leur offrant une chance de progresser dans la carrière en dépit d’une formation initiale insuffisante.

Le dernier exemple de cette culture de l’emploi est le bilan d’étape professionnel. Jusqu’à maintenant, un salarié pouvait passer quasiment toute sa carrière sans que jamais on ne prenne le temps de lui demander où il en est en termes de formation, de qualifications et de compétences acquises. La mise en place d’un tel bilan d’étape, tous les cinq ans, va permettre, à travers la loi, de faire le point et d’orienter le salarié vers les formations les plus importantes.

Il nous reste à parler de ceux qui recherchent un emploi. En tant qu’élus locaux, nous savons mieux que quiconque, pour rencontrer dans nos permanences et sur le terrain des personnes en recherche d’emploi, que celles-ci peuvent avoir un vrai projet professionnel et se heurter, pour autant, à un système qui s’avère incapable de financer une reconversion. Combien de fois a-t-on reçu des demandeurs d’emploi qui souhaitaient passer un certificat d’aptitude à la conduite en sécurité – CACES –, avec à la clef la certitude d’être embauchés dans une entreprise de transports, ou qui désiraient commencer une formation en vue de devenir aide-soignante – domaine dans lequel les communes ont des besoins importants de recrutement –, sans pouvoir obtenir un financement de la formation sur la durée adéquate ?

Notre but est bien de réorienter l’argent pour que les demandeurs d’emploi ne se heurtent pas à des portes closes lorsqu’il existe un vrai projet de reconversion professionnelle.

Plus encore, nous souhaitons mettre en place une préparation opérationnelle à l’emploi permettant à des salariés qui ont perdu un emploi de préparer leur parcours de réorientation. Là encore, le droit individuel à la formation pourra être mobilisé.

La troisième priorité, que j’ai déjà évoquée précédemment, consiste à braquer les projecteurs sur les angles noirs de la formation professionnelle, afin de rendre cette dernière plus transparente, plus lisible, et de mesurer la réalité de son impact.

Il convient tout d’abord de faire un peu de nettoyage dans un système de formation professionnelle où les organismes ont proliféré. On compte aujourd’hui une centaine d’OPCA, ces fameux organismes collecteurs agréés, dont la moitié sont des organismes de branches ou interbranches. Le but est de revenir à quinze OPCA, et ce pour deux raisons simples.

En premier lieu, l’excessif émiettement des OPCA engendre des coûts de fonctionnement trop élevés et, surtout, empêche ces derniers d’avoir une force de frappe suffisante pour déployer une offre de proximité dans chaque territoire et dans chaque bassin d’emploi. Un OPCA qui collecte trop peu d’argent n’a pas les moyens de développer une offre de proximité.

En second lieu, les OPCA sont trop morcelés, enfermés dans des logiques de branches ou de métiers trop étroites. Développer des OPCA de plus grande taille nous permettra d’orchestrer des bascules et des transitions entre métiers.

Prenons un exemple précis : il existe aujourd’hui un OPCA centré sur le crédit agricole, un OPCA concernant les métiers de la banque et un autre relatif à l’assurance. Bon courage pour arriver à faciliter des transitions et faire en sorte qu’il soit possible de suivre une formation afin de passer du secteur de l’assurance à la banque, voire à l’intérieur de la banque au crédit agricole, ce qui n’apparaît pas totalement injustifié ou illégitime !

Notre but est donc que les OPCA aient une taille suffisante et, surtout, qu’ils soient adaptés à la nouvelle réalité du travail, où l’on change de métier plusieurs fois au long d’une carrière.

Par ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, un OPCA était au mieux contrôlé tous les trente ans. C’est une perspective certes inquiétante, mais cela laisse tout de même une certaine marge entre deux contrôles.

Notre objectif, je ne m’en cache pas, est de revenir à une situation raisonnable, dans laquelle les OPCA devront désormais rendre des comptes tous les trois ans : ils seront soumis, comme tout le monde, aux délais de paiement et aux règles de la concurrence. C’est une hygiène minimale que l’on peut exiger, me semble-t-il, s’agissant du secteur de la formation professionnelle.

De même, pour que l’ensemble de la profession ne souffre pas du manque de professionnalisme, voire de la malhonnêteté de quelques-uns, minoritaires, l’offre de formation sera mieux contrôlée.

Comme vous le savez peut-être, notamment à travers les rapports de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES, ou par les médias, la formation professionnelle a vu se développer à l’excès les sectes, qui ont proliféré sur l’argent de la formation.

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