Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis la loi fondatrice du 26 janvier 1984, la fonction publique territoriale n'a cessé d'être l'objet des soins attentifs du législateur.
Cette succession ininterrompue de textes d'importance variable s'expliquait à l'origine par des considérations d'ordre idéologique.
La loi initiale de 1984 reprenait la conception traditionnelle de la fonction publique, organisée selon les principes de la méritocratie, de la formation initiale et de la carrière. Mais, dès 1987, l'alternance politique aidant, la loi du 13 juillet remettait en question l'exclusivité du principe de la carrière en renforçant le rôle des collectivités territoriales au nom du principe de libre administration et en remettant en cause le monopole du statut.
La loi du 27 décembre 1994 a apaisé le conflit en réalisant une synthèse qui s'appuie sur le système de la carrière. Le débat s'est alors déplacé sur d'autres terrains.
La rivalité entre élus locaux et État, entre fonctionnaires territoriaux et fonctionnaires d'État, est aggravée par les intérêts divergents des différentes associations d'élus et de fonctionnaires : les grandes villes ne partagent pas les attentes des élus ruraux, les élus et fonctionnaires des grandes agglomérations intercommunales et interdépartementales sont souvent solidaires face aux élus et fonctionnaires des petites collectivités. Les uns prônent une organisation centralisée des carrières pour résister à la concurrence des grandes collectivités, les autres divergent sur l'échelon pertinent - région ou département ? - de gestion de ces carrières.
Aujourd'hui, de nouveaux problèmes cruciaux réclament des réponses rapides et modernes, dans le respect des principes généraux de la fonction publique.
Le premier de ces problèmes, en importance, est celui des effectifs. Tout le monde l'a rappelé, d'ici à 2012, 35 % des 1, 7 million de fonctionnaires territoriaux, et la moitié des cadres supérieurs, atteindront l'âge de la retraite. Ces départs massifs ne doivent pas être simplement envisagés sous l'angle du remplacement systématique poste pour poste, mais doivent plutôt être considérés comme l'occasion d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, en intégrant les effets des transferts de compétences entre l'État et les collectivités, de la mise en oeuvre de l'expérimentation - ce serait souhaitable - et de l'apparition de nouveaux besoins.
Le haut niveau actuel de chômage, ne soyons pas naïfs, renforce d'ailleurs l'attrait de la fonction publique, et notamment de la fonction publique territoriale. Le rêve d'être fonctionnaire traduit souvent le désir d'un emploi d'abord stable et protégé. Tous les emplois publics n'ont d'ailleurs pas le même attrait : les établissements publics de coopération intercommunale attirent davantage que les communes, les emplois administratifs et juridiques davantage que les emplois techniques ou financiers.
De même, la féminisation de la fonction publique territoriale - qui dépasse aujourd'hui les 60 % et se traduit par le développement du travail à temps partiel -, l'ouverture aux citoyens de l'Union européenne, la nécessité de faire contribuer la fonction publique territoriale à la politique de l'emploi - notamment en direction des jeunes générations -, ainsi que la demande croissante de mobilité de la part de nouveaux fonctionnaires, tout cela change la nature de la profession ainsi que ses comportements. Le statut comme les employeurs doivent s'adapter en permanence à ces évolutions.
Par ailleurs, le droit à la formation des agents, qui est aussi un devoir, a changé. L'exigence de formation initiale préalable était liée à la vision classique de la fonction publique de carrière. Elle avait deux conséquences : la première était la prise en charge de cette formation par l'administration ; la seconde, c'était une réaction critique des élus employeurs, pour qui formation est synonyme d'indisponibilité et de risque de départ du fonctionnaire « débauché » par l'élu voisin. Le monopole de l'administration en la matière n'est plus justifié aujourd'hui, à l'heure de la professionnalisation des études supérieures, notamment dans les universités. La loi de 1994 a d'ailleurs amorcé le changement, en distinguant formation initiale et formation d'adaptation à l'emploi.
Enfin, la distinction entre formation et gestion des carrières a entraîné la création d'institutions nationales et locales rivales, entre lesquelles la frontière change en permanence. L'opposition classique entre centres de formation et centres de gestion s'est traduite ces dernières années par des changements législatifs continus, au profit tantôt des uns, tantôt des autres : il est temps d'y mettre fin. Il aurait d'ailleurs été plus judicieux de se préoccuper davantage de la qualité des services fournis par ces institutions, notamment en matière de formation, que de gérer les rivalités entre elles et entre leurs dirigeants.