Ces derniers ne seront d’ailleurs pas compétents pour juger d'autres délits correctionnels, en particulier, bien entendu, les délits financiers… Le directeur de l'Institut de criminologie de Paris lui-même, M. Philippe Conte, s'interroge : « Le citoyen aurait assez de bon sens pour juger des vols avec violence, mais pas la corruption ? »
En tout état de cause, comment ces deux assesseurs vont-ils pouvoir exercer leur mission ? Ils ne siégeront que quelques jours par an et seront simplement informés du fonctionnement de la justice pénale : leur seule « formation » se fera au sein de la juridiction, par des personnels déjà débordés. Quand on connaît la complexité du droit et vos projets de modifier encore la législation pénale, on est en droit de douter sérieusement de l’efficacité d’une telle démarche…
De plus, les citoyens assesseurs seront minoritaires par rapport aux magistrats professionnels. Évidemment, le fait de les introduire va forcément modifier la procédure ; sinon, cela ne servirait strictement à rien ! En réalité, il faut attendre de cette réforme une complexification du système judiciaire et des coûts supplémentaires. On va, au mieux, doubler la durée des procès correctionnels, ce qui nous renvoie aux moyens de la justice, qui, bien entendu, sont loin de suivre.
Voilà longtemps, pour ce qui nous concerne, que nous sommes favorables à la participation des citoyens à la justice. Mais pourquoi ne pas avoir regardé du côté de ce qui fonctionne : tribunaux pour enfants, conseils de prud’hommes, tribunaux paritaires des baux ruraux, tribunaux de commerce, bref tout ce qui relève de ce que l’on appelle en général l’échevinage, qui permet vraiment à des citoyens de s’immerger dans les procédures judiciaires et d’apporter leur expérience sur la durée aux magistrats professionnels ?
Votre politique d’affichage consiste à créer à titre expérimental, dans le ressort de deux cours d’appel, des citoyens assesseurs qui ne sont que des alibis et disparaîtront peut-être ensuite du paysage judiciaire ! Cela étant, un an après son discours de Grenoble, le Président de la République pourra se targuer d’une nouvelle réforme !
Comme le souligne le juge Denis Salas, « la répression et la peur s’autoalimentent sans cesse, d’où l’appel compulsif à des lois nouvelles ». Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines, à moins que les électeurs n’en décident autrement bientôt ! Cela explique aussi le recours de plus en plus fréquent au concept de « dangerosité », comme en témoignent par exemple les articles 9 bis et suivants du présent texte.
J’ajoute que votre respect des jurys populaires a des limites : non seulement vous diminuez le nombre de jurés en cour d’assises, mais vous avez accepté que la motivation des arrêts de la cour d’assises – mesure que nous jugeons positive – soit rédigée trois jours après le procès par le président ! Cela nous laisse perplexes…
Quant au troisième volet du projet de loi, relatif à la justice des mineurs, il est proprement inacceptable. Vous l’avez introduit ici selon la procédure accélérée, alors que tous les professionnels, les organisations représentatives des droits des enfants et la très officielle Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, s’y opposent. Et pour cause : ce texte procède à un renversement des valeurs qui prédominaient lors de l’élaboration de l’ordonnance de 1945.
De loi en loi, le primat de l’éducatif, c’est-à-dire le pari d’une sortie de la délinquance, s’efface devant la montée de la répression. À juste titre, la CNCDH exprime son inquiétude de voir se développer des « mécanismes ayant pour vocation de prévenir une hypothétique dangerosité ». Ce projet de loi est effectivement porteur de cette conception.
Ainsi, le dossier unique de personnalité va se transformer en outil de repérage.