Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 4 octobre 2007 à 23h00
Immigration intégration et asile — Article 6

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

À l'heure actuelle, les personnes étrangères dépourvues de passeport ou de visa leur permettant d'entrer en France qui se présentent à nos frontières sont considérées comme étant en situation irrégulière. Même si elles souhaitent venir chez nous au titre de l'asile, elles ne sont pas forcément autorisées à entrer sur notre territoire par une décision ministérielle afin d'avoir la possibilité de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA.

En cas de refus d'admission sur le territoire français, les intéressés ont la faculté de déposer un recours. Toutefois, ce recours n'a pas de caractère suspensif, ce qui implique qu'ils peuvent être réacheminés vers leur pays d'origine avant même que le juge ait eu à connaître de leur cas. Cela peut avoir et a déjà eu des conséquences dramatiques pour des personnes qui se trouvent ainsi renvoyées dans des pays où elles risquent de subir des persécutions.

Dans sa sagesse, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, par son désormais célèbre arrêt Gebremedhin, qui concerne un Érythréen et a été rendu le 26 avril 2007, que l'absence d'un recours juridictionnel de plein droit suspensif ouvert aux étrangers dont la demande d'asile à la frontière a été rejetée méconnaît les articles 3 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatifs respectivement à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants et au droit à un recours effectif.

À la suite de cet arrêt, le Gouvernement se trouve dans l'obligation de légiférer. Cependant, nous le verrons et nous tenterons de corriger cette situation par nos amendements, il légifère a minima pour instaurer un recours suspensif dans la procédure d'asile à la frontière, parce qu'il ne peut pas faire autrement, en faisant en sorte que le processus soit aussi expéditif que possible.

On peut certes donner acte à l'Assemblée nationale d'avoir substitué au référé-liberté prévu par le projet de loi un recours en annulation de plein droit suspensif. Toutefois, pour rendre ce recours vraiment effectif, il faudra modifier le texte sur plusieurs points, d'où les amendements que nous défendrons dans un instant.

Cela étant, si l'on se reporte aux nombreux alinéas de l'article 6, on s'aperçoit que le Gouvernement en a profité pour insérer toute une série de propositions qui éloignent le texte de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, en encadrant et en réduisant sa portée.

Au travers de la présentation de certains de nos amendements, nous ferons la démonstration qu'un recours suspensif de vingt-quatre heures risque d'être totalement inopérant dans 99 % des cas. Cela ne nous semble pas du tout satisfaire à l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme.

Un autre point nous inquiète : le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné continuera d'avoir la possibilité d'effectuer un tri parmi les recours dont il sera saisi. Il pourra notamment écarter, par le biais d'une ordonnance, des recours qu'il jugerait entachés d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance ou manifestement mal fondés. Dans ces conditions, on peut décider tout et son contraire. Cela nous inquiète énormément, et d'ailleurs les magistrats des tribunaux administratifs partagent cette inquiétude. C'est une façon, là encore, de contourner la décision de la Cour européenne des droits de l'homme.

Enfin, nous relevons une innovation, ou plutôt la confirmation de quelque chose qui semble tout à fait détestable.

Si l'étranger ne s'y oppose pas, son procès pourra se dérouler dans une salle aménagée dans la zone d'attente, par exemple la « zapi 3 » de Roissy. Mais cet étranger qui vient d'arriver en France n'est pas dans les meilleures conditions pour exprimer une telle opposition : il ne connaît pas le droit français, il n'a pas forcément pu avoir accès à un avocat et, même s'il est francophone, il n'est pas nécessairement rompu aux finesses et aux complications de la langue juridique.

Dans le cas de la zone d'attente de Roissy, le président du tribunal siège à Bobigny. Quant à l'avocat, sera-t-il aux côtés de son client ou au tribunal ? Le représentant de l'État, c'est-à-dire, en l'occurrence, du ministère chargé de l'immigration, se tiendra pour sa part auprès du juge, à Bobigny. Cela non plus ne correspond pas du tout à un jugement équitable. Si cette disposition devait être retenue, la France serait très vite traduite, à mon sens, devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Par conséquent, cet article 6 qui semble tendre à prendre en compte la décision de la Cour européenne des droits de l'homme que j'ai citée la contourne en fait complètement. C'est pourquoi nous allons essayer, par nos amendements, de revenir à une bonne conception du droit.

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