Intervention de Annie David

Réunion du 21 septembre 2009 à 14h30
Orientation et formation professionnelle tout au long de la vie — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Annie DavidAnnie David :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi se donne pour objectif de rénover le dispositif de la formation professionnelle. Cet objectif est également le nôtre, non seulement parce que la formation professionnelle représente 27 milliards d’euros, mais également parce qu’elle s’adresse à l’ensemble des salariés, qu’ils soient en devenir, demandeurs d’emploi ou actifs.

Pourtant, votre texte, monsieur le secrétaire d’État, censé refléter l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 adopté à l’unanimité, ce qui lui confère une certaine crédibilité, est caractérisé à nos yeux par le manque d’ambition et de moyens, quand il ne porte pas atteinte au service public de la formation professionnelle.

Aussi me semble-t-il opportun de rappeler les conditions qui ont conduit à la conclusion de cet accord. Les partenaires sociaux, contraints à une négociation à marche forcée et sur la base d’une feuille de route imposée par le Gouvernement, ont été sommés de se mettre d’accord sur les réformes à réaliser pour faire de la formation professionnelle un élément central de la sécurisation des parcours professionnels pour les salariés et les demandeurs d’emploi.

En dépit du délai et des objectifs restreints, alors que la négociation sur la pénibilité au travail est toujours en cours après plusieurs années de discussions, je vous le rappelle, mes chers collègues, les partenaires sociaux ont su assumer leurs responsabilités et proposer des pistes pour la mise en place d’un système de formation au service des besoins de la société et de ses différents acteurs.

Toutefois, lors des auditions auxquelles le rapporteur nous a conviés, et de celles que nous avons par ailleurs menées avec mon groupe, les partenaires sociaux ont souligné que l’accord national interprofessionnel du 7 janvier représentait un compromis et que l’enjeu pour les parlementaires consistait à user de leur droit d’amendement pour aller plus loin et faire de la formation continue un véritable outil de promotion sociale. Le rapporteur lui-même a estimé que le législateur devait « s’appuyer sur l’accord, l’accompagner et l’amplifier » ; je dois reconnaître qu’il a concrétisé en partie ses propos, notamment sur le droit individuel à la formation, le plan régional de développement des formations professionnelles, ou encore le fonds de péréquation ; j’y reviendrai au cours du débat.

Aussi, avec la persistance de la crise et la complexité croissante du marché du travail, qui contraignent les individus à des parcours professionnels chaotiques, ce projet de loi aurait dû permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels. Mais il n’en est rien, et plus qu’un rendez-vous manqué, monsieur le secrétaire d’État, votre texte représente, à certains égards, une régression par rapport à l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009.

Ainsi, vous faites purement et simplement disparaître l’un des points essentiels de cet accord : le droit, pour les salariés sortis du système scolaire sans diplôme, à la formation initiale différée prise en charge par l’État ; ce droit leur permettrait pourtant d’obtenir la reconnaissance de leur qualification en tant que parcours englobant formation initiale et continue, ainsi qu’expérience professionnelle et sociale.

Ensuite, ce texte permet à votre gouvernement de se désengager un peu plus de sa politique en faveur de l’emploi au travers de la mise en œuvre d’une gouvernance floue du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le fameux FPSPP. Comme si vous n’aviez aucune responsabilité dans la situation actuelle en ce qui concerne tant les inégalités d’accès à la formation, au détriment, notamment, des moins qualifiés, que l’immense besoin de formation nécessaire à l’élévation générale des niveaux de qualification ! Comme si votre politique de l’emploi n’avait pas consisté, ces dernières années, en des attaques répétées contre le service public de l’emploi et celui de l’éducation nationale avec les nombreuses suppressions de postes ! Vous ne proposez que de travailler plus, et si possible le dimanche.

Quant à la préparation opérationnelle à l’emploi, la POE, action de formation de 400 heures au maximum, payée par le fonds paritaire, elle est dévoyée dans votre projet de loi qui prévoit, comme seule issue, un contrat de professionnalisation, alors que l’accord national interprofessionnel prévoyait une embauche. Si le salarié peut parfois être bénéficiaire de cette POE, l’employeur, lui, sera gagnant à tous les coups : la préparation opérationnelle à l’emploi est payée par le fonds paritaire et le contrat de professionnalisation ouvre droit à l’exonération de cotisations sociales. D’autant que vous nous avez indiqué à l’instant, monsieur le secrétaire d’État, que la mise en œuvre du droit individuel à la formation pourra permettre la réalisation de cette préparation opérationnelle à l’emploi. Dès lors, il n’est plus question de portabilité du droit individuel à la formation s’il est utilisé pour la préparation opérationnelle à l’emploi.

