Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 14 octobre 2004 à 9h45
Simplification du droit — Article 12

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez parlé avec un certain sens de l'euphémisme. Et savoir manier l'euphémisme est une vertu rhétorique qui, dans l'action politique, peut avoir quelque avantage, souvent temporaire. En effet, mes chers collègues, il faut examiner la réalité.

Que s'est-il passé au mois de mars dernier pour les familles concernées ? Tout d'abord, l'abattement pour frais de garde est supprimé. Le seuil de non-versement des aides est majoré de 15 à 24 euros - votre Gouvernement n'a pas donné beaucoup de publicité à cette mesure, monsieur le secrétaire d'Etat, mais elle est passée - ce qui représente une perte de 280 euros par an pour de nombreuses familles. Il nous a été dit que passer de 15 euros à 24 euros, ce n'était pas grave ! Monsieur le secrétaire d'Etat, 280 euros sur une année, pour un certain nombre de familles, c'est loin d'être négligeable. Le forfait de charges n'est pas revalorisé. La majoration de retraite pour charges de famille est prise en compte dans les ressources de base. Enfin, l'actualisation des barèmes pour 2003 est très insuffisante. Vous souvenez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que la réactualisation des barèmes s'élève à 1, 2% ?

Les mesures que je viens de rappeler sont destinées à économiser 70 millions d'euros. Permettez-moi de rappeler pour plus de clarté que la réforme des successions, qui ne profitera pas aux familles les plus modestes, et que prépare activement M. Sarkozy avant de quitter son ministère, c'est 600 millions d'euros. J'ajoute que le plan de M. Borloo - il est d'ailleurs prématuré d'en parler maintenant alors que le Sénat va l'examiner dans quelques jours - prévoit 13 milliards d'euros de dépenses alors qu'un seul milliard d'euros est inscrit dans le budget de l'Etat. Tout cela, monsieur le secrétaire d'Etat, pèse déjà très lourd !

Comme l'a dit tout à l'heure M. Dauge, dans cet article d'habilitation, vous proposez de renvoyer au domaine réglementaire, et non plus législatif, la date d'actualisation du barème de l'APL, aujourd'hui fixée au 1er juillet. Vous savez que, avec le système actuel, de grands retards sont constatés et que l'actualisation qui était applicable au 1er juillet 2003 a été arrêtée le 2 mars 2004. Il est évident qu'avec le dispositif que vous nous proposez il n'y aura plus de retard puisque, finalement, ne pas respecter les délais sera le droit commun. Il en résultera inéluctablement un préjudice pour les ménages à faibles ressources.

Ensuite, vous ne pouvez pas prétendre que la situation ne s'aggravera pas pour un certain nombre de ménages quand vous proposez la suppression de l'abattement forfaitaire de 76 euros appliqué aux ressources des ménages dont les deux conjoints ont une activité professionnelle productrice de revenus, au motif que - et il faut oser écrire cela - « ce faible montant a peu d'incidences sur les allocataires ». Encore l'euphémisme ! Les allocataires y seront sensibles.

Je conclus, monsieur le président, en évoquant encore deux dispositions.

En premier lieu, vous prévoyez d'aligner - soyons très précis - le point de départ du décompte de la rétroactivité de l'allocation de logement sur celle de l'APL, à savoir le mois suivant celui au cours duquel les conditions de droit sont réunies. Cela signifie que l'allocation de logement social, l'ALS, et l'allocation de logement familial, l'ALF, ne pourront plus être versées dès le mois de la demande, comme l'ont décidé certains tribunaux. Le Gouvernement s'apprête donc à généraliser pour l'ensemble des aides au logement le délai de carence d'un mois en vigueur pour l'APL alors que toutes les associations et le Conseil économique et social demandent la suppression de ce délai de carence. Cela ne sera pas favorable aux ménages les plus fragiles.

Enfin, vous nous proposez d'étendre la règle de la prescription de deux ans, définie pour l'action de l'allocataire et applicable aux prestations familiales, à l'aide aux organismes logeant à titre temporaire des personnes défavorisées et à l'aide à la gestion des aires d'accueil des gens du voyage. Cette mesure touchera au premier chef les personnes les plus fragiles et ne facilitera pas la tâche des associations qui aident ces personnes à se réinsérer.

Nous pourrions évoquer ces sujets au cours du débat sur le projet de loi Borloo. Toutefois, très vite après les mauvais coups du mois de mars, il y a là quatre dispositions dont il faut vraiment - et je vous félicite encore, monsieur le secrétaire d'Etat - avoir le sens de l'euphémisme pour soutenir qu'elles ne portent pas préjudice aux familles les plus modestes.

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