Vos propos, monsieur le garde des sceaux, sont consternants et dangereux par l'amalgame et les insinuations détestables qu'ils opèrent !
Quant à l'argument selon lequel l'ampleur de la fraude au mariage serait corroborée par l'évolution du nombre de signalements transmis au parquet par les autorités consulaires, il est lui aussi fort discutable. J'ai, pour ma part, l'impression que la logique est inverse : les étrangers subissent depuis plus de dix ans une législation sur le droit au séjour de plus en en plus ferme ; dans ce contexte, qui leur est plutôt hostile, il me semble que la suspicion entretenue sur leurs unions avec des Français entraîne une augmentation du nombre des signalements.
Une fois de plus, on ne peut établir de lien direct entre les signalements et le nombre de mariages blancs effectivement constatés. La preuve en est que le nombre de mariages effectivement annulés pour être de complaisance est très nettement inférieur au nombre de signalements.
Par ailleurs, l'union avec un Français est loin de constituer une garantie en ce qui concerne tant le droit au séjour que l'acquisition de la nationalité. Contrairement à ce que voudrait faire croire le Gouvernement, le statut de conjoint étranger n'est plus protégé ni protecteur depuis 2003 ; voilà d'ailleurs plus d'une dizaine d'années qu'il n'offre plus d'automaticité en matière de titre de séjour ou d'acquisition de la nationalité française.
Avant 1993, un étranger qui se mariait avec un Français pouvait se voir immédiatement délivrer une carte de séjour valable dix ans, sans condition de séjour régulier, d'ailleurs, et, six mois plus tard, obtenir la nationalité française par déclaration. Depuis la loi du 24 août 1993 incluse, les différentes lois relatives à l'immigration, mise à part peut-être la loi Chevènement de 1998, ont toutes durci les conditions d'octroi aux conjoints étrangers des titres de séjour et de la nationalité.
En ce qui concerne l'acquisition de la nationalité, la loi de 1998 prévoyait un délai de un an à compter du mariage avant que le conjoint étranger puisse demander la nationalité française. Ce délai est passé à deux ans avec la première loi Sarkozy sur l'immigration, loi du 26 novembre 2003. Trois ans plus tard, avec la loi du 24 juillet 2006, toute neuve, toute récente, qui vient donc à peine d'être promulguée, ce délai est désormais de quatre ans.
Quant à la délivrance de la carte de résident, avant 2006, elle était de plein droit pour le conjoint étranger marié depuis au moins deux ans avec un Français, ce délai ayant été lui-même allongé d'un an par la loi de 2003.
Depuis la loi du 24 juillet dernier, la délivrance de la carte de résident n'est plus de droit pour un conjoint étranger ; elle est à la discrétion de l'autorité préfectorale, et après trois ans de mariage, ce délai ayant lui aussi été allongé.
Rien ne permet de dire par conséquent que le fait de se marier avec un Français facilite le séjour ou l'acquisition de la nationalité française. Le statut de conjoint de Français n'ouvre pas un droit automatique à l'accès à un titre de séjour ou à la nationalité, comme c'est si souvent répété dans les rangs de la majorité ou parmi les membres du Gouvernement.
À moins de considérer, bien sûr, que les lois votées par ce gouvernement en matière d'immigration ne sont pas efficaces !
Enfin, était-il nécessaire, comme le prévoit ce projet de loi, de multiplier les obstacles a priori et a posteriori, pour les mariages à l'étranger, si ce n'est afin de dissuader purement et simplement deux personnes sincères, mais qui n'ont pas la même nationalité ?
Il est donc permis d'affirmer que ce texte remet en cause le droit au mariage, pourtant reconnu par la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, la liberté de se marier ne dépendra plus de la volonté de deux individus, mais elle sera subordonnée à l'avis et à la décision soit de l'officier d'état civil, soit du procureur de la République.
Ce texte porte atteinte non seulement au droit au mariage, mais également au principe de non-discrimination garanti par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, la CEDH. Ce dernier interdit en effet toute restriction à l'exercice des droits protégés par la Convention en raison de considérations discriminatoires, notamment liées à l'origine nationale.
Ce projet de loi remet en cause non seulement ces droits fondamentaux, mais également la liberté de se marier pour les étrangers en situation irrégulière, liberté pourtant reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1993, réaffirmée en 2003, ainsi que par un jugement rendu la semaine dernière déboutant un maire UMP qui refusait de célébrer un mariage dans sa commune.
En effet, l'exigence d'une pièce d'identité, prévue par l'article 1er, sera le moyen détourné d'exiger de l'étranger souhaitant se marier un titre de séjour, qui est une pièce délivrée par une autorité publique. Un étranger en situation irrégulière sera, de fait, privé de son droit de se marier.
Ne me rétorquez pas qu'il est inconcevable de ne pas pouvoir demander une pièce d'identité aux futurs époux, comme je l'ai entendu récemment ! Le contexte politique actuel et la philosophie de ce projet de loi étant de dénier les droits les plus fondamentaux des étrangers, permettez-moi d'être très sceptique quant à la finalité précise de l'exigence d'une pièce d'identité !