Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 4 octobre 2006 à 15h00
Contrôle de la validité des mariages — Discussion d'un projet de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord exhorter chacun d'entre nous à abandonner le terme de « mariages mixtes » et à utiliser celui de « mariages binationaux », qui reflète mieux la réalité, tout au moins en France, où le mariage est toujours mixte, entre un homme et une femme. Je remercie d'ailleurs M. le rapporteur d'avoir accepté cette formulation. J'espère que M. le garde des sceaux suivra son exemple, car les mots ont un sens.

En effet, l'utilisation abusive du terme « mixte » pour évoquer l'union de deux personnes, l'une de nationalité française et l'autre de nationalité étrangère, est simplement inacceptable et stigmatisante, surtout lorsque vous procédez à un amalgame avec le mariage forcé, que vous utilisez aujourd'hui, monsieur le ministre, comme alibi. Pourtant, ce projet de loi n'apporte aucune solution à cette pratique intolérable, d'autant plus que les pays visés par ce texte sont ceux qui sont les plus stigmatisés en termes d'immigration, à savoir les pays du Maghreb et d'Afrique subsaharienne et, dans une moindre mesure, les pays d'Asie.

Officiellement, le Gouvernement annonce que ce projet de loi a pour objet de renforcer le contrôle exercé sur la sincérité de l'intention matrimoniale et de lutter plus efficacement contre la fraude à l'état civil, fraude que vous liez bien évidemment à l'immigration. Une fois de plus, vous désignez à la vindicte populaire le même bouc émissaire !

En fait, vous nous proposez ni plus ni moins qu'une loi de suspicion généralisée à l'encontre non seulement des étrangers, mais également de tous Français d'origine étrangère, binationaux et Français désirant se marier avec une personne étrangère, en France ou ailleurs. Ainsi, vous continuez à injecter le venin de la méfiance et de la peur de l'étranger. En trompant les Français sur l'ampleur du phénomène, vous jouez sur les peurs à des fins électoralistes. Une fois de plus, vous faites du marketing politique et, pour ce faire, vous n'hésitez pas à remettre en cause toute une série de principes essentiels de notre droit.

Le premier principe remis en cause est la liberté matrimoniale, garantie par la Déclaration universelle des droits de l'homme, devenue une norme obligatoire par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et par le protocole additionnel s'y rapportant, tous deux signés par la France. En effet, la liberté de conclure une union matrimoniale et le droit de choisir le mode d'expression de son amour ne découleront plus de la volonté des futurs époux, mais seront subordonnés à l'avis et à la décision soit de l'officier de l'état civil, soit du procureur de la République.

Votre projet introduit une insécurité juridique supplémentaire, dans la suite logique de votre loi visant « la désintégration de l'immigration », ainsi qu'une différence de traitement totalement inacceptable devant la loi. Année après année, loi après loi, les conditions de conclusion d'un mariage entre un Français et un étranger célébré à l'étranger n'ont cessé de se durcir, et les droits liés au mariage avec un citoyen français ont déjà été restreints pour l'accès à la nationalité et au droit au séjour.

Le seuil supplémentaire que vous nous proposez de passer conduit à s'interroger sur le respect du principe de non-discrimination que l'on retrouve dans la Constitution et dans différents engagements internationaux. Ainsi, à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, il est précisé ceci : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ».

En complexifiant les formalités préalables au mariage, vous introduisez clairement un contrôle a priori et des règles que nous ne pouvons accepter.

Il en va ainsi de la rédaction que vous nous proposez de l'article 63 du code civil. L'une des nouvelles dispositions impose la justification de l'identité, excluant de facto toutes les personnes sans papier et faisant de la simple irrégularité du séjour une raison suffisante de présomption de fraude au mariage. Selon vous, sans papier, on n'aurait plus le droit d'exprimer son amour !

Monsieur le ministre, ce que vous semblez oublier - ou plutôt ce que vous tentez de nous faire oublier -, c'est que des personnes étrangères, même sans papiers, ne sont pas pour autant sans sentiments. Le coeur est un organe qui, ici comme ailleurs, n'est conditionné ni par la possession d'une pièce d'identité ni par la nature de la situation administrative de la personne ! La disposition que vous proposez est d'autant plus condamnable que la possession d'une pièce d'identité n'est jusqu'à présent pas obligatoire en France.

Je comprends une chose : M. le ministre de l'intérieur, qui est le réel inspirateur de ce projet de loi, espère nous imposer une « France d'après », où les enfants, dès l'âge de trois ans, se verront inspectés par des policiers, où les adolescents seront interpellés et jugés comme des majeurs, où les familles pauvres verront leurs allocations « coupées » dès que leur enfant sera absent de l'école, où beaucoup d'entre nous se retrouveront fichés, enfin une France où les mariages entre Français et étrangers seront non pas en augmentation, mais bien en recul. En fait, vous rêvez d'une France bien blanche !

