Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 1er mars 2011 à 14h45
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Tel est donc le moment que choisit le Gouvernement pour présenter au Parlement un projet de loi visant à transposer deux directives européennes d’esprit fondamentalement libéral. La seconde, surtout, visant les marchés de défense, tend à restreindre l’utilisation de l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ex-article 296 du traité sur les Communautés européennes.

Or, je le rappelle, c’est cet article qui permet à chaque État d’éviter de recourir à la concurrence chaque fois que ses intérêts essentiels en matière de sécurité sont en jeu.

On croit donc rêver, monsieur le ministre, d’autant que la directive MPDS, Marchés publics de défense et de sécurité, ne fait nullement mention d’une préférence communautaire !

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Tout commence par une communication de la Commission européenne, dont l’inspiration libre-échangiste n’est plus à démontrer, faite le 5 décembre 2007, donc avant la crise financière.

La présidence française de l’Union européenne, au second semestre de 2008, a cru bon d’aller dans le même sens, sous le prétexte qu’un marché unique de l’armement permettrait de renforcer la « base industrielle et technologique de défense européenne ».

Sur ce, la Commission a publié deux directives : l’une, du 6 mai 2009, sur les transferts intracommunautaires, qui ne pose pas de problèmes essentiels, car elle vise essentiellement à la simplification des procédures ; l’autre, du 13 juillet 2009, communément appelée MPDS. La transposition de cette deuxième directive soulève des interrogations majeures.

Tout d’abord, l’enfer est pavé de bonnes intentions : sous prétexte d’ouvrir aux industries de défense françaises les marchés européens, qui ne représentent que 20 % de nos exportations de matériel militaire, la France a voulu restreindre l’utilisation de l’article 346, supposé couvrir les pratiques protectionnistes de certains États européens.

Toutefois, force est de le constater, les directives dites du paquet défense, finalisées à la fin de 2008 sous la présidence française de l’Union européenne, n’imposent pas une clause de préférence communautaire, pas plus qu’un principe de réciprocité dans les échanges avec des pays tiers. Tout se passe comme si, dans un contexte de contrainte budgétaire, avait prévalu la théorie de la best value for money – un concept cher aux Britanniques, dont la base industrielle de défense a fait les frais –, et ce à contretemps, puisque ces directives, je le rappelle, ont été prises au lendemain du krach du capitalisme financier mondialisé.

Je crains fort que les avantages escomptés ne se révèlent illusoires et que la directive MPDS, bien loin d’ouvrir les marchés européens à nos industries, ne renforce la pénétration étrangère sur notre propre marché. Nous aurions ainsi lâché la proie pour l’ombre.

Ensuite, monsieur le ministre, en transposant aujourd’hui la directive, nous prenons la tête de l’Union en la matière. Néanmoins, qui nous dit que les autres États européens joueront le jeu de manière aussi loyale et transparente que nous ? Nous sommes dans le wagon de tête, mais serons-nous suivis ? M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, reconnaît lui-même que « nous avons peu de visibilité sur l’état de la transposition chez nos partenaires européens. »

Tout juste note-t-il que, « au Royaume-Uni, le droit de recours des entreprises des pays tiers hors UE écartées d’un marché semble moins large qu’en droit français. » Il est vrai que les Britanniques ont su préserver une large part de leur « droit coutumier »…

Par ailleurs, M. Juppé nous a assuré, lors de l’examen du rapport du président de la commission, M. de Rohan, que « chacun des États membres continuera de pouvoir recourir à l’article 346 du traité de fonctionnement de l’Union européenne lorsque les dispositions issues de la directive ne seront pas suffisantes pour assurer la protection de ses intérêts essentiels de sécurité. »

Je ne partage pas cet optimisme. Quelles qu’aient été les précautions prises dans la négociation d’une directive marquée du sceau du compromis, nous ne pourrons maintenir l’article 346 que si la jurisprudence de la CJUE, la Cour de justice de l’Union européenne, nous le permet. On peut faire confiance à la Commission pour interpréter les textes dans le sens du plus grand libre-échangisme. Et la Cour de justice interprétera les critères introduits par la directive, et non pas ceux qui figurent dans la loi française.

Or le sens même de la nouvelle directive est de limiter l’usage de l’article 346 du traité en favorisant l’ouverture des marchés. Comme l’a reconnu devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le délégué général pour l’armement, ou DGA, M. Collet-Billon, « c’est bien la jurisprudence de la CJUE qui déterminera à l’avenir le champ de cette exception » qu’est devenu l’article 346. Mes chers collègues, je ne fais que citer ses déclarations, qui sont publiques !

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