Intervention de Henri Torre

Réunion du 8 décembre 2004 à 11h45
Loi de finances pour 2005 — Outre-mer

Photo de Henri TorreHenri Torre, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, l'examen des crédits de l'outre-mer est, pour nous, l'occasion de dresser un tableau relativement vaste de l'ensemble des questions spécifiques aux départements et territoires français ultramarins.

Mme la ministre de l'outre-mer a, devant la commission des finances, le 27 octobre dernier, présenté les grandes lignes de son projet de budget. Les éléments très intéressants qu'elle a nous a livrés montrent bien l'ambition qui anime son ministère, sa vision et la place de l'outre-mer dans la République.

Pour ma part, et à titre liminaire, je ne puis que souscrire au programme à la fois ambitieux et réaliste du Gouvernement, et indiquer mon très fort attachement, ainsi que celui de la commission des finances, à une politique résolument tournée vers le développement économique de nos départements et collectivités d'outre-mer, qui - faut-il le rappeler ? - font partie intégrante de la République.

Cependant, avant d'entamer mon analyse strictement budgétaire, j'évoquerai un point qui n'est pas que de détail : il s'agit des réponses aux questionnaires budgétaires.

Pour être clair, les réponses nous sont parvenues avec retard et sont, pour beaucoup d'entre elles, incomplètes. Mon collègue M. Roland du Luart avait, d'ailleurs, fait cette même remarque l'année dernière. Je sais, madame la ministre, que, sensible au fait que nous allons maintenant entrer dans l'ère de la loi organique, vous estimerez, comme nous, que le Parlement doit être parfaitement informé des crédits votés et de leur utilisation.

Mon propos portera sur quatre points : l'évolution du budget du ministère de l'outre-mer, qui est très controversée, les crédits destinés à l'emploi et au logement, la mise en oeuvre de la LOLF du 1er août 2001 et les particularités de l'outre-mer.

Premier point : l'évolution exacte des crédits de l'outre-mer.

Les débats à l'Assemblée nationale ont donné lieu à un jeu assez curieux, puisque, selon les orateurs, l'évolution du budget passait d'une augmentation de 52 % à une diminution de 10 %. Chacun admettra que la différence n'est pas mince. En fait, comme Mme la ministre nous le confirmera, le budget de l'outre-mer a connu de profonds changements de périmètre qui n'en facilitent pas la compréhension, mais constituent des anticipations de la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001.

Je crois pouvoir affirmer, car c'est au Sénat que nous avons les meilleurs techniciens budgétaires, que le vrai chiffre traduit une baisse de 2, 5 % environ, à périmètre strictement constant. Les défenseurs de l'orthodoxie budgétaire que nous sommes ne peuvent prendre cela en mauvaise part, parce que l'Etat a besoin de faire des économies.

Les différences d'interprétation proviennent de deux points particuliers : la baisse des crédits de la couverture maladie universelle, la CMU, qui apparaît dans le budget correspond, en fait, à une prise en charge par l'assurance maladie et n'entraîne donc aucune conséquence pour ses bénéficiaires ; les crédits du logement, quant à eux, bénéficieront d'une somme que l'on estime à 12 millions d'euros à la faveur de la réforme du prêt à taux zéro.

J'en viens à mon deuxième point : les crédits de l'emploi et du logement.

Les crédits de l'emploi, tout d'abord, représentent un montant total de 1, 06 milliard d'euros en 2005. Il convient de relever que 678 millions d'euros proviennent, en fait, du ministère du travail, qui a transféré cette somme au titre des compensations des exonérations de cotisations sociales. Il faut remarquer que ce transfert est chiffré, dans le « bleu », à 719 millions d'euros : il manque donc 41 millions d'euros, qui ont été imputés sur les crédits du fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, le FEDOM.

Les crédits du FEDOM connaissent une forte baisse, d'environ 130 millions d'euros : il y aura donc 320 millions d'euros disponibles en 2005, contre 450 millions d'euros en 2004. Le ministère estime qu'une meilleure efficacité de sa politique, notamment par l'expérimentation de la globalisation des crédits en Martinique, devrait conduire à limiter les effets de cette baisse.

