Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 14 mars 2006 à 16h00
Fonction publique territoriale — Discussion d'un projet de loi

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Le Gouvernement présente ce projet de loi comme un moyen de rendre la fonction publique territoriale plus attractive, plus efficace et plus professionnelle.

Nous partageons ces objectifs, mais nous estimons que le but, inavoué, de ce texte est d'ouvrir une brèche dans le statut de la fonction publique territoriale.

Après la réforme des retraites et l'introduction du contrat à durée indéterminée dans la fonction publique, le Gouvernement continue son travail d'escamotage du statut des fonctionnaires en s'attaquant à la fonction publique territoriale !

Certes, cette fonction publique territoriale doit s'adapter, afin de faire face aux nombreux départs à la retraite de ses agents et de mieux prendre en compte les nouveaux métiers. Elle devra même être résolument attractive et active pour satisfaire les besoins.

Mais, contrairement au credo que nous assène le Gouvernement depuis 2002, cette adaptation ne passe pas nécessairement et uniquement par la baisse des effectifs de la fonction publique, ni d'ailleurs par la disparition des services publics, auxquels nous sommes particulièrement attachés.

Nous ne sommes pas les seuls à partager ce point de vue. Nos concitoyens font également la même analyse, comme le montre très précisément un sondage réalisé par l'IFOP à l'occasion du troisième Salon de l'emploi public. Le chiffre clé qui se dégage de ce sondage est sans ambiguïté : 51 % des Français souhaitent le maintien des effectifs de fonctionnaires.

Ainsi, une majorité des personnes interrogées rejettent l'idée qu'il faille réduire les effectifs supposés pléthoriques de la fonction publique en ne remplaçant qu'un départ en retraite sur deux.

Décidément, le CPE n'est pas le seul sujet sur lequel le Gouvernement n'est pas en phase avec la population : c'est également le cas s'agissant des fonctionnaires et des services publics !

Les conclusions à tirer de ce sondage sont claires : il n'est pas question de sacrifier la qualité ou la quantité des services que leur fournissent les administrations, en particulier les services de proximité, au nom d'une meilleure efficacité ou d'un moindre coût de fonctionnement. Nos concitoyens sont décidément partisans non pas du « moins d'État », mais du « mieux d'État ».

Toujours selon ce sondage, plus l'administration rend un service concret et proche de la vie de chacun, plus s'affirme la volonté de maintenir - et même de renforcer - les effectifs consacrés à ces services. L'idée qu'il y aurait trop de fonctionnaires est rejetée par 54 % de nos concitoyens s'agissant des ministères, par 66 % d'entre eux s'agissant des collectivités locales et par 96 % des Français s'agissant des hôpitaux publics.

Les efforts déployés par le Gouvernement pour réduire les effectifs de fonctionnaires sont ainsi à l'opposé des souhaits des femmes et des hommes de ce pays !

À force de remettre en question le statut de la fonction publique, c'est le service public lui-même qui est remis en cause, ce qui est particulièrement grave. Si l'égalité d'accès à certains services n'est plus assurée, ce sont les fondements mêmes de l'unicité des territoires qui sont en danger.

Ce projet de loi n'est donc guère rassurant. Voici quelques points de désaccord.

Le texte prévoit de transposer dans le statut de la fonction publique territoriale, de manière quasi mécanique, la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, aujourd'hui applicable au seul secteur privé.

Le projet de loi instaure un droit individuel à la formation, un DIF, pour les agents territoriaux, de vingt heures par an, cumulables sur six ans.

Le système prévu par le chapitre Ier du projet de loi est critiquable à un double titre.

Premièrement, le DIF permettra aux agents de la fonction publique territoriale, sur leur demande ou sur celle de leur employeur, de se perfectionner au cours de carrière et de se préparer aux concours et aux examens professionnels de la fonction publique.

Aujourd'hui, les agents ne disposent d'aucune restriction horaire quant à leur préparation aux concours. Celle-ci peut d'ailleurs durer jusqu'à trois cents heures. Or le DIF plafonne la durée de cette formation à vingt heures par an : même si l'agent les cumule sur six ans, le compte n'y est pas ! D'autant moins que peuvent venir s'imputer sur ce quota des actions de formation de perfectionnement !

Mais le principal problème est ailleurs : parce qu'il n'est pas mutualisé, contrairement à ce qui prévaut pour le CNFPT, qui, lui, bénéficie du 1 % formation - taux au demeurant déjà bien faible -, le DIF est source d'inégalités. En effet, comme le prévoit d'ailleurs l'article 3, les frais de formation relevant du DIF sont à la charge de l'autorité territoriale. Cela signifie donc que seules les grandes collectivités disposant de moyens financiers importants pourront assumer les formations de leurs agents.

Je ferai également quelques remarques sur l'exercice, par l'agent, de son droit à la formation.

