Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 1er mars 2011 à 14h45
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre — Adoption d'un projet de loi

Gérard Longuet, ministre :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, il est remarquable de constater que, au détour d’un texte de transposition de directives en apparence techniques et juridiques, les conditions mêmes de la souveraineté et de la construction européennes soient évoquées avec force au cours du débat.

Je n’étais pas très compétent sur le premier texte, je ne le suis guère plus sur le second. J’y retrouve cependant les clés de la construction d’une politique industrielle, mais au service d’un projet politique, tant il est vrai qu’en ma qualité de ministre de la défense je sais qu’il ne peut y avoir de défense sans l’existence, au préalable, d’un projet politique.

Je voudrais remercier l’ensemble des orateurs, ceux qui soutiennent cette transposition telle que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat nous la propose et ceux qui ne la soutiennent pas encore – ou peut-être pas du tout ! –, car les uns et les autres se sont exprimés avec une véritable hauteur de vue.

Je salue le travail du président de la commission, qui rapporte le texte, parce qu’il a su poser exactement les conditions de la réussite, ou de l’échec, d’une politique de souveraineté fondée sur une industrie dont l’ambition est européenne, mais qui se heurte, soyons lucides, à la réalité : les vingt-sept États membres se distinguent non seulement par leurs niveaux de développement, mais également par leurs stratégies internationales de long terme, même si l’on observe d’une façon générale des points de convergence. Si le pessimisme est légitime, quelques progrès sont toutefois à noter.

Il y a d’abord cette réussite de l’accord franco-britannique, qu’évoquait à l’instant Jacques Gautier avec l’enthousiasme et le dynamisme que nous lui connaissons et qui attestent de son implication sur ces questions. Il y a aussi, même pour ceux qui sont les plus éloignés en apparence de l’idée de construction européenne, l’initiative germano-suédoise destinée à promouvoir la coopération industrielle militaire au niveau européen. Il y a encore, au travers de la déclaration du triangle de Weimar, une véritable volonté d’avancer dans le domaine de la défense.

Mais, une nouvelle fois, soyons lucides : à cet instant, il serait à mon sens prématuré de dire que la clef magique a été trouvée et que la serrure va se débloquer. En effet, l’héritage du passé est lourd et tous les points de vue ne sont pas européens.

Si l’offre et la demande se rapprochent, force est de reconnaître qu’une politique de la demande suppose des stratégies militaires convergentes et une politique de l’offre harmonisée, des efforts industriels, accompagnés de sacrifices et, sans doute, de concessions des uns et des autres.

Je remercie Daniel Reiner d’avoir, au fond, défendu le texte avec mesure et réalisme. Ce n’est pas tout à fait une surprise ; nous nous connaissons et je sais son implication dans les choses de l’armée.

Madame Demessine, vous portez, à mon sens, un jugement excessif en disant que la transposition de ces directives par ce projet de loi aboutit à une Europe trop ouverte aux États-Unis. Il y a une situation de fait, héritée de l’histoire. Mais les amendements adoptés par la commission brossent l’esquisse du début du commencement de quelque chose qui ressemble à une politique industrielle inspirée de considérations politiques. Pour ma part, je ne m’en plaindrai pas !

C’est la raison pour laquelle je me tourne vers Jean-Pierre Chevènement, qui craint, à juste titre, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Monsieur le sénateur, l’article 346, d’abord, le considérant 18, ensuite, et la volonté politique des États, enfin – car c’est bien ce qui est en cause –, devraient progressivement amener nos « compatriotes » européens – si vous me permettez cette formule – à se rendre compte que nous partageons, sur le vieux continent, les mêmes risques et défis.

Des relations anciennes, qui se comprenaient sous l’éclairage de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre froide, doivent être aujourd’hui analysées à la lumière d’une Méditerranée turbulente. Le fait que celle-ci nous concerne directement ne nous place pas, reconnaissons-le, dans la situation que les « Atlantistes » pouvaient comprendre il y a dix, quinze, vingt ou trente ans.

Il y a donc une évolution, mais je reconnais que la culture libérale européenne – et c’est un libéral qui vous parle – peut poser problème. En effet, comme l’a dit très justement Josselin de Rohan, le marché de l’armement n’est pas celui des biens de consommation. Lorsque les clients sont des États, ils n’obéissent pas aux règles du moins-disant commercial immédiat, même si les états-majors ont naturellement le souci de garder des moyens pour leur fonctionnement et d’économiser sur l’investissement.

Monsieur Kergueris, votre analyse est parfaitement équilibrée et harmonieuse. Lorsque vous dites qu’il reste beaucoup à faire, c’est la stricte vérité.

Comment pourrait-il en être autrement ? Vous venez d’un grand département marin dans lequel l’idée de défense maritime et de coopération franco-anglaise a commencé à faire un bout de chemin ! Mais nous avons eu, par le passé, trop de déceptions pour que le Gouvernement n’exige pas d’être plus attentif à la progression de la construction européenne.

Sans avoir la prétention d’épuiser le sujet, je dirai simplement que l’Europe est en mouvement. Cette actualité va amener les pays qui n’ont pas naturellement la culture de la responsabilité en matière de défense à s’interroger. Le temps n’est-il pas venu d’écouter les avis des vieilles nations européennes, qui, en évitant les excès, ont su construire des politiques de défense durables n’excluant pas les alliances ?

C’est principalement le cas de la France et de la Grande-Bretagne, qui savent travailler ensemble. Nous aimerions que cela soit plus souvent le cas de l’Allemagne, qui est profondément européenne. Je pense que nous arriverons, avec l’initiative de Weimar ou l’initiative germano-suédoise, à créer ce nouveau climat.

Je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter ce projet de loi de transposition de ces directives, en mesurant que nous ne sommes qu’au début d’un chemin qui se poursuivra au fur et à mesure de la réalité de la construction politique européenne, tant il est vrai que les questions de défense ne sont là que pour appliquer des projets collectifs voulus par les peuples pour construire leur avenir.

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