Cette expérimentation, qui sera étendue aux trois autres préfectures en 2006, permettra que les crédits soient gérés de manière déconcentrée par les préfets. Il est trop tôt pour en tirer les enseignements, même si les premiers éléments portés à notre connaissance en montrent les effets positifs.

Quant aux crédits du logement, il est extrêmement difficile d'en connaître l'évolution. Au plan budgétaire, on constate une stabilité des crédits de paiement, à 173 millions d'euros, et une faible baisse des autorisations de programme, à 270 millions d'euros en 2005 contre 287, 5 millions d'euros en 2004, baisse partiellement compensée par la réforme du prêt à taux zéro.

En effet, alors que ce prêt était, jusqu'à présent, financé par une dotation spécifique, imputée sur la ligne budgétaire unique, la LBU, il fait dorénavant l'objet d'un crédit d'impôt. Or, les sommes correspondantes, soit 12 millions d'euros, n'ont pas été supprimées de la ligne budgétaire unique et viendront donc l'abonder. Ce crédit a été reporté sur l'enveloppe globale des crédits destinés au logement.

Le vrai problème n'est cependant pas là : il provient des gels et annulations de crédits, en nombre extrêmement important, comme le montrent ces quelques chiffres : 26 millions d'euros ont été gelés cette année et 50 millions d'euros les années précédentes.

En commission des finances, notre éminent collègue M. Lise nous a indiqué que, pour la seule Martinique, la perte était de 15 millions d'euros. Toutes ces pertes sont beaucoup trop élevées.

Si aucune mesure n'a été prise dans le collectif budgétaire, 16 millions d'euros ont, cependant, été dégelés pour 2004 et le ministère n'a subi aucune annulation de crédits cette année : sur les 26 millions d'euros gelés, 16 millions sont donc disponibles et 10 millions sont reportés sur l'année suivante.

J'ai eu connaissance de chantiers arrêtés faute de crédits, ce qui met les entrepreneurs locaux en difficulté.

Si nous pouvons comprendre la nécessité de procéder, sur un plan global, à des régulations budgétaires, elle paraît pour le moins surprenante, s'agissant d'une mission prioritaire de l'Etat dans un domaine où les besoins sont immenses.

Le ministère de l'outre-mer a, en quelques années, réalisé des progrès tout à fait remarquables afin d'améliorer la gestion et la consommation de ces crédits, grâce à des procédures et des offices plus efficaces et à un meilleur règlement des problèmes fonciers. Nous regrettons donc que cette baisse des crédits ait entraîné des retards qui n'auraient pas dû se produire.

Ces deux points seront, je le suppose, évoqués par les différents orateurs au cours de cette discussion. Je souhaiterais, pour ma part, que Mme la ministre nous apporte des précisions quant à la manière dont elle entend gérer ces différents mouvements de crédits.

Troisième point : la mise en oeuvre de la LOLF.

Je ne m'étendrai pas sur ce sujet outre mesure. Mes observations à ce propos figurent dans le rapport spécial et j'en ai fait part au ministère de l'outre-mer.

Les indicateurs gagneraient à être affinés, notamment sur les questions de logement, puisqu'ils ne permettent absolument pas de juger de la pertinence de l'utilisation de ces crédits. Sur ce point également, je souhaiterais que Mme la ministre nous informe des mesures qu'elle compte prendre afin d'affiner encore un peu la présentation future de son projet de budget.

Quatrième et dernier point : les particularités de l'outre-mer.

En cette affaire, il faut bien admettre que la situation spécifique de l'outre-mer appelle des réponses spécifiques, qui sortent du cadre dans lequel nous avons l'habitude d'évoluer. Une fois cela dit, je tiens à souligner qu'il convient de lutter contre les systèmes qui ne sont pas contrôlés, les effets d'aubaine et, en général, les abus de toutes sortes, qui sont préjudiciables, non seulement d'un point de vue budgétaire, certes, mais également pour l'image de l'outre-mer.

