Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 4 octobre 2006 à 15h00
Contrôle de la validité des mariages — Question préalable

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Nous avons eu la réponse de M. le garde des sceaux. Or, si ce projet de loi n'était pas discriminatoire - mais hélas ! il l'est -, il ne concernerait pas les seuls mariages avec les étrangers. Au nom de l'égalité des citoyens, le contrôle de tous les mariages devrait être renforcé : il faudrait d'abord vérifier si ceux-ci ne seraient pas, dans leur grande majorité, arrangés à des fins patrimoniales, fiscales, ou pour des intérêts familiaux. Il faudrait ensuite s'assurer qu'ils ont bien été consommés, sans quoi il ne s'agirait évidemment pas de vrais mariages.

Je ferai deux constats. D'une part, ce texte vient s'ajouter à une liste déjà bien longue de lois fort répressives portant sur la lutte contre l'immigration : il ne vise en effet que les mariages entre un Français et un étranger. D'autre part, il repose sur un fantasme selon lequel les mariages mixtes seraient a priori de complaisance et participeraient de l'afflux de hordes étrangères sur notre territoire.

La preuve en est le brouillage sémantique entre mariage de complaisance, mariage simulé, mariage forcé. Ces notions, qui sont tout de même différentes, sont maniées de façon tout à fait floue. La présentation des statistiques est un autre élément de brouillage : faire état, par exemple, de 500 % d'augmentation des mariages binationaux avec des étrangers de tel ou tel pays, sans citer aucun chiffre absolu, n'est guère précis. Et si l'on part de trois mariages, une augmentation de 500 % aboutira à un résultat dérisoire !

Les annulations de mariage sont très faibles : on en dénombre 300, 500, peut-être 700. Ce chiffre, selon vous, ne correspondrait pas à la réalité : il serait en fait beaucoup plus élevé. Combien ? On l'ignore !

Notre législation en matière de droit au séjour des étrangers et de mariage forcés, qui sont bien évidemment répréhensibles, est loin d'être insignifiante.

Le rapporteur lui-même parle d'un « dispositif législatif pléthorique ». Il a raison ! La loi du 30 décembre 1993 ainsi que la loi du 26 novembre 2003, toutes deux relatives à l'immigration, ont posé les premières pierres de l'arsenal législatif du contrôle de la validité des mariages entre un Français et un étranger.

Préalablement au mariage, la loi de 1993 a mis en place une procédure d'opposition à la célébration du mariage en cas d'indices sérieux présumant l'absence de réelle intention matrimoniale.

La loi de 2003 prévoit, quant à elle, que l'officier d'état civil doit entendre les époux afin de vérifier leur intention matrimoniale, sauf s'il apparaît que cette audition n'est pas nécessaire.

De même, les modalités de transcription du mariage sur les registres d'état civil ont été durcies par ces deux lois. La loi de 1993 prévoit que l'agent diplomatique ou consulaire doit surseoir à la transcription en cas de doutes sérieux, le ministère public disposant d'un délai de six mois pour se prononcer.

La loi de 2003 a renforcé ce dispositif puisqu'elle prévoit que les époux sont entendus préalablement à cette transcription. Cette dernière a également renforcé l'arsenal répressif, en créant le nouveau délit du mariage de complaisance.

La lutte contre les mariages forcés nous tient à coeur. Nous avons déposé - même si nous n'étions pas les seuls - une proposition de loi en ce sens, reprise dans la loi du 4 avril 2006 sur les violences au sein du couple, afin de porter l'âge du mariage à 18 ans pour les jeunes filles. Le projet de texte qui nous est soumis ne va pas apporter grand-chose concernant les mariages forcés.

Cette loi a par ailleurs renforcé le dispositif de contrôle des mariages, en autorisant la délégation de la réalisation des auditions des futurs époux, en permettant au ministère public de demander la nullité du mariage contracté sans le consentement libre des époux, ou encore en considérant que l'exercice d'une contrainte sur les époux constitue un cas de nullité du mariage. La question est bien là : si le consentement n'est pas libre, le mariage doit être considéré comme frauduleux.