Enfin, et alors que rien de tel n’est prévu dans l’accord national interprofessionnel du 7 janvier – sinon, vous le savez bien, cet accord n’aurait pas recueilli l’unanimité derrière laquelle vous vous retranchez –, vous poursuivez le démantèlement de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, en la vidant de ce qui fait sa spécificité et sa renommée : son service d’orientation.

Contrairement à Pôle emploi, dont la mission première est de mettre au plus vite nos concitoyennes et concitoyens au travail, l’AFPA forme les individus dans la perspective de trouver un emploi pérenne, choisi avec discernement. Et elle accomplit sa mission avec succès : 66 % des personnes qui entament un stage à l’AFPA sont des demandeurs d’emploi, pour la plupart très éloignés de l’emploi ; pourtant, 70 % des stagiaires trouvent un emploi dans les quatre à six mois qui suivent l’issue du stage.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, dénaturer l’AFPA et la conduire de facto à sa perte est un non-sens. À lui seul, l’article concerné nous conduira à voter contre votre texte, même s’il est vrai que l’accord national interprofessionnel et le projet de loi apportent des améliorations. D’autant qu’au regard des difficultés majeures que rencontre Pôle emploi, un an après la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, le transfert des personnels d’orientation de l’AFPA vers cet organisme sera extrêmement complexe.

En brisant ce qui a contribué au succès de l’AFPA et en faisant de cet organisme un prestataire de formation comme un autre, monsieur le secrétaire d’État, vous vous faites le défenseur de la formation « utilitariste », prônée par les organismes privés qui sont légion et ne visent qu’à faire du chiffre, au détriment du projet professionnel des individus et de leur insertion.

La formation professionnelle est ainsi reléguée au rang de marchandise et, en tant que telle, soumise à la concurrence : il n’est plus question de service public. Mais vous ne vous en cachez pas, puisque l’objet du projet de loi est clairement affiché dans l’exposé des motifs : la formation professionnelle doit « répondre […] aux attentes de l’économie et des personnes ».

Ce texte s’inscrit donc dans la droite ligne de la stratégie de Lisbonne : la formation professionnelle, tout comme l’école, doit servir d’abord à fournir au marché du travail une main-d’œuvre opérationnelle et, autant que faire se peut, coûter le moins cher possible à l’État.

Notre approche de la formation professionnelle est aux antipodes de la vôtre. La crise, la complexification du marché du travail, le constat persistant que la formation continue profite à celles et ceux qui sont les mieux formés, appellent des mesures urgentes et ambitieuses.

Pour pouvoir être un véritable outil de promotion sociale, aboutissant à des formations diplômantes et dans l’objectif d’une sécurisation des parcours professionnels, la formation continue doit pouvoir s’appuyer en premier lieu sur une formation initiale solide, que le socle commun de connaissances et de compétences « minimaliste » issu de la loi du 23 avril 2005 n’est pas à même de fournir. Mais ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin reviendra dans un instant sur l’absence de lien, dans ce projet de loi, entre formation continue et formation initiale.

La formation continue, afin d’être véritablement un droit, doit rester « un bien public », elle ne doit pas être laissée à la sphère privée et soumise aux aléas de la concurrence. C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche propose de créer une sécurité sociale d’emploi et de formation. Ainsi, dans le cadre d’un service public de sécurisation de l’emploi et de la formation, serait instaurée une couverture universelle par l’affiliation à ce service dès la fin de l’obligation scolaire, ce qui ouvrirait des droits à des revenus minima décents et à des formations continues progressivement relevées, accompagnées de bilans.

Cette proposition s’inscrit donc clairement dans la durée et non pas dans l’adaptation « au mieux » face aux aléas des évolutions subies par l’emploi. Car il est un autre reproche que nous pouvons vous adresser s’agissant de ce projet de loi : avoir attendu la « crise » pour tenter de répondre au besoin de rénovation de notre système de formation professionnelle.

Pour nous, il s’agit au contraire d’aider tout citoyen arrivant dans le monde du travail après sa scolarité à disposer de points d’appui permanents lui garantissant de construire son parcours de vie et d’emploi au moyen d’outils accessibles à tous.

Protection sociale, retraite, formation professionnelle, à laquelle doivent être consacrés au moins 10 % du temps travaillé : telles sont les propositions ambitieuses qui répondraient non seulement aux besoins et aux attentes de nos concitoyennes et concitoyens aujourd’hui, mais également aux enjeux à venir.

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