J'aborderai maintenant une cinquième fausse évidence. On nous dit que l'on va mettre fin aux situations inextricables, à commencer par celle des enfants.
Lorsque M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a annoncé, hier, que des mesures seraient prises au sujet des enfants scolarisés passibles d'expulsion, j'ai estimé son intervention positive.
Mais j'ai lu dans la presse, hier et ce matin encore, que, selon le cabinet de M. le ministre d'Etat, ces mesures concerneraient 750 ou 820 enfants. J'espère, monsieur le ministre, que vous allez nous apporter quelques précisions sur ce point, car je me suis vraiment demandé comment ledit cabinet pouvait citer de tels chiffres.
Si M. le ministre d'État nous a annoncé une démarche consistant à faire examiner par les préfets le cas de tous les enfants menacés d'expulsion qui sont nés en France et qui n'ont plus d'attache avec leur pays d'origine, en fonction des valeurs de la République française, c'est fort bien. Mais comment peut-on alors indiquer par avance que les mesures envisagées concerneront 750 enfants, selon tel quotidien, et 820 enfants, selon tel autre, eu égard aux renseignements fournis par le cabinet de M. Sarkozy ? Selon moi, les collaborateurs de M. le ministre d'État devraient plutôt annoncer le lancement d'une démarche, assortie de principes, qui sera menée à son terme. À l'issue de cette démarche sera établi le nombre de personnes qui seront effectivement concernées. Il est insensé d'avancer un quelconque chiffre avant.
Pour ce qui est des situations inextricables, depuis que ce gouvernement est en place et que M. Sarkozy est ministre de l'intérieur, les reconduites à la frontière sont fréquemment évoquées. Mais ces dernières, si l'on excepte l'outre-mer, concernent de 10 % à 15 % du nombre de personnes présumées en situation irrégulière. Ce fait prouve que, même avec les méthodes de ce gouvernement, même avec les déclarations de ses membres, le problème reste entier.
En réalité, monsieur le ministre, lorsque nous recevons ces personnes dans nos départements, nous nous apercevons, tout d'abord, qu'un grand nombre d'entre elles n'ont pas bénéficié du droit d'asile et n'ont pas de titre de séjour, ensuite, qu'elles ne seront pas reconduites à la frontière pour un certain nombre de raisons et, enfin, qu'elles vivent dans des hôtels payés par la Croix-Rouge ou par la préfecture - à ce propos, on m'a indiqué que, dans les mois à venir, les moyens pour faire face à ces dépenses seront peut-être diminués - et ne peuvent ni travailler ni payer un loyer.
Je parle très fréquemment de ces situations absurdes avec le préfet de mon département, comme beaucoup d'entre nous, je le pense. Ainsi, on sait bien que la personne étrangère qui se trouve sur le sol français avec ses deux enfants va rester dans notre pays. Pourquoi ne peut-elle pas travailler et payer son loyer, alors qu'elle a une promesse d'embauche ?
J'ai le sentiment que, au-delà des formules, la mesure que vous nous proposez ne résoudra pas les situations inextricables.
Considérons une autre fausse évidence. On nous dit que le dispositif proposé va permettre de mieux gérer le droit d'asile. Mes chers collègues, la France comptait 400 000 réfugiés politiques en 1946 et 180 000 en 1986. Aujourd'hui, ils sont au nombre de 130 000. Par conséquent, nous sommes loin du fantasme de la forteresse assiégée, de l'envahissement.
La situation des demandeurs d'asile est difficile. Elle a été rendue telle par la loi de 2003. Je suis d'ailleurs intervenu, notamment avec MM. Mermaz et Badinter, lors de sa discussion.
Mes chers collègues, je veux vous dire une nouvelle fois que la notion d'asile interne n'a pas de sens. Rejeter une demande d'asile au motif que l'étranger résidant dans un pays qui connaît des problèmes peut vivre normalement sur une partie du territoire de ce pays, sans savoir d'ailleurs comment il peut rejoindre cette portion de territoire, n'est pas conforme à la convention de Genève.
De la même manière, la liste des pays d'origine sûrs n'est pas conforme à l'esprit de ladite convention selon lequel le droit d'asile est un droit personnel, qui dépend non d'une liste de pays mais d'une situation personnelle. Nombre de personnes que nous rencontrons ont vécu des situations très difficiles. L'OFPRA leur reproche parfois de ne pas pouvoir en apporter la preuve. Mais quand on fuit un pays, il est rare que l'on emporte toute la documentation justifiant cette fuite avec soi !
La situation reste difficile. Nous ne pensons pas que la loi de 2003 ait permis de régler cette question.
Je veux maintenant aborder un dernier point. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui permettrait de simplifier le droit. Monsieur le ministre, Bernard Frimat et moi-même avons rencontré tout à l'heure devant le Sénat les magistrats des tribunaux administratifs, qui sont en grève aujourd'hui. §Ils nous ont dit qu'il était essentiel que les questions relatives au droit au séjour soient prises de manière collégiale.
Hier, nous avons pris connaissance des conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire d'Outreau. Un mot est revenu sans cesse : « collégialité ».Il faut que les décisions soient collégiales !
Monsieur le ministre, si vous préparez un décret qui supprimerait, en matière du droit à un titre de séjour, la collégialité, je crains que le sinistre de la justice judiciaire ne soit suivi d'un sinistre de la justice administrative. Nous croyons que, si l'on supprime la collégialité là où elle est nécessaire, on ne traite pas la question dans de bonnes conditions. Encore une fois, c'est une fausse évidence.
Au cours de mon intervention, j'ai traité sept points. Méfions-nous des simplismes, des caricatures, des fausses évidences, de la manière dont nous légiférons sur ce sujet. Ce qui est en jeu, c'est une certaine idée de notre pays et de ses valeurs. C'est pourquoi les membres du groupe socialiste vous demandent de prendre le temps de la réflexion et d'adopter la motion tendant au renvoi à la commission.