Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 8 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Défense

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Sous une apparence flatteuse, ce budget déploie des crédits qui semblent en harmonie avec la lettre de la loi de programmation militaire. Mais, comme l'a déclaré Jean-Michel Boucheron, à l'Assemblée nationale : « Soit on aime les contes de fées et on l'approuve ; soit on s'intéresse au monde réel, on est donc beaucoup plus circonspect et on ne peut l'approuver. »

Et encore ! Au moment où il prononçait ces fortes paroles, il ne savait pas que des coupes budgétaires, qui avaient été préparées à Bercy et acceptées rue Saint Dominique, allaient amputer ce projet de budget de la bagatelle de 75 millions d'euros... et cela avant même que le projet de loi de finances 2006 n'arrive sur le bureau du Sénat !

Les aspects positifs et les efforts budgétaires que j'ai soulignés ne doivent cependant pas occulter ce que je considère comme un manquement essentiel dans les budgets de la défense : l'absence de rigueur dans leur exécution !

Récemment, la Cour des comptes et la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense ont constaté, en 2004 et 2005, des écarts flagrants entre les chiffres annoncés et la réalité de l'exécution. Le taux de consommation des crédits d'équipement, qui s'élevait en moyenne à 91, 8 % de 1997 à 2001, a chuté à 88, 7 % en 2003, et à 81, 7 % en 2004.

Formellement, le projet de loi de finances respecte la loi de programmation militaire. Le projet de budget de la défense, qui s'établit à 47 milliards d'euros, est en augmentation de 3, 4 % en valeur, soit de 1, 8 % en volume. Nous devrions nous déclarer satisfaits...

Or, compte tenu de l'état des comptes de la France et des déclarations du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, nous pensons que les engagements financiers du Gouvernement ne pourront pas être tenus. Et cette impression est partagée au-delà des travées de l'opposition, puisque notre commission des finances vient de vous demander, madame le ministre, de vous engager « à renforcer la sincérité de votre budget » !

Le projet de budget, tel qu'il nous est présenté aujourd'hui, supporte, d'une part, le sous-calibrage des crédits nécessaires pour respecter le volume d'équipements prévu par la loi de programmation militaire et, d'autre part, le décalage croissant et accumulé entre les crédits annoncés et ceux qui sont réellement consommés.

L'on nous dit que la résorption de « la bosse des reports de crédits » de 2005 aura lieu en 2006, et l'on nous promet la résorption globale des crédits reportés pour la fin de 2008... ! Or nous savons, et vous savez, que ces reports sont d'ores et déjà une lourde hypothèque sur la prochaine programmation.

Les crédits reportés sont des crédits de paiement destinés à l'investissement, essentiels pour tenir les objectifs de l'actuelle loi de programmation militaire. Ainsi, malgré les vertueuses recommandations qui entourent la LOLF, il est déjà prévu dans l'article 57 du projet de loi de finances initiale pour 2006 une majoration des plafonds de reports de crédits de paiement de 2005 s'agissant de la défense.

Les sujets d'inquiétude sont donc nombreux et nos rapporteurs ne les ont pas cachés, ce dont je les félicite. Signalons notamment les retards pris par certains programmes : le chef d'état-major des armées a souligné les retards sur le Rafale, sur la version navale de l'hélicoptère NH 90, ainsi que le nombre réduit d'hélicoptères Tigre qui seront livrés.

Comment ne pas remarquer que, pour les programmes déjà engagés, l'écart reconnu est de plus de 2 milliards d'euros entre les crédits prévus dans la loi de programmation militaire et ceux qui seraient nécessaires pour tenir les échéances et respecter les volumes d'équipements annoncés ?

Un autre indicateur négatif est la flambée des intérêts moratoires qui s'élèvent à 14, 7 millions d'euros en 2005.

Par ailleurs, comment ne pas souligner que, pour l'ensemble du ministère, on constate une adaptation des crédits de personnel aux sous-effectifs constatés les années précédentes. En 2005, l'effectif budgétaire était en régression de 879 postes par rapport à 2004 et inférieur de 3 809 postes à la programmation ; en 2006, il sera inférieur de 2 913 postes aux 443 242 postes prévus par la programmation. On s'installe dans une situation de déficit chronique de personnel.

Vous l'avez reconnu, madame le ministre, le maintien en condition opérationnelle reste une préoccupation majeure. Des efforts ont été faits, et la croissance des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle se poursuit cette année, avec une augmentation de 8, 5 %. Toutefois, on dirait que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il est prévu que, après 2007, les crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle progresseront inéluctablement de près de 10 % par an : ils pèseront donc lourdement sur le financement des nouveaux programmes.

Ces problèmes récurrents jettent un doute sérieux sur la réalité des crédits consacrés à la défense. Ainsi, si la « budgétisation » pour 2006 d'une partie des OPEX est un progrès, cette prévision semble très insuffisante au regard des surcoûts observés en 2004, qui se sont élevés à 633 millions d'euros, et de ceux que l'on peut prévoir pour 2005, soit 566, 9 millions d'euros. Où allez-vous, madame, prendre les crédits nécessaires aux OPEX pour 2006 ?

Certains programmes font apparaître un financement plutôt flou : les frégates européennes multimissions, ou FREMM, les sous-marins Barracuda, le second porte-avions... autant d'engagements qui compromettent déjà l'avenir.

Nous sommes face à la réalisation d'une loi de programmation militaire qui semble d'ores et déjà bien virtuelle, malgré vos propos relevant de la méthode « Coué », qui ne nous rassurent pas. La situation des comptes publics, fort dégradée, et une croissance molle seront fatales à la réalisation de la loi de programmation militaire et du modèle d'armée 2015. Devrons-nous attendre 2007 pour rendre compte publiquement de cette situation ?

Dès maintenant, nous devons poser la question d'un nouveau modèle d'armée adapté à l'état réel de nos finances, conséquent avec les priorités sociales et économiques de la nation, et capable d'apporter une intégration profonde de notre défense dans la défense européenne. Un modèle d'armée pour 2025 ou 2030 : je sais que votre ministère travaille dans ce sens. Pourquoi ne pas ouvrir la réflexion ?

Notre pays doit s'engager dans un développement plus ambitieux de la politique européenne de sécurité et de défense ; il s'agit maintenant d'inscrire toute notre défense dans le cadre européen. La prochaine loi de programmation doit rompre avec le franco-centrisme des précédentes programmations, et ce même si l'environnement politique européen actuel n'y est pas très propice. Assumons un rôle moteur au sein de l'Union européenne dans le domaine de la défense !

L'accroissement des capacités européennes communes de défense est l'un des chantiers à approfondir. À budget de défense égal, l'Europe pourrait être bien plus efficace si les membres de l'Union consentaient à coordonner leurs politiques d'équipement militaire. Additionner les efforts nationaux est insuffisant pour constituer une défense commune et, plus tard, une armée européenne. Il est donc absolument indispensable de rompre avec les stratégies nationales en matière de politique d'équipement et d'accorder la priorité à la construction des capacités communes européennes.

Le projet de loi de finances pour 2006 montre que cette nécessaire évolution n'est pas encore à l'oeuvre : il est, à l'instar de la loi de programmation dans lequel il s'inscrit, une occasion manquée de nous impliquer fortement dans l'Europe de la défense.

Madame le ministre, tout en reconnaissant vos efforts pour défendre les crédits de votre ministère, et parce que, immergé dans une politique économique et sociale négative, il tend à conforter un passé révolu et ne prépare pas l'avenir, le groupe socialiste ne votera pas votre projet de budget pour 2006.

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