Enfin, et pour clore cet inventaire à la Prévert, la loi du 24 juillet dernier, qui vient donc à peine d'être d'adoptée, a elle aussi étendu le dispositif visant à décourager les personnes de nationalité étrangère de se marier avec un Français.

Cette motion tendant à opposer la question préalable pourrait d'ailleurs être justifiée par le simple motif que nous avons examiné, voilà à peine trois mois, un texte très vaste sur l'immigration. Les dispositions qui nous sont présentées aujourd'hui auraient eu toute leur place dans la loi de juillet dernier, si nous avions été d'accord avec vous sur ce texte, ce qui n'est bien sûr pas le cas !

Il ne s'agit ni plus ni moins que d'entretenir une suspicion généralisée à l'encontre des étrangers, suspectés de vouloir, par tous moyens et en particulier par le mariage, profiter de notre système et obtenir un titre de séjour ou la nationalité française.

L'arsenal législatif contre les étrangers souhaitant se marier avec un Français étant suffisamment étoffé à notre sens, il n'est nul besoin d'en rajouter. Nous n'avons évidemment pas le même point de vue sur cette question, puisque tant le Gouvernement que M. le rapporteur considèrent que les résultats en la matière sont « largement insuffisants ».

Le critère retenu est le nombre de signalements effectués par les officiers d'état civil, ce nombre étant en constante augmentation. Mais les signalements ne sont pas synonymes de mariages simulés. La confusion est pourtant sciemment entretenue. Serait-ce que vous souhaitez voir tous les signalements aboutir à une annulation du mariage ?

Si le nombre de signalements est en effet relativement important, celui des mariages annulés l'est nettement moins, comme le révèle une étude d'Infostat justice, publication qui dépend du ministère de la justice et dont le numéro d'août 2006 est consacré aux annulations de mariages en 2004. On peut y lire des informations réellement très intéressantes.

Certes, le nombre d'affaires en matière d'annulation de mariage traitées par les tribunaux a augmenté entre 1995 et 2004. Certains ont expliqué que cela va dans le sens de l'histoire. Au total, 1 210 affaires ont été traitées en 2004. Néanmoins, sur ces 1 210 affaires, 737 se sont soldées par une annulation. Et sur ces 737 annulations, seules 363 concernaient des mariages de complaisance. Évidemment, monsieur le garde des sceaux, vous subodorez, sans le démontrer, qu'il y a beaucoup plus de mariages de complaisance.

Par ailleurs, afin de ne pas entretenir de fantasmes, il serait bon que nous puissions fonder notre discussion sur des éléments précis. Ainsi, il serait intéressant de savoir combien de mariages sont célébrés dans le seul objectif, non avouable, d'obtenir un titre de séjour et combien d'entre eux sont rompus une fois l'effet juridique obtenu.

L'étude que j'ai évoquée indique certes le nombre de mariages de complaisance qui ont été annulés en 2004, mais elle ne précise pas si ces mariages étaient mixtes. Nous n'avons pas plus d'explications sur les raisons pour lesquelles leur nombre serait en augmentation. Nous ne disposons que de suppositions !

De nombreuses ambiguïtés doivent encore être levées afin de nous permettre de légiférer en toute connaissance de cause. Établir un lien direct entre le nombre de signalements et le nombre de mariages prétendument de complaisance semble hasardeux, voire mensonger, faute de preuves précises.

Toute affirmation, tout chiffre non fondé sur une étude sérieuse n'est que pure spéculation, destinée à entretenir la suspicion. Or on ne peut légiférer à partir de suspicions !

Notre législation en matière de fraude au mariage est pourtant loin d'être laxiste, si on la compare à celle qui est en vigueur dans d'autres pays de l'Union européenne. Selon les situations, l'harmonisation européenne est un prétexte à géométrie variable !

En Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Espagne et en Italie, pays censés avoir adopté un dispositif comparable à celui de la France, la situation est en fait tout autre. Les peines de prison y sont bien moins élevées que ce qui est prévu par notre législation, quand elles ne sont pas inexistantes.

Les sanctions vont de trois ans de prison ou une amende en Allemagne à six mois de prison ou une amende au Danemark. En Belgique, la peine encourue est comprise entre huit jours et trois mois de prison, l'amende entre 130 et 500 euros. En Italie, il n'existe pas de sanction pénale spécifique en cas de mariage de complaisance. En Espagne, les seules sanctions prévues touchent l'officier d'état civil.

Quant aux pays qui, comme la France, ont adopté une législation particulière en matière de lutte contre les mariages de complaisance, qu'il s'agisse des Pays-Bas, de l'Angleterre ou du Pays de Galles, ils n'ont prévu aucune sanction pénale spécifique non plus.

Notre législation est donc bien plus sévère que celle de nos voisins européens. Pourquoi avoir créé voilà trois ans à peine une sanction pénale spécifique si le Gouvernement considère aujourd'hui qu'il est nécessaire de renforcer le dispositif de lutte contre les mariages de complaisance ?

Une fois de plus, ce sont l'incohérence et la volonté d'affichage qui caractérisent ce texte, non la rationalité et le discernement.

Ce projet de loi vient compléter un dispositif déjà lourd et complexe en matière de mariages de binationaux, notamment ceux qui sont célébrés à l'étranger, ce qui portera évidemment préjudice à la très grande majorité des personnes de bonne foi désireuses de se marier.

En prévoyant de renforcer le contrôle a priori et a posteriori des mariages célébrés, c'est au droit au mariage de ces personnes que vous portez atteinte. Vous ne nous avez pas démontré le contraire, monsieur le garde des sceaux.

Dans le cas des mariages célébrés à l'étranger, l'allongement des délais d'opposition à la célébration ou à la transcription du mariage, ou encore le fait de prévoir que, à chaque étape administrative antérieure ou postérieure au mariage, le procureur pourra être saisi en cas de doutes sur les finalités de l'union, créent une véritable insécurité juridique au détriment des Français et des étrangers souhaitant se marier. Encore une fois, l'égalité entre les citoyens, qu'ils soient ou non Français, est rompue.

Enfin, la présomption de régularité des actes d'état civil étrangers est elle aussi un peu plus remise en cause par ce projet de loi, qui parachève ainsi le travail commencé avec la loi de 2003.

L'article 47 du code civil nous permettait pourtant de vivre en bonne intelligence avec les États voisins, puisqu'il prévoyait, avant 2003, une présomption de régularité des actes d'état civil établis par un pays étranger.

La loi de 2003 a remis en cause cette présomption : désormais, l'acte d'état civil étranger fait foi, sauf s'il est établi qu'il est falsifié ou mensonger. Le projet de loi va même plus loin puisqu'il prévoit que des vérifications pourront encore intervenir avant la transcription de l'acte. Cette fois encore, l'insécurité juridique va planer sur les actes d'état civil établis à l'étranger.

Nous sommes donc bien dans l'ère du soupçon à l'égard de tout ce qui vient de l'étranger !

À l'heure où certains voudraient plus de liberté pour les capitaux et les marchandises, la liberté pour les femmes et les hommes de se déplacer, de fonder une famille, quel que soit le pays choisi, se fait encore attendre. Ce paradoxe ne peut durer éternellement. C'est là un grand préjudice pour les gens et pour notre pays.

Ce projet de loi est aussi inutile que dangereux. Sous couvert de permettre le contrôle de la validité des mariages, il tend ni plus ni moins à empêcher les mariages mixtes et à décourager les Français de se marier avec des étrangers ! Pis, et c'est en cela qu'il est dangereux, il véhicule l'idée selon laquelle, en épousant un Français ou une Française, les étrangers cherchent exclusivement un moyen de rester sur notre territoire.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous invite à rejeter ce texte en votant cette motion tendant à opposer la question préalable.

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