Intervention de Josselin de Rohan

Réunion du 1er mars 2011 à 14h45
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre — Adoption d'un projet de loi

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, rapporteur :

Forger des armes de guerre pour les armées n’est pas produire des biens de consommation pour le public. En autoriser l’exportation est un acte politique. Importer des armes suppose d’avoir confiance en l’État qui les fournit et en la volonté de celui-ci de poursuivre les approvisionnements si le pire devait se produire.

Un État peut être souverain sans pour autant produire d’armes, mais aucun État souverain digne de ce nom ne peut rester indifférent à la production ni au commerce des armes de ses armées.

Du reste, la question se pose : un État peut-il disposer d’une défense crédible sans base industrielle et technologique de défense, ou BITD, autonome ? À nos yeux, celle-ci constitue l’une des conditions de notre indépendance.

D’autres pays, en Europe ou ailleurs, ont apporté à cette question une réponse plus nuancée, soit qu’ils n’aient pas les moyens d’entretenir une telle base, soit qu’ils s’en remettent à des États tiers pour se procurer les armements dont ils ont besoin, soit, enfin, qu’ils estiment que leurs alliances, notamment l’OTAN, assureront à leur place leur défense.

Il est pourtant évident que l’industrie de défense est l’un des moteurs de la recherche, du développement économique et de l’emploi dans tous les pays qui en possèdent une.

La recherche et développement, la R&D, en matière de défense est particulièrement innovante. C’est, par construction, une R&D de « rupture », puisqu’il s’agit de réaliser des armes procurant un avantage décisif sur les autres et, donc, de mettre en œuvre des technologies qui n’existent pas encore.

Elle s’oppose en cela à la R&D civile, qui est plus souvent « incrémentale ». C’est pour cette raison que la R&D militaire est stratégiquement importante et que les programmes d’armement sont, en règle générale, plus longs et plus coûteux que prévu.

Beaucoup d’innovations sont issues de la R&D militaire et profitent à l’ensemble de l’économie, ce qui conduit souvent les pays importateurs d’armes de guerre à demander des compensations industrielles, ou offsets, afin d’acquérir des compétences industrielles qu’ils n’ont pas et qu’ils recherchent dans des secteurs jugés par eux stratégiques.

Deuxièmement, la présente transposition permet une indéniable modernisation de notre droit. La directive TIC, comme la plupart des directives européennes, laisse une marge de manœuvre importante aux pouvoirs législatifs nationaux. Celle-ci peut être utilisée pour réexaminer la législation nationale, moderniser les procédures et se débarrasser des archaïsmes en s’inspirant des meilleures pratiques européennes. C’est ce qu’a fait le Gouvernement dans le cadre de cette transposition, en remettant à plat le système législatif actuel et en lui substituant un nouveau dispositif beaucoup plus efficace, ainsi qu’en simplifiant les procédures d’autorisation et en instituant un contrôle a posteriori efficace.

Il nous faut combiner une réforme de ces procédures avec le strict respect du texte de la directive, de manière à assurer la sécurité juridique de la transposition.

Nous observons aussi que les directives du paquet défense ont été élaborées avant la crise financière. On peut y voir l’avancée d’une Europe de la défense davantage orientée vers les marchés que vers les États, reflétant la théorie anglaise dite de la best value for money. Ces directives n’auraient-elles pour seul effet que de nous permettre d’acquérir nos armes à moindre coût, un tel avantage ne serait pas à dédaigner dans un contexte budgétaire contraint.

Mais à eux seuls, ces textes ne permettront pas de réaliser l’Europe de la défense. La logique qui les sous-tend devrait permettre de disposer de bases équitables de concurrence entre industriels européens, ce qui ne suffira pourtant pas à construire une BITD européenne forte et autonome.

Il faudrait pour ce faire non seulement l’affirmation de la préférence communautaire et la régulation des conditions de marché, c’est-à-dire une politique de l’offre, mais aussi une politique de la demande qui suppose l’harmonisation, d’une part, des besoins et des programmations par les états-majors des pays de l’Union et, d’autre part, de l’effort de défense dans chacun des pays qui la composent.

La force de l’industrie américaine vient de ce qu’elle dispose d’un marché intérieur qui est non seulement protégé par le Buy American Act, mais également vaste et profond. Or la dimension du marché américain des armements dépend tant de l’importance des sommes qui y sont consacrées que de l’uniformisation des besoins au sein d’une même armée.

Les industriels américains fabriquent des blindés, des frégates et des avions de combat pour répondre aux besoins d’un seul État fédéré, à la différence de ce qui se passe en Europe.

La puissance de leur industrie, comme de leur R&D, leur permet de s’assurer des avantages incomparables à l’exportation et de concurrencer durement leurs compétiteurs européens sur les marchés mondiaux.

Tant que l’Europe ne sera pas capable d’harmoniser la demande, de mettre fin à la segmentation de ses industries de l’armement ou d’organiser une coopération efficace entre ses entreprises de défense, la lutte demeurera inégale.

C’est assez dire que le préalable à la réalisation de l’Europe de la défense est une volonté politique forte des États membres. La coopération franco-britannique initiée par les traités signés à Londres en novembre dernier marque véritablement une nouvelle étape dans la construction d’une Europe de la défense.

Elle constitue une approche très différente des précédentes en ce qu’elle réalise une véritable rupture par la substitution, d’une part, d’une démarche pragmatique et concrète à une architecture globale et mal assurée et, d’autre part, de programmes d’équipement précis et financés à des velléités ou des réalisations minces.

Elle peut être le prélude aux coopérations renforcées prévues par le traité de Lisbonne qui, seules, sont susceptibles de faire progresser la PSDC, la politique de sécurité et de défense commune, et lui donner de la consistance.

Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous dire ce que vous pensez de l’initiative germano-suédoise, qui propose la mise en commun et le partage dans le domaine de l’armement au sein de l’Union européenne, ou des suites données à la lettre qui a été adressée par votre prédécesseur et ses homologues allemand et polonais à la Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ?

Le texte dont la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande l’adoption ne crée pas une révolution dans le domaine des industries de défense européennes. Il représente une étape importante et indispensable dans la réalisation d’une véritable BITD. Il ouvre des perspectives et autorise des espoirs : puisse-t-il permettre de déboucher rapidement sur des projets mobilisateurs et crédibles !

Avant de conclure, je veux souligner l’excellente qualité de l’étude d’impact qui accompagne le texte transmis par le Gouvernement, ainsi que la grande diligence et efficacité de l’ensemble des services de l’État concernés pour répondre aux demandes d’information et d’explication que nous avons formulées.

Je tiens à féliciter notre collègue député Yves Fromion, auteur d’un rapport remarqué sur la directive Transferts intracommunautaires, et à remercier notre collègue sénateur Daniel Reiner, qui a su éclairer utilement les travaux de notre commission sur la directive Marchés publics de défense et de sécurité.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées que j’ai l’honneur de présider, vous recommande, mes chers collègues, d’adopter ce texte.

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