Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 1er mars 2011 à 14h45
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre — Adoption d'un projet de loi

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Je vous adresse donc, de ce point de vue, tous mes vœux de réussite !

Ce projet de loi, pour l’essentiel, transpose deux directives du paquet défense : l’une sur les transferts intercommunautaires, l’autre sur les marchés publics de défense et de sécurité.

Sur la forme, ce texte a fait l’objet d’une étude approfondie, ponctuée – je veux en témoigner ici – par les nombreuses auditions de tous ceux qui étaient intéressés par ce sujet, non seulement des industriels, mais aussi des personnes chargées de ce domaine au sein des ministères.

Le texte a été amélioré, me semble-t-il, grâce à ce travail parlementaire dont nous nous félicitons et qui nous a permis la rédaction d’un amendement. Celui-ci me paraît satisfaire ceux à qui il s’adresse. Par ailleurs, le Gouvernement a proposé un amendement relatif au contrôle, qui permet également de bonifier ce projet de loi.

Je ne répéterai pas ce qui a été excellemment exposé par Josselin de Rohan, président de la commission et rapporteur du texte.

En revanche, je vous ferai part de quelques réflexions relatives à ce projet de loi, dont certaines rejoindront celles de notre collègue et ami Jean-Pierre Chevènement, sans pour autant conduire à la même conclusion.

Premièrement, admettons-le, ce texte est un cadre législatif fixant des principes. La vraie transposition se fera par les textes réglementaires, qui seront fort nombreux : pas moins de quatorze décrets et six arrêtés sont prévus. Nous avons demandé, et j’y insiste ici, que chacun d’eux respecte l’esprit du texte que nous allons voter tout à l’heure ; nous devrons pouvoir le vérifier suffisamment vite.

Deuxièmement, les modalités du contrôle vont changer. Ces directives, au moins celle qui concerne les marchés publics, étant d’inspiration libérale et visant à simplifier les procédures, la tentation pourrait être grande de limiter par la suite les contrôles. Nous allons en effet passer d’un contrôle .

Il faudra porter une attention absolue à ce marché. En la matière, je souscris sans réserve aux propos tenus par M. le président de la commission, qui affirmait : « Le marché des armes n’est pas un marché ordinaire. Il est d’ailleurs soumis au régime de la prohibition. » Nous sommes donc dans un système à caractère dérogatoire.

Même si nous simplifions les textes, nous avons le devoir de respecter toutes les conditions de la position commune qui a été définie sur le fondement du code de conduite proposé en 1998, je le redis, par un gouvernement de gauche à la Commission européenne, discuté et approuvé par cette dernière. Ce code a fixé des conditions très contraignantes.

Certes, elles ne sont certes pas toutes reprises dans le texte. Je le précise, parce que nous avons évoqué l’amendement que le groupe CRC-SPG défendra tout à l’heure et qui présente un intérêt évident. Toutefois, le fait que cet acte juridique, contraignant en soi, est toujours contenu dans la réglementation française nous permettra de prêter une attention absolue au marché des armes et au contrôle des exportations.

Par ailleurs, il est remis chaque année au Parlement un rapport qui recense de manière assez exhaustive les exportations d’armements. Il serait hautement souhaitable que celui-ci, à l’avenir, s’accompagne d’une étude de l’impact des directives sur le marché européen.

Il serait également intéressant d’étudier la manière dont la transposition est effectuée ailleurs. La France, qui est la première à transposer, figure donc dans le « wagon de tête » en la matière. Il faudra nous assurer que l’esprit qu’elle adopte pour cette transposition est bien suivi.

Troisièmement, sur le fond, ces directives vont dans la bonne direction et marquent une amélioration par rapport à la situation présente.

La directive sur les transferts intracommunautaires, en simplifiant les procédures, facilitera la vie de nos industriels. Plus, du reste, que la directive elle-même, c’est la décision, à l’occasion de cette transposition, de refondre le système des autorisations qui va alléger les procédures. Même s’il a été revu par un décret en 1992, ce système est plus que cinquantenaire. En effet, la fameuse Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre date de 1955, et est donc antérieure au traité de Rome. Ces dispositions vont donc dans le bon sens – cela mérite d’être souligné –, dès lors naturellement que la réduction des délais va de pair avec un contrôle rigoureux .