D'une part, il est inquiétant de prévoir que le DIF est mis en oeuvre sur l'initiative de l'agent, mais en accord avec l'autorité territoriale. Cela confère un droit de regard à l'élu sur le contenu même de la formation, souvent étroitement lié aux besoins de la collectivité. Or une formation pour être réellement individualisée ne peut par définition se comprendre que sur la base d'un choix personnel.

D'autre part, il est tout aussi préoccupant que cette formation puisse avoir lieu en dehors du temps de travail, contrairement à ce qui existe aujourd'hui. Cela rendra l'exercice de ce droit encore plus improbable.

Le volet « formation » du projet de loi constitue donc bel et bien une régression par rapport aux dispositions actuelles en matière de formation des agents territoriaux.

La logique est identique à celle qui prévaut dans le secteur privé. Le Gouvernement encourage l'individualisation des relations entre l'agent et la collectivité territoriale avec, à terme, le risque que les fonctionnaires territoriaux deviennent agents d'une collectivité déterminée et non plus de la fonction publique territoriale.

Nos craintes concernant l'éclatement du statut sont bel et bien fondées, voire peut-être déjà consacrées dans ce projet de loi !

Avoir des agents compétents et efficaces au sein des collectivités contribue pourtant au bon fonctionnement des services publics. La réécriture du droit individuel à la formation des agents est loin de constituer une avancée en termes d'efficacité et de qualité des services publics.

Se pose également le problème de l'avenir du CNFPT et de la distinction opérée par le projet de loi entre la mission de formation et la mission de gestion des personnels, cette dernière étant dévolue aux centres de gestion.

Aujourd'hui, il existe un lien fort entre formation et emploi. Ce lien est d'ailleurs présent dans des lois votées par l'actuelle majorité, qu'il s'agisse de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social ou de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.

Or le Gouvernement envisage exactement le contraire s'agissant de la fonction publique territoriale : il déconnecte la formation de la gestion des personnels.

Une telle distinction entre les missions pose également le problème du financement du CNFPT. Ce dernier rencontre de nombreuses difficultés pour assurer l'offre de formations en raison d'un manque évident de moyens. Or, si les centres de gestion et le centre national de coordination des centres de gestion doivent bénéficier, comme le prévoit le texte, d'une compensation financière pour les missions relevant jusqu'à présent du CNFPT, la part dévolue à la formation risque au final d'être bien maigre. Ce sera d'autant plus vrai que le CNFPT sera chargé des missions de mise en oeuvre de la reconnaissance de l'expérience professionnelle et de la validation des acquis de l'expérience.

C'est pourquoi nous tenons à ce que les deux missions relatives à la gestion des personnels et à la formation continuent d'être assurées par le CNFPT et soient financées de manière collective et non individualisée.

Ce projet de loi vise prétendument à rendre plus lisibles et à clarifier les compétences entre le CNFPT et les centres de gestion, mais il instaure en réalité un nouveau système porteur de cloisonnements et de déséquilibres. Si la formation concerne le développement des compétences et la valorisation des parcours professionnels, comment peut-elle être pertinente sans vision sur les métiers et l'évolution des emplois ? De même, comment envisager une gestion pertinente des emplois sans prendre en compte la dimension de la formation ? Comment anticiper les besoins et les départs à la retraite ? À moins bien sûr, et c'est là peut-être la faille, qu'il s'agisse en réalité d'externaliser les services !

Ce cloisonnement entre les compétences du CNFPT et celles des centres de gestion est donc loin d'être cohérent et judicieux.

S'agissant du chapitre relatif aux organes institutionnels de la fonction publique territoriale, nous craignons que la régionalisation des concours ne remette en cause le principe de l'égalité des candidats devant l'emploi public.

En dévitalisant le CNFPT dans ses compétences et dans ses moyens de financement, pour ne lui laisser qu'une fonction résiduelle de formation, et en régionalisant les concours, ce projet de loi risque donc d'accroître les inégalités entre les agents territoriaux, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les missions de service public assurées par les collectivités.

Je ne m'exprimerai pas plus longuement, ma collègue Gélita Hoarau devant intervenir à son tour. J'ai simplement voulu mettre en lumière ces deux problèmes particuliers.

Messieurs les ministres, aujourd'hui, la demande est d'abord sociale et traduit une exigence légitime des fonctionnaires. Parallèlement à ce texte, il eût été opportun de rencontrer les organisations syndicales et d'organiser des négociations - elles étaient d'ailleurs fortement souhaitées - sur les salaires et les carrières.

Par ailleurs, ce texte ne contient aucune mesure en faveur d'une véritable égalité entre les hommes et les femmes ou tendant à lutter contre la précarité dont sont, hélas ! victimes nombre d'agents de la fonction publique.

Nos amendements viseront à modifier ce texte, qui, pour l'heure, ne nous satisfait pas et ne peut recueillir que notre désapprobation.

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