Intervention de Gisèle Printz

Réunion du 23 février 2006 à 21h30
Égalité des chances — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Gisèle PrintzGisèle Printz :

Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention portera sur le thème de l'apprentissage, puisque le Gouvernement propose de créer pour les jeunes connaissant des difficultés dans leur parcours scolaire un dispositif d'apprentissage junior.

L'exposé des motifs du projet de loi peine à justifier cette mesure prise dans la précipitation afin de répondre à la crise des banlieues d'octobre et novembre 2005, et ce sans concertation, ce qui semble être devenu une habitude pour ce gouvernement.

L'ensemble des organisations syndicales, la plupart des fédérations de parents d'élèves, les associations de jeunes y sont opposées. Les organisations d'artisans elles-mêmes ont émis de très sérieuses réserves. Le Conseil supérieur de l'éducation a, quant à lui, exprimé presque unanimement un avis défavorable.

En fait, depuis la Seconde Guerre mondiale, la politique française en matière d'éducation nationale visait à élever le niveau scolaire du plus grand nombre. Avec cette « formation apprenti junior » qui nous est proposée, il s'agit de mettre un terme à deux éléments fondamentaux du système éducatif.

Le premier est la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans, qui, je le rappelle, fut décidée en 1959 par le général de Gaulle. Alors que tous les pays du monde tentent d'allonger le temps de scolarisation des jeunes, nous, nous nous efforçons de le raccourcir !

Le second élément est le collège unique créé en 1975, devenu le « collège pour tous » sous l'impulsion de Jack Lang. Ainsi, c'en est fini de l'objectif de porter 80 % d'une génération au baccalauréat et d'atteindre 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur, objectifs rappelés par la loi sur l'avenir de l'école votée par la même majorité en 2005.

Grâce à la mobilisation de la communauté enseignante, le niveau général des élèves s'est amélioré dans notre pays : 62 % d'une classe d'âge a le baccalauréat aujourd'hui, contre 25 % en 1975. Certes, les efforts se sont ralentis depuis 1990, et trop de jeunes sont sortis du système scolaire sans qualification. Pour autant, faut-il répondre à l'échec par l'exclusion ?

Car c'est bien d'exclusion scolaire qu'il est question avec ce dispositif. Je rappelle que la scolarité doit permettre l'acquisition d'un socle commun de connaissances et de compétences. Ce socle, au coeur de la réussite scolaire, devait être acquis par tous en recourant, au besoin, à des approches individualisées.

Selon M. Fillon, alors ministre de l'éducation nationale, sans la maîtrise de ce socle, il n'était pas possible de réussir sa formation initiale et donc son parcours professionnel. En excluant les élèves les plus en difficulté du système scolaire dès la fin de la classe de cinquième, vous remettez en cause la loi sur l'avenir de l'école, que vous avez pourtant votée il y a quelques mois.

Vous affirmez, ici et là, madame, messieurs les ministres, que les jeunes pourront choisir au fur et à mesure du temps, alors même qu'ils sont de très jeunes adolescents, âgés de quatorze ans à peine, de se rendre soit en apprentissage, soit au collège. Mais a-t-on vraiment idée du métier que l'on veut faire à cet âge ?

Par exemple, un jeune qui a redoublé deux fois à l'école primaire peut dès lors se retrouver en entreprise après le cours moyen 2. Le choix d'un métier peut demander du temps. En outre, un élève peut être très moyen à quatorze ans et évoluer avec l'âge ; nombre d'entre nous ont de tels exemples dans leur entourage.

N'oubliez pas non plus que l'apprentissage est difficile. Les métiers auxquels destine cette filière sont exigeants, aussi bien en raison de la difficulté des tâches à accomplir que de la complexité des machines à utiliser. Il demande aussi un effort intellectuel non négligeable. Le métier de boucher, par exemple, implique de remplir beaucoup de papiers : la traçabilité et le calcul mental sont des tâches pour lesquelles un bagage scolaire minimum n'est pas inutile.

D'après vous, monsieur le ministre, le statut scolaire de l'apprenti jusqu'à ses seize ans serait garanti et celui-ci aurait la possibilité de mettre fin à tout moment à l'apprentissage pour retourner au collège. Nous aimerions que ce soit vrai ! Mais il est difficilement concevable qu'un élève qui éprouve déjà des difficultés à acquérir le socle commun de connaissances puisse, en même temps, suivre un stage de découverte des métiers à partir de quatorze ans et supporter des horaires d'apprentissage à partir de quinze ans.

Votre projet ne précise même pas la durée des stages d'initiation aux métiers. Quant aux apprentis, dès quinze ans, ils seront soumis au code du travail et, partant, aux huit heures de travail par jour, voire au travail le dimanche, et même davantage, puisque votre texte renvoie prudemment et de façon dissimulée au décret du 13 janvier 2006 autorisant le travail de nuit.

En fait, votre argumentation tend à faire croire à des jeunes, souvent fragilisés par l'échec scolaire et par leur environnement, qu'on leur ouvre une perspective d'avenir alors qu'on leur enlève toutes les chances de réussite. En vérité, chacun sait que, si ces apprentis juniors quittent le collège dès quatorze ans, c'est pour ne plus y revenir et ne jamais maîtriser le socle commun de connaissances. C'est une terrible régression !

J'appartiens à cette génération dans laquelle de nombreux jeunes issus de familles modestes ont été enrôlés dans le préapprentissage pour servir de main-d'oeuvre bon marché au patronat. On envoyait les fils d'ouvriers en apprentissage et les filles à l'école ménagère.

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