Quant à la directive sur les marchés publics de défense et de sécurité, elle harmonisera les procédures de passation des marchés publics dans l’ensemble de tous ces pays – du moins nous l’espérons – et permettra d’offrir à nos industriels l’opportunité de conquérir de nouveaux marchés.

Jusqu’à présent, certains États – le nôtre n’était pas totalement innocent, avouons-le – faisaient un usage abusif de l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui autorise une nation – Jean-Pierre Chevènement l’a rappelé –, pour des motifs tenant aux intérêts essentiels de sa sécurité, de se dispenser de toute procédure d’appel d’offres pour l’achat d’armements.

Le fait de limiter le recours à cet article devrait favoriser la mise en concurrence au sein de l’espace économique européen. Il vaut mieux, pour nos industriels, se retrouver en concurrence, y compris avec des industriels américains, plutôt que d’être face à des marchés totalement fermés, ce qui est le cas pour un certain nombre de pays. On peut donc considérer que cette directive constitue un pas en avant, tous nos industriels français et, plus largement, européens devant bénéficier d’une telle mesure.

Par ailleurs, ne l’oublions pas, la mise en concurrence a des effets sur les prix et, dans une période où les budgets de défense sont contraints, le fait d’exercer une pression en ce domaine n’est pas en soi une mauvaise chose.

Quatrièmement, la transposition des directives du paquet défense comporte des risques. Ils sont liés à l’absence, que nous regrettons, de clause de préférence communautaire. Malheureusement, nous ne sommes pas seuls et certains de nos partenaires au sein de la Communauté européenne ont un point de vue différent du nôtre à cet égard.

En tout état de cause, l’ouverture des marchés de défense à la concurrence risque de déboucher sur un dilemme : soit la fermeture du marché aux seuls producteurs nationaux, soit son ouverture à l’ensemble de la concurrence internationale. Notre amendement tend donc à limiter ce risque.

Il n’y aurait absolument aucune raison d’ouvrir notre marché national en l’absence de réciprocité. Je pense notamment au marché américain, qui nous reste à peu près totalement fermé, comme l’actualité vient malheureusement de nous le rappeler à l’occasion de l’appel d’offres pour la fourniture d’avions-ravitailleurs.

Il faut donc prendre garde à ce que l’ouverture reste maîtrisée, ce qui est difficile à faire quand on sait que la Commission européenne a une vision très libre-échangiste des choses, vision qui consiste à ouvrir d’abord et à contrôler ensuite. Or, en matière d’équipements de défense, les investissements se font sur le long terme et ne concernent en général que quelques entreprises. Ainsi, quand vient l’heure de constater les effets, c’est souvent pour enregistrer l’acte de décès des industriels.

On dit du reste que nos voisins britanniques sont revenus, en se mordant les doigts, sur la théorie dite du « rapport qualité-prix » – une autre formule existe en anglais –, qui s’est traduite par la disparition de pans entiers de leur industrie de défense.

Faute d’une clause de préférence communautaire, nous aurons bel et bien une dissymétrie de protection entre le marché nord-américain et le marché européen. Ce sera non pas la « forteresse Europe », mais la « passoire Europe ». C’est un vrai risque !

Il faut aussi craindre l’absence de réciprocité entre les Européens. Par exemple, si nous ouvrons notre marché des véhicules blindés aux producteurs européens – monsieur le ministre, mes chers collègues, vous voyez à quoi je fais allusion –, mais que les autres États ne font pas de même, nous serons les dindons de la farce. C’est un risque à ne pas négliger.

Un autre risque était qu’une rédaction un peu imprécise ouvre la porte à des faux nez européens ou à de mauvais Européens qui feraient fabriquer hors d’Europe l’essentiel de leur production. Grâce à l'amendement présenté par M. le rapporteur, qui est devenu celui de la commission, ce danger paraît désormais à peu près écarté.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion