Avec l'article 11 AA nous abordons un débat important, puisqu'il s'agit des aides au logement et des dispositions en faveur des plus défavorisés.
Je souhaite tout d'abord faire part d'un diagnostic alarmant : aujourd'hui, les aides au logement ont cessé de corriger les déséquilibres entre l'évolution des loyers et celle des revenus.
Ainsi, ces six dernières années, les loyers ont crû de près de 30 % en moyenne alors que, dans le même temps, les revenus des ménages n'ont augmenté que d'un peu moins de 26 %. Les aides au logement ne suivant pas l'évolution du marché, elles n'ont fait qu'accompagner, sans la freiner, une stagnation, voire une baisse, du pouvoir d'achat des familles. En 2004, les ménages ont consacré plus du cinquième de leurs revenus à leur logement, celui-ci représentant aujourd'hui la dépense la plus importante de leur budget.
Alors que la part des aides publiques dans les dépenses courantes de logement des ménages avait progressé au cours des années quatre-vingt-dix, passant, par exemple, de 12, 5 % en 1992 à 16, 2 % en 2002, elle connaît une évolution inverse depuis 2002, ne représentant plus, en 2003, que 15, 6 % de ces mêmes dépenses.
Quelles sont les raisons d'un tel recul ?
Premièrement, depuis 2002, il n'y a plus de revalorisation annuelle des aides au logement. La seule revalorisation obtenue à ce jour, en septembre 2005, s'est élevée à 1, 8 %, ce qui est largement insuffisant puisqu'elle est inférieure à la croissance des loyers. Soit dit en passant, voilà la démonstration que les aides au logement ne sont pas « inflationnistes », contrairement à ce que nous indiquent les gouvernements successifs depuis 2002, puisque, en dehors de toute revalorisation des allocations logements, les loyers n'en ont pas moins augmenté de 30 % en six ans.
Deuxièmement, la proportion des ménages aidés, qui était de 25, 8 % en 2000, baisse sans interruption depuis, pour s'établir à 23, 2 % en 2005. En 1977, un ménage avec deux personnes à charge disposant d'un revenu égal à quatre fois le SMIC bénéficiait de l'APL, l'aide personnalisée au logement. Aujourd'hui, un ménage s'en trouve exclu dès lors que son revenu atteint 2, 1 fois le SMIC.
Comme le débat que nous venons d'avoir l'a démontré, nous assistons à une réorientation des aides au logement vers les seuls ménages les plus pauvres, laissant en quelque sorte sans appui des ménages modestes qui, sans être riches, se trouvent ainsi fragilisés.
Dans ce contexte de réduction de leur rôle régulateur, certaines mesures ont aggravé encore la perte d'impact des aides personnelles au logement.
Il en est ainsi du mois de carence. Créé en 1995, il conduit à ne verser l'allocation qu'à partir du premier jour du mois suivant l'entrée dans le logement. Or le premier mois est précisément le plus lourd pour le budget des ménages, qui doivent faire face à d'importantes dépenses : dépôt de garantie, éventuels frais d'agence, assurances, déménagement, etc.
Le mois de carence pénalise tout particulièrement les travailleurs saisonniers, qui ont d'autant plus besoin d'être soutenus par la collectivité dès leur entrée dans le logement qu'ils restent dans celui-ci quelques semaines seulement, et ce dans des secteurs géographiques où les loyers sont prohibitifs, à l'image des stations de montagne ou du littoral touristique.
Plus généralement, le délai de carence est défavorable à toutes les personnes qui déménagent pour des raisons professionnelles, notamment les jeunes en CDD qui acceptent une ou plusieurs mobilités professionnelles dans une même année.
Il en est ainsi également du seuil de non-versement des aides personnalisées au logement, porté à 24 euros par le gouvernement Raffarin, ce qui constitue une atteinte supplémentaire à la solvabilité des ménages. Cette disposition injuste représente un manque à percevoir de près de 300 euros par an et constitue une nouvelle amputation du pouvoir d'achat touchant près de 225 000 ménages en France. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous inviterons tout à l'heure à adopter un amendement visant à supprimer ce seuil de non-versement.
Je rappelle d'ailleurs que le Médiateur de la République lui-même s'était ému de l'injustice d'une telle disposition, qui n'a pas d'autre justification, nous en sommes convaincus, que la volonté de l'État de réduire ses dépenses. M. Delevoye s'en était ouvert aux deux ministres chargés du logement des gouvernements Raffarin et Villepin, à savoir MM. Daubresse et Borloo. Avant son départ du gouvernement, M. Daubresse s'était d'ailleurs engagé à revenir sur le mois de carence.
En outre, je souhaite anticiper sur un débat qui ne manquera pas de surgir en soulignant la nécessité de ne plus opposer les aides personnelles et les aides à la pierre, qui constituent deux leviers indispensables des politiques publiques en faveur du logement. Il est à noter que les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 ont réduit à la fois les unes et les autres.
Après avoir évoqué les aides personnelles au logement, je souhaite donc, sans trop alourdir mon propos, citer quelques données sur les aides à la pierre.
D'un montant de près de 2 milliards d'euros en 2000, celles-ci ne s'élèvent plus, en 2004, qu'à 1, 6 milliard d'euros. De même, alors que les aides à la pierre destinées au locatif social ont augmenté entre 2000 et 2002, la tendance s'est inversée en 2003 et 2004.
Ainsi, à regarder les chiffres de plus près, on s'aperçoit que le montant maximum de l'aide fiscale associée à un « Borloo populaire » atteint 41 500 euros ; ce montant est supérieur au total des aides publiques reçues pour un logement locatif social de type PLUS, lesquelles s'élèvent en effet à 36 700 euros. De là à conclure que le Gouvernement a fait son choix entre le logement des Français et l'investissement des plus favorisés, il n'y a qu'un pas que nous sommes particulièrement enclins à franchir ce soir.
Enfin, en ce qui concerne l'habitat existant, je citerai un dernier chiffre, car le bilan des aides à la pierre n'y est guère plus reluisant. En effet, les crédits de l'ANAH sont en baisse constante depuis 2002, passant de 442 millions d'euros à 392 millions d'euros en 2004. Et je ne parle même pas de la lutte contre l'habitat insalubre, qui a vu ses crédits amputer d'environ 30 % en 2004 !
Dans ces conditions, dans le cadre de cet article 11 AA et des suivants, les sénateurs et sénatrices du groupe socialiste souhaitent soutenir le pouvoir d'achat des ménages et leur solvabilisation. En ce sens, nous soumettrons à la Haute Assemblée trois amendements que nous considérons comme particulièrement importants.
Le premier portera sur la revalorisation annuelle des aides personnalisées au logement, au moins dans la même proportion que le nouvel indice de référence des loyers. Le deuxième sera relatif à la suppression du mois de carence. Le troisième concernera la suppression du seuil de non-versement des aides au logement que j'ai évoqué tout à l'heure et qui se situe à un montant de 24 euros.
Nous pensons que la réhabilitation de l'action publique en matière de logement, au plus près des besoins des ménages, passe au moins par ces trois mesures indispensables.