Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la vente par lots d'un immeuble, sous le régime de la copropriété, est ancienne, puisqu'elle était déjà pratiquée avant-guerre. Elle a connu un fort développement, concentré surtout dans les grandes villes et particulièrement à Paris, à partir des années cinquante.
Elle a permis à de très nombreux compatriotes de devenir propriétaires de leur lieu de vie. Elle a beaucoup contribué à l'amélioration des conditions de confort des immeubles, les nouveaux propriétaires se lançant généralement dans des opérations d'amélioration et de modernisation de leur logement, participant ainsi au développement de l'activité des entreprises du bâtiment, notamment celles de second oeuvre.
De 1990 à 2004, les ventes sous le régime de la copropriété représentaient, en moyenne annuelle, 14 % des transactions sur les appartements anciens à Paris et en proche banlieue, avec une pointe à 18, 30 % en 1997 et un seuil à 9, 40 % en 1992.
En 2003 et 2004, ce pourcentage devenait légèrement supérieur à cette moyenne annuelle en culminant à près de 16 % en 2003 et 15 % en 2004, après avoir fortement chuté en 2000, 2001 et 2002, selon les chiffres avancés par M. le rapporteur.
Ces deux dernières années ont donc connu une progression significative des ventes en copropriété, mais, pour ma part, je n'y ai pas vu de bouleversement si ce n'est un retour à un « étiage » légèrement supérieur à la moyenne des ventes constatées en treize ans.
Et pourtant, à lire la presse, à écouter la radio, à regarder la télévision, le citoyen non averti pouvait considérer que Paris - car Paris seulement semblait intéresser les médias - était soumis à un dépeçage systématique, injuste et outrancier par des groupes immobiliers à capitaux étrangers, ce qui, bien évidemment, constitue une faute impardonnable.
J'avais pourtant retenu de ma pratique notariale que la plupart des locataires que j'avais vu accéder à la propriété de leur appartement avaient plutôt tendance à s'en féliciter.
Je savais, par ailleurs, comme vous mes chers collègues, que la loi avait édifié des barrières de protection en faveur des locataires, protégés par le droit de préférence - que la loi dénomme, selon moi à tort, droit de préemption - instauré par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975, et par l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989.
Je savais aussi que le locataire âgé de plus de soixante-dix ans et disposant de ressources inférieures ou égales à une fois et demie le montant annuel du SMIC ne pouvait être délogé sans un relogement correspondant à ses possibilités, à ses besoins, et ce dans un périmètre géographique défini.
Je savais également que les locataires acquéreurs de leurs appartements bénéficiaient généralement, dans le cadre de leur négociation, d'une décote importante sur le prix du marché.
Je n'ignorais pas non plus, bien sûr, que la mise en vente de leur appartement pouvait créer, pour certains d'entre eux, dont les ressources ne permettaient pas l'acquisition, et qui ne bénéficiaient pas du système de protection que je viens d'évoquer, un problème insurmontable et douloureux. Je pense surtout ici aux retraités de moins de soixante-dix ans - donc non protégés - et dont les ressources ne permettent pas l'achat du logement où ils ont passé une grande partie de leur vie, voire leur vie entière.
Aussi les dispositifs de l'accord collectif propriétaires- locataires du 9 juin 1998, rendus obligatoires, je le souligne, par le décret du 22 juillet 1999, ont-ils apporté, et c'est heureux, des réponses sérieuses à ces situations et leur application a fortement contribué à atténuer les effets socialement inacceptables du congé pour vente, notamment en permettant au locataire en place de proposer au bailleur, comme acquéreur, par substitution dans ses droits, son conjoint, un ascendant, un descendant, voire son compagnon du moment, puisqu'une année de compagnonnage est suffisante pour bénéficier de cette disposition.
Cet accord renforce très fortement par ailleurs la protection des locataires en situation de faiblesse à cause de leur âge, de leurs ressources ou de leur santé physique ou même psychologique.
Au cours des auditions auxquelles j'ai procédé en 2004 pour mon rapport, au nom de la commission des affaires économiques, sur la situation du logement locatif privé, j'ai constaté en outre que l'ensemble des acteurs du secteur de l'immobilier s'accordaient à reconnaître que la loi de 1989 avait institué un équilibre apprécié entre les bailleurs et les locataires, équilibre renforcé en faveur de ces derniers grâce aux dispositifs que je viens d'évoquer. Bref, la situation des locataires confrontés à un congé pour vente n'apparaissait pas catastrophique, dans l'ensemble, même si, bien entendu, certains d'entre eux se trouvaient confrontés à des situations difficiles et dignes d'intérêt.
J'ai donc été surpris de voir l'Assemblée nationale se saisir d'une proposition de loi tendant à renforcer les droits des locataires confrontés à la vente de l'appartement qu'ils occupent.
Il est vrai que les médias avaient abondamment relaté le courroux d'une actrice célèbre et de quelques personnalités influentes, dont les appartements faisaient partie de très beaux immeubles, situés notamment dans des quartiers que je connais un peu. Pour ne citer que les VIIe, VIIIe et XVIIe arrondissements de Paris, il s'agissait d'immeubles entiers ou de groupes d'immeubles situés notamment square du Roule, rue Alphonse-de-Neuville, rue Murillo, près du parc Monceau, rue Théodore-de-Banville. Bien sûr, je n'oublie pas les immeubles de moindre qualité et les locataires qui les occupent dans d'autres arrondissements.
J'aurais compris, et admis, que l'on s'efforce de chercher des solutions encore plus protectrices que celles qui existent déjà pour des locataires qui se trouvent en situation de fragilité, la nécessité sociale d'un texte pouvant justifier certains sacrifices à l'égard des grands principes et des droits fondamentaux.
Je comprends moins, vraiment, alors que nous protestons tous contre l'avalanche des textes et les difficultés d'application qu'elle suscite, que nous soyons amenés à voter des lois que je ne peux m'empêcher de qualifier de circonstancielles ou, du moins, qui relèvent d'une conjoncture émotionnelle.
Cette proposition de loi écorne en effet encore un peu plus le droit de propriété, ...