Intervention de Roger Madec

Réunion du 13 octobre 2005 à 15h00
Droit de préemption et protection des locataires en cas de vente d'un immeuble — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Roger MadecRoger Madec :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de la proposition de loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble à la découpe s'inscrit dans un contexte de crise.

Alimentée par un manque criant de logements locatifs, par des transactions spéculatives et par l'ampleur des ventes d'immeubles par lots, la situation catastrophique des locataires des grandes agglomérations appelle des mesures concrètes, efficaces et à effet immédiat.

Le contenu du texte examiné aujourd'hui par le Sénat sera jugé à l'aune des attentes des locataires trop souvent victimes des ventes à la découpe et laissés à eux-mêmes face à une alternative qui n'en n'est pas une : racheter dans l'urgence un logement à un prix inaccessible pour beaucoup d'entre eux ou abandonner celui-ci dans l'espoir d'en retrouver un autre mais avec d'énormes difficultés.

Conscients de la gravité des enjeux et de la nécessité d'agir rapidement, les députés socialistes avaient saisi l'opportunité d'une niche parlementaire pour permettre l'examen, dès le début du mois de mai, d'une proposition de loi visant à renforcer les protections des locataires victimes de ventes à la découpe. Ce texte, qui comprenait vingt articles, contenait des mesures courageuses apportant une réponse globale au problème.

Pris de vitesse, le Gouvernement et les députés de la majorité avaient alors décidé de rejeter cette proposition de loi en interrompant les débats avant même l'examen des articles, faisant ainsi preuve d'une certaine irresponsabilité. Un mois et demi plus tard, les députés UMP, sous la signature de Mme Aurillac, soumettaient un texte comprenant deux articles en guise de réponse à la vague de ventes à la découpe et au déferlement médiatique qui l'accompagnait.

Aujourd'hui, ce texte vient en discussion au Sénat. Pour notre part, nous défendrons, par voie d'amendements, les mesures contenues dans la proposition de loi que mes collègues du groupe socialiste et moi-même avions déposée. Je regrette d'ailleurs que vous n'ayez pas prévu d'examiner ensemble les deux textes.

Nous aurons donc l'opportunité de défendre nos propositions et vous devrez prendre position sur des mesures que les locataires victimes de la vente à la découpe appellent de leurs voeux.

Toutefois, je souhaiterais, au préalable, rappeler la situation du marché de l'immobilier dans les grandes agglomérations françaises et, en particulier, dans l'agglomération parisienne.

Comme chacun le sait, la situation est extrêmement préoccupante : les loyers flambent, les prix de l'immobilier explosent, les terrains constructibles se raréfient et sont de plus en plus difficiles à acquérir pour les collectivités territoriales qui souhaitent construire des logements sociaux.

Les inégalités dans l'accès au logement renforcent les inégalités sociales. Rien qu'à Paris, l'on dénombre plus de 100 000 demandeurs de logements sociaux, tandis que le prix des loyers a augmenté dans la région d'Ile-de-France de près de 70 % depuis 1998.

Dans ce contexte, le phénomène des ventes à la découpe est perçu, à juste titre, de manière insupportable par des locataires évincés de leur appartement et abandonnés sur un marché locatif saturé.

Le mouvement des ventes à la découpe est, certes, encouragé par la hausse rapide et régulière des prix de l'immobilier, mais il alimente à son tour, il convient de le souligner, les phénomènes spéculatifs.

Il est également entretenu par la déprime boursière qui a succédé au krach boursier de 2000-2001, les investisseurs intervenant désormais sur le marché du logement à la recherche de rendements moins risqués.

Dès lors, les immeubles sont achetés non plus pour leur valeur locative mais pour leur valeur patrimoniale. L'immobilier devient un actif, au même titre qu'un actif boursier, et fait l'objet de transactions purement spéculatives au mépris des locataires habitants les lieux, pour certains depuis des décennies.

Si l'on considère que les investisseurs institutionnels représentent un tiers des ventes à la découpe et que, en 2002, près de 10 % du parc privé parisien étaient détenus par des sociétés d'assurances, on est en droit de s'inquiéter de cette financiarisation de l'immobilier.

C'est donc avec raison que les locataires des grandes agglomérations sont inquiets. Les ventes à la découpe sont entrées depuis 2002 dans un cycle ascendant, pour atteindre en 2004 le seuil de 15 % des transactions immobilières.

La conjonction de ce regain de vente par lots et de la flambée des prix de l'immobilier place les locataires « découpés » dans une situation extrêmement préoccupante. On observe, en effet, que les deux tiers des familles victimes de ce phénomène n'ont pas les moyens de racheter leur appartement. Ainsi, lorsqu'un investisseur vend par lots 3 600 logements en même temps, comme l'a fait récemment le fonds de pension américain Westbrook, ce sont des milliers de locataires qu'il faut reloger dans l'urgence sur un marché locatif déjà saturé.

En réaction à ces mises à la porte collectives, les locataires, avec raison, s'organisent, créent des associations de défense, tirent toutes les sonnettes d'alarme à leur disposition et développent des attitudes de résistance.