En tant que rapporteur spécial, je m'engage à étudier très sérieusement la question durant les trois prochaines années.

Je vais illustrer mon propos par trois exemples, qui ont, malheureusement, déjà été évoqués l'an dernier. Mais, la situation n'ayant pas évolué, je vais les citer de nouveau, d'autant que Mme la ministre nous avait fait quelques ouvertures.

Premier exemple : la TVA « non perçue remboursée ». Je vous rappelle que le débat qui avait eu lieu en commission avait été agité. Or, il était dans l'intention de la commission des finances, non pas de nier la nécessité d'aider de manière spécifique l'outre-mer, ni de « faire des économies sur son dos », mais de « moraliser » un système qui défie un peu le bon sens.

Sur certains produits, une TVA qui n'a pas été acquittée est remboursée, avec pour seule base légale une lettre de 1953, qui a été rédigée par un ministre des finances oublié et dont, de surcroît, on nous annonce qu'elle a été perdue !

Lors de son audition, Mme la ministre a proposé une ouverture. Sa proposition, consistant à supprimer le système et à redéployer les sommes correspondantes par une dotation d'un montant équivalent sur son ministère, n'a pas pu être mise en oeuvre cette année. Car inscrire 80 millions d'euros ou 90 millions d'euros de dépenses budgétaires de plus en contrepartie d'un allégement, dans le cadre du magma des exonérations, n'était pas une contrepartie convenable pour le budget.

Par conséquent, il faut réfléchir au sujet en ayant aussi à l'esprit - j'en ai pris bonne note, mes chers collègues - que, sur le plan économique, cette exonération a des effets sur l'équilibre des entreprises. Il convient donc être prudent.

Mme la ministre a indiqué que, si des compensations budgétaires étaient accordées à son ministère, cette formule pourrait être envisagée. Elle nous a rappelé que, l'année dernière, le budget avait été doté de 31 millions d'euros pour que la continuité territoriale soit préservée.

Certains de mes collègues estimaient que, par rapport aux 170 millions d'euros affectés à un département non pas ultramarin, mais insulaire, cela posait quelques problèmes, mais le Gouvernement a proposé une ouverture appréciable, en voulant que la continuité territoriale s'étende aux départements et territoires d'outre-mer.

Certes, il faudra être prudent et veiller à ce que cela ne se révèle pas être un gouffre sans fin.

Je tiens à saluer certaines initiatives prises par le ministère, notamment le versement d'une aide aux jeunes venant se former en France.

Nous étudierons tous ensemble ce problème avec beaucoup de conscience et d'attention, car il est d'une complexité telle que nous ne devons pas, aujourd'hui, nous arrêter à des solutions toutes trouvées.

Deuxième exemple : les compléments de rémunérations, question « structurelle et de longue haleine ». Dans le rapport spécial, vous constaterez que l'effort demandé l'année dernière au titre de l'article 135 de la loi de finances n'a pas été inutile. Nous disposons maintenant de résultats - partiels, certes, mais c'est un début - pour commencer à appréhender la question. Il faut d'ailleurs remercier Mme la ministre et ses services de la grande qualité de ce travail - ce qui n'a pas dû être facile - qui constitue pour le Parlement une source d'information précieuse.

La structure des salaires en outre-mer présente des particularités. Dans la fonction publique, les revenus des fonctionnaires sont supérieurs de 15 % à 20 % à ce qu'ils sont en France. En revanche, dans le secteur privé, les salaires sont globalement inférieurs, c'est un problème qu'il ne faut pas se cacher Il faut donc réfléchir ici et dégager des solutions à long terme dont je sais parfaitement qu'elles ne sont pas faciles.

Troisième exemple : l'indemnité temporaire versée aux fonctionnaires de l'Etat qui choisissent de prendre leur retraite dans les collectivités d'outre-mer et dans le département de la Réunion.

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