La lecture du projet de loi dont nous entamons la discussion est édifiante : rien sur le développement, rien pour tenter de réduire la fracture Nord-Sud, qui, chacun le sait, est la source essentielle des migrations internationales.
Le rapport qui nous est présenté confirme ce fait : c'est le silence total sur cette question, pourtant fondamentale.
Monsieur le ministre, nous constatons que deux logiques coexistent : celle des grandes déclarations et celle des faits, celle de la réalité de votre action.
Prenons la « Charte des valeurs » de l'UMP qui figure actuellement sur son site Internet : « Notre rôle est d'oeuvrer à la réduction des déséquilibres par un véritable partenariat au service du développement, dans les collectivités d'outre-mer [...] comme dans les pays les plus pauvres. » On a envie de se pincer !
Or le projet de loi que vous nous présentez prône le pillage des ressources humaines sans accorder un sou de plus aux pays d'origine.
Depuis quatre ans, les gouvernements successifs affichent dans leurs discours une vision timidement solidaire alors que, dans la pratique, ils défendent le libéralisme le plus sauvage, dont pâtissent évidemment en premier lieu les pays pauvres.
Ce projet de loi est aux antipodes d'une conception du monde fondée sur le partage et la solidarité : il consolide encore et toujours l'exploitation des plus faibles par les pays les plus riches.
Monsieur le ministre, comment ne pas citer un extrait de l'interview accordée par M. Jacques Chirac, Président de la République, le 23 mai 2006 - tout récemment, donc - à TV Globo, télévision brésilienne :
« Qu'il s'agisse notamment de l'Afrique ou d'ailleurs, les gens qui partent de chez eux ne partent pas par désir, ils partent par nécessité. » C'est une vérité !
Je poursuis : « Ils partent parce qu'ils ne peuvent pas vivre comme il faut chez eux, eux et leurs familles. C'est cela qui crée ce mouvement et c'est la raison pour laquelle on ne pourra pas s'y opposer si l'on ne change pas les conditions de vie, au départ. » Le Président, mes chers collègues, n'a pas dit : « à l'arrivée », il a bien dit : « au départ » !
« Il n'y a pas d'autre solution à ces problèmes d'immigration que de créer les conditions du développement dans ces pays : développement des infrastructures, de l'éducation, de la santé, de l'agriculture [...]. Or, aujourd'hui, les efforts qui sont faits par la communauté internationale pour le développement [...] sont tout à fait insuffisants. Ils représentent environ un tiers de ce qui serait absolument nécessaire selon les experts de l'ONU. Il faudrait donc tripler au minimum cette aide. [...]
« Il faut créer les conditions nécessaires au développement, c'est une exigence humaine, morale et une exigence politique. Toutes les protections céderont sous la pression extérieure, il n'y a pas d'autre solution. »
Le Président de la République, s'exprimant ainsi au Brésil, pensait certainement à la Guyane et à son environnement géographique, où les tribus amérindiennes, depuis des siècles, ignorant les frontières des États, utilisent les cours d'eau de l'Amazonie pour circuler librement.
Il expose ainsi en quelques mots la vanité du projet de loi présenté par son propre gouvernement en matière de régulation des migrations. Il met en lumière la motivation de ce texte : offrir au patronat une main-d'oeuvre bon marché et corvéable à merci. Nous le savions, M. Chirac n'en est pas à une contradiction près. Il n'est pas prophète non plus dans le Gouvernement.
Monsieur le ministre, ce projet de loi ne tend aucunement à s'attaquer aux causes réelles de l'immigration : la pauvreté des pays d'origine. Il ne constitue qu'un ensemble de mesures coercitives et hypocrites et vise seulement à encadrer une politique qui marque une rupture, non pas tant par la vision utilisatrice de l'immigration de main-d'oeuvre qu'il traduit que par la possibilité que se donne le Gouvernement de définir chaque année des objectifs quantitatifs indiquant à titre prévisionnel le nombre de visas et de titres de séjour qui seront délivrés aux fins d'emploi, d'études, et pour motifs familiaux. C'est un véritable pillage des cerveaux des pays du Sud !
Mais, monsieur le ministre, il ne faut pas croire qu'il suffit d'ouvrir ses portes pour que viennent les candidats désirés : la France a encore besoin d'attirer plus que de sélectionner.
Mes chers collègues, le Sénat s'honorerait aussi de rappeler que la clef de l'avenir, la clef du bien-être futur de l'humanité, c'est le partage des richesses, c'est l'aide au développement.
Aussi notre amendement tend-il à doubler le pourcentage du PIB de notre pays consacré à l'aide au développement, de façon, monsieur le ministre, à mettre les discours du Président de la République en conformité avec la réalité.