Dans un contexte différent, la situation ne serait peut-être pas aussi grave. Mais la difficulté pour ces locataires de retrouver un logement appelle de notre part des réponses concrètes et urgentes.

Cela est d'autant plus vrai qu'à la multiplication des situations individuelles difficiles s'ajoute un enjeu politique évident : les ventes à la découpe ont pour effet immédiat de repousser les populations moins aisées des centres-villes.

Les ventes par lots sont d'autant plus condamnables qu'elles frappent le parc locatif des investisseurs institutionnels, souvent considéré comme un parc quasi social. En effet, leur patrimoine ayant été construit soit avec la participation des employeurs, soit avec des financements publics, ils offrent des loyers relativement inférieurs à ceux qui prévalent dans le quartier considéré. Cette vente a donc pour conséquence d'écarter de certains quartiers entiers des grandes villes des populations qui favorisaient la mixité sociale.

Ce phénomène porte un nom : la « gentryfication » de Paris et des grandes agglomérations. C'est ainsi que les classes sociales favorisées s'installent dans les anciens quartiers populaires et rejettent les couches les moins aisées de la population vers des quartiers toujours plus périphériques. Finalement, comme je viens de le dire, c'est la mixité sociale qui en pâtit.

Ce mal de notre société est bien connu. Nous savons que l'homogénéité sociale conduit à la ségrégation, en tirant vers le haut les plus aisés et toujours vers le bas les plus défavorisés.

Au nom de la justice sociale et de l'égalité des chances, il est de notre devoir de freiner tout mécanisme conduisant à la ségrégation et à la reproduction des inégalités. Les ventes à la découpe font partie de ce phénomène et c'est pourquoi nous devons tous ensemble les combattre énergiquement.

Pour enrayer ce mouvement de fond, la seule stratégie possible est le renforcement des droits des locataires et la régulation par la loi des opérations de vente à la découpe. En matière de logement, nous ne pouvons plus laisser agir librement les forces du marché.

Contrairement au texte qui nous est soumis, et qui offre comme seule réponse l'accession à la propriété sans proposer de réelle solution à la grande majorité des locataires n'ayant pas les moyens de racheter leur logement, l'objectif du groupe socialiste est d'offrir au plus grand nombre d'entre eux la possibilité de rester dans leur appartement, en intervenant fortement sur le marché locatif.

En matière de logement, chers collègues de la majorité sénatoriale, il existe de grandes différences entre nous ! En effet, cette proposition de loi ne contient que des mesures « homéopathiques », oscillant entre la nécessité de répondre à une attente très forte et le respect tabou du laisser-faire des mécanismes de marché.

Contrastant avec cette approche minimaliste, le dispositif que nous proposons se décline en trois volets cohérents.

Le premier volet concerne le maintien des locataires dans leur logement, le deuxième l'accession à la propriété, et le troisième l'encadrement de la profession de marchand de biens.

J'aborderai tout d'abord l'incitation. Afin d'encourager une personne physique propriétaire à maintenir son locataire dans le logement, celle-ci devrait avoir la possibilité de bénéficier d'une incitation fiscale à condition de s'engager à ne pas donner de congé pour vente au locataire pour une période de six ans.

S'agissant de l'obligation, ensuite, nous souhaitons que soient renforcées les obligations de renouvellement de contrat de bail pour les locataires dont les ressources sont inférieures ou égales au plafond des logements intermédiaires.

Nous souhaitons également donner plus de temps au locataire. De cette façon, tout locataire victime d'une vente à la découpe devrait bénéficier d'un délai de trois ans avant la délivrance du congé pour vente. Nous demandons que soit garanti le maintien d'un bail de six ans, une fois l'appartement acquis par une personne physique.

Enfin, nous proposons l'interdiction de transmettre le congé pour vente déclenché par le vendeur au profit de l'acheteur. Mais aussi et surtout, nous voulons que le maire puisse, à la demande des locataires et dans certaines conditions, suspendre purement et simplement une procédure de vente d'immeuble à la découpe. Cette mesure préventive pourrait intervenir à la suite d'une enquête publique, demandée par un tiers des locataires et prouvant qu'il existe une pénurie de logements locatifs dans la commune.

La suspension de la mise en copropriété perdurerait ainsi jusqu'à ce qu'un nombre suffisant de logements de l'immeuble soit maintenu en statut locatif.

Ce dispositif de protection du locataire est accompagné d'un encadrement visant à renforcer l'application immédiate et effective du dispositif.

Ainsi, les dispositions en faveur du locataire qui n'auront pas été appliquées entraîneraient l'annulation du congé pour vente et ces dispositions devraient concerner toutes les procédures de mise en vente par lots en cours de réalisation.

Ces mesures en faveur de la défense du locataire font preuve d'un volontarisme politique fort qui contraste avec le simple allongement des délais que proposent les auteurs du texte qui nous est soumis aujourd'hui. Grâce à la possibilité de suspendre les ventes à la découpe, nous donnons enfin aux élus locaux les outils permettant de répondre au désarroi des locataires frappés par ce drame et de freiner l'homogénéisation rampante des quartiers.

Cela étant dit, la défense des locataires passe également par l'accession à la propriété.

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