Intervention de Jean Desessard

Réunion du 13 octobre 2005 à 15h00
Droit de préemption et protection des locataires en cas de vente d'un immeuble — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur les travées de la droite comme sur celles de la gauche, chacun reconnaît qu'il y a une grave crise du logement dans notre pays. Or, dans une situation de crise, de pénurie, les cyniques, les gens sans scrupules s'organisent pour tirer le maximum de profit.

Je citerai deux exemples.

D'abord, s'agissant de la résidence Arquebusiers dans le IIIe arrondissement de Paris, achetée par Westbrook en juillet 2003 au prix de 3 680 euros le mètre carré, elle est aujourd'hui revendue à la découpe au prix de 6 780 euros le mètre carré.

Ensuite, l'immeuble du 14 rue Froissard, dans le IIIe arrondissement de Paris, a été acheté par la SARL Marignan en octobre 2003 au prix de 2 400 euros le mètre carré ; cet immeuble est revendu en octobre 2005 au prix de 5 100 euros le mètre carré.

Y a-t-il une raison objective à un doublement des prix en deux ans ? Y a-t-il eu des installations nouvelles ? Des travaux de réfection ? Pas du tout. Une seule et unique raison l'explique : l'avidité des marchands de biens !

Il est alors proposé aux locataires d'acheter à un prix exorbitant ou de partir. Il s'agit du congé-vente. Quelles sont les conséquences de cette pratique ? Tout d'abord, une augmentation générale des loyers dans les grandes villes, de 11 % par an. Les salaires suivent-ils cette inflation, monsieur le ministre ? Vous savez bien que non. Par conséquent, le montant du loyer obère davantage le pouvoir d'achat, déjà fortement malmené.

Cette pratique remet en cause la mixité sociale, puisqu'un tiers seulement des locataires peuvent acquérir leur appartement au prix proposé, moyennant un grand sacrifice d'ailleurs. Les deux tiers des locataires, soit la grande majorité, doivent donc changer de voisinage, de quartier, parfois même de ville. C'est un changement radical de mode de vie : un logement, ce n'est pas simplement un toit, c'est aussi un environnement, des amitiés, des habitudes, une façon de vivre.

Enfin, cette pratique aboutit à une diminution du nombre de logements disponibles, puisque certains appartements deviennent des résidences secondaires ou des bureaux.

En définitive, la vente à la découpe, née de la crise du logement, amplifie ce phénomène.

Certains, le plus souvent à droite d'ailleurs, affirment qu'il ne faut pas s'opposer au marché, même à ses excès, au nom du respect du droit de propriété.

Nous pourrions discuter longuement, et nous le ferons, du droit de propriété par rapport au droit fondamental du logement. Pour autant, dans ce texte, il s'agit non pas du droit de propriété, mais du droit de spéculer. Il ne s'agit pas de stigmatiser le particulier propriétaire d'un immeuble qui, après avoir loué pendant des années les différents appartements, revend le tout pour des raisons personnelles. Il s'agit de dénoncer les sociétés qui achètent des immeubles, les « découpent » en trois ans et les revendent au double du prix d'achat. Elles réalisent donc un bénéfice égal à leur mise de départ, ce qui est indigne.

En tant que politiques, nous devons refuser la spéculation et le congé-vente, et soutenir, par notre action législative, les locataires expulsés par ces pratiques, je le répète, véritablement indignes.

Pour refuser le congé-vente, nous proposons d'étendre la durée du délai de préavis d'expulsion aux repreneurs successifs. En effet, les spéculateurs ont trouvé une astuce pour contourner la loi : ils vendent à la découpe à des sociétés écran qui, ensuite, peuvent expulser les locataires plus rapidement.

En outre, nous voulons soumettre le droit de diviser, c'est-à-dire de vendre par lots, à l'autorisation du maire de la ville concernée.

En conclusion, mes chers collègues, les spéculateurs profitent de la crise du logement, de la même façon que les repreneurs d'entreprise rachetaient naguère les usines à des prix dérisoires pour les vendre par morceaux en engrangeant des profits « monstres ».

Aujourd'hui, comme hier, de tels spéculateurs n'apportent aucune plus-value, aucune richesse à la collectivité. Au contraire, ils amplifient la crise du logement, comme ils amplifiaient la crise de l'emploi.

Mes chers collègues, je vous invite donc à voter les amendements tendant à interdire le congé-vente. Certes, nous pourrions discuter longuement du droit du propriétaire par rapport au droit du locataire. Malgré tout, dans le cadre de cette proposition de loi, il n'y a pas de discussion possible sur la légitimité ou non de la vente à la découpe : il nous faut choisir clairement, concrètement, et sans hésitation le droit au logement contre le droit de spéculer.

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