Or ce n'est certainement pas votre objectif, monsieur le garde des sceaux !
La multiplication des contrôles est d'autant plus inutile que le parquet peut demander la nullité du mariage trente ans après sa célébration !
Conjuguées à la paupérisation des services consulaires et des services judiciaires, ces nouvelles dispositions auraient pour conséquence principale d'allonger excessivement et inutilement les délais courant avant et après la célébration des mariages.
Les jeunes iront alors à Gretna Green, ville écossaise située à la frontière avec l'Angleterre, où, depuis deux cent cinquante ans, le maréchal-ferrant a le privilège de célébrer les mariages sans conditions légales, pour autant que les futurs époux soient âgés de plus de 16 ans. Ce n'est certainement pas ce que nous recherchons.
Il pourrait même s'écouler plusieurs années entre le dépôt du dossier au consulat et la transcription du mariage. Au nom d'un nouveau slogan politique non identifié, ce texte risque donc de transformer le mariage à l'étranger en un véritable parcours du combattant.
Pis encore, ce projet de loi rompt l'égalité entre les Français qui se marient en France et ceux qui se marient à l'étranger. Même les couples de bonne foi seront systématiquement soupçonnés de fraude.
Au sein de l'Union européenne, j'imagine que de jeunes Français épousant, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, devant les autorités légales de ces pays, un conjoint allemand ou anglais ne penseront pas à suivre cette procédure extrêmement lourde que vous êtes en train d'élaborer, véritable usine à gaz. Par conséquent, ils seront confrontés à de grandes difficultés.
Ce projet de loi contrevient également à l'engagement gouvernemental de simplification du droit - il est vrai que je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Il viole en quelque sorte l'objectif de valeur constitutionnelle de compréhensibilité et d'intelligibilité de la loi.
Enfin, ce texte risque d'instaurer une insécurité juridique jusqu'à la transcription du mariage dans la mesure où cette dernière deviendrait la condition préalable à l'opposabilité dudit mariage en France.
Le Sénat doit refuser cette « judiciarisation » du mariage célébré à l'étranger. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le code civil, le procureur de la République peut s'opposer à la célébration du mariage, cette décision devenant caduque au bout d'un an. Or le texte proposé par l'article 3 pour l'article 171-6 du code civil met fin à ce principe en contraignant les candidats au mariage à demander devant le tribunal de grande instance la mainlevée de l'opposition afin de renouveler leur demande de mariage.
Certes, cette procédure aurait théoriquement le mérite de raccourcir quelque peu les délais. Mais, outre son coût onéreux pour les candidats au mariage, elle aurait pour sérieux inconvénient d'inverser la charge de la preuve. En effet, il appartiendrait dans ce cas aux futurs époux de prouver leur bonne foi et non pas au procureur de démontrer qu'il a des éléments sérieux de doute sur l'honnêteté de leurs intentions.
En outre, après le mariage célébré à l'étranger, les époux pourraient également être amenés à saisir le juge si le procureur de la République ne se prononce pas sur la transcription du mariage au bout de six mois ou s'il s'oppose à celle-ci.
Pour ce faire, les époux devront avoir les moyens financiers d'être défendus par un avocat du barreau de Nantes. Or, tous les Français de l'étranger ne sont pas des nantis : ils n'ont pas forcément les moyens de payer cet avocat.
De toute façon, nous savons tous ici que le parquet de Nantes serait bien incapable de se prononcer au cours de cette période de six mois. Je ne vais pas revenir sur ce point.
J'ajoute que le garde des sceaux n'est probablement pas le ministre le mieux placé pour évoquer les moyens supplémentaires qui pourraient éventuellement être donnés aux consulats.