C'est inutile et dangereux, monsieur le ministre. Ceux qui ont contribué à libérer la France du nazisme hier nous prouvent, comme ceux qui peuplent nos cours d'école aujourd'hui, que la France n'a jamais été bien blanche et qu'elle ne le sera jamais !

De la même façon que vous étendiez les pouvoirs du maire avec votre projet de loi relatif à la répression de la délinquance, aujourd'hui, avec ce projet de loi, vous accroissez de façon disproportionnée les pouvoirs de l'officier d'état civil. Ce dernier pourra contrôler des documents, imposer leur présentation, émettre des doutes sur la réalité du lien unissant les époux ainsi que sur la véracité d'un document, et ainsi saisir le procureur.

L'obligation de demande de mainlevée en cas d'opposition à mariage est la meilleure illustration de cette disproportion. Cette procédure paraît simple, mais elle est totalement injuste lorsque les époux vivent à l'étranger. Ces derniers auront alors les plus grandes difficultés à venir se défendre convenablement en France pour obtenir la levée de l'opposition !

Il est un autre domaine dans lequel le pouvoir du procureur de la République est accru, c'est celui de l'opposition au mariage.

Jusqu'à présent, une opposition venant du parquet ou des parents est caduque après un an - c'est l'article 176 du code civil. Avec ce projet de loi, vous proposez de prolonger cette nullité, uniquement pour le parquet. Elle persiste dans le temps et ne prend fin que lorsque les candidats au mariage auront saisi le tribunal d'une demande de mainlevée. Ici, on frôle l'inversement de la preuve, principe contraire à notre tradition juridique.

Après la loi sur la prévention de la délinquance, laquelle introduit un système généralisé de suspicion et de délation autour du maire, des travailleurs sociaux et des enseignants, voici une loi de plus pour renforcer votre obsession du contrôle social, de la présomption de fraude et de culpabilité, et le sentiment de suspicion envers - toujours les mêmes ! - les étrangers ou les binationaux que vous continuez, en fait, de considérer comme des étrangers.

À nouveau, l'émiettement des droits fondamentaux et des libertés frappe tout d'abord les étrangers, puis se répand jusqu'à toucher également les Français !

J'évoquais le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et la dénaturation de la mission des maires, des enseignants et des travailleurs sociaux. Ce projet de loi procède de la même logique en dénaturant la fonction des services consulaires, du fait des nouvelles obligations qui pèseront désormais sur eux. Les agents de ces services deviennent à leur tour des agents du contrôle social et de la délation à l'étranger.

Qui plus est, ces dispositions impliqueront une charge de travail supplémentaire considérable et sans équivalent dans chacune de nos représentations consulaires ainsi qu'au tribunal de Nantes, alors que les consulats comme ce tribunal croulent déjà sous l'immense fardeau de leurs missions actuelles. Il est d'ailleurs étonnant que la commission des affaires étrangères n'ait pas été saisie pour avis de ce projet de loi, car les autorités consulaires sont très concernées par ce dernier !

Cela me permet de faire deux remarques sur les notions de réciprocité.

Tout d'abord, il convient d'évaluer les conséquences de l'application de ce projet de loi sur les relations avec les pays tiers, notamment ceux avec lesquels la France a signé des conventions bilatérales. Ces conventions présentent des dispositions qui, au-delà de la régularité formelle de l'acte, traitent des conditions de jouissance et d'exercice du droit au mariage entre ressortissants de la France et de l'autre pays signataire. Je m'interroge donc sur les contradictions que suscitera l'entrée en vigueur de ce projet avec le maintien de ces conventions.

De plus, monsieur le ministre, face aux durcissements que nous imposons aux étrangers désirant épouser des Français, les États étrangers avec qui les liens interpersonnels des Français se renforcent ne risquent-ils pas d'appliquer à leur tour des conditions similaires à leurs ressortissants contractant des mariages avec des Français, en France ou ailleurs ?

Ce projet de loi va toucher des familles entières, déstabiliser un grand nombre de destins, car c'est avant tout d'amour, de familles et de vies d'êtres humains qu'il s'agit !

En tant que parlementaire, je reçois un grand nombre de Françaises et de Français qui, désespérés, me saisissent comme un ultime recours face à une administration sourde et parfois même à une justice détournée de son rôle premier. Ces personnes ne veulent ni plus ni moins que vivre leur amour et fonder une famille en toute tranquillité, comme n'importe qui.

Je vous poserai une dernière question, monsieur le ministre. Cette progression dans la répression, dans la restriction de nos droits, dans la limitation de nos libertés, s'explique-t-elle par le constat d'échec de votre politique ou est-elle tout simplement mise en oeuvre à dose homéopathique afin de mieux faire passer les lois intolérables qui nous attendent encore ?

Quoi qu'il arrive, face à cette vision répressive, « orwellienne », terrifiante de notre société, les Verts continueront à s'opposer farouchement et à manifester leur attachement inconditionnel aux droits fondamentaux et aux libertés de toutes et de